Conclusions

Conférencier / conférencière

Les grands voyages océaniques entre le XVe et le XVIIIe siècle sont évidemment un sous-produit de l’expansion européenne sur les mers du globe et n’eurent jamais pour fonction l’aventure comme on la connaît aujourd’hui avec les courses transatlantiques ou autour du monde issues d’une sorte d’héroïsme maritime magnifié par des Alain Gerbault ou Alain Bombard au XXe siècle. Le voyage maritime ancien eut plusieurs buts, souvent liés : aller au-delà de ce que l’on connaissait, cartographier, trouver des routes maritimes et des havres où l’on pourrait rafraîchir, imposer un nom et par là prendre possession (Tasman et la Tasmanie, etc.). Le voyage maritime est utilitaire. Il est aussi très secret dans ses résultats, car l’information est une marchandise, un capital que l’on ne veut pas céder à autrui. Les cartes portugaises rapportées des voyages lointains sont considérées au XVe siècle comme des secrets d’Etat dont la communication est un crime justiciable de la peine de mort. D’autre part, et peut-être à cause de cela, l’on ne connaît les voyages maritimes que par les relations manuscrites ou imprimées qui en furent faites : la plupart n’ont pas eu cet avantage. En 1771, Bougainville se flatte dans la préface de son « voyage autour du monde » d’être le premier Français à avoir accompli une circumnavigation ; il aurait dû dire qu’il était le premier à en avoir publié le récit. Ces récits posent d’ailleurs plusieurs problèmes : la navigation en mer n’a pas la variété du voyage terrestre où la diversité des paysages et des rencontres forme une bonne part de l’intérêt de ces textes. Sur la mer, toujours identique à elle-même en dehors des tempêtes et des climats, la relation se limite souvent à quelques indications techniques : latitude et longitude, direction du vent ou des courants. On n’y rencontre personne, ce qui n’est pas toujours pour déplaire, car les aventures maritimes sont souvent déplaisantes voire mortelles. Le voyage maritime s’anime paradoxalement aux escales. La vie à bord rapportée par un Robert Challe qui vit au milieu des matelots et non sur la dunette avec les officiers et les voyageurs les plus huppés est une longue série de souffrances, elles aussi souvent mortelles. La plupart des relations rédigées par des capitaines de navires ou rédigées pour eux gomment cet aspect d’une cohabitation de plusieurs centaines d’hommes dans un espace réduit au minimum. Lors des circumnavigations du XVIIIe siècle, où l’hygiénisme et le progrès des techniques sont aussi une preuve d’humanité pour les officiers de marine en représentation, la lutte contre le scorbut et les maladies liées au long séjour en mer font maintenant partie des éléments du voyage que l’on ne dissimule plus. Le champ d’action des grands voyages maritimes de découverte s’exerce chronologiquement à partir de l’Europe : Atlantique, puis océan Indien sur la route des épices, et après le passage du cap Horn exploration du Pacifique, vers le sud et le mythique continent austral, vers le nord et l’hypothétique passage du nord-ouest (entre Asie et Europe au nord de l’Amérique). Si la route des épices fut balisée d’abord par les Portugais, puis à partir du XVIIe siècle par les autres nations européennes (Anglais, Hollandais, Français), le Pacifique fut plus long à être parcouru, sinon cartographié dans ses centaines d’îles (Espagnols aux Marquises et le long de la côte nord-ouest de l’Amérique, Hollandais dans ce qui sera l’Australie, Anglais et Français au cours d’une rivalité impériale dans le Pacifique sud (Wallis, Cook, Bougainville, Baudin) ou au nord (Cook, La Pérouse) avec les Russes (Chamisso). Les expéditions comportent le plus souvent des scientifiques chargés par diverses institutions (Royal Society britannique, Institut de France) d’instructions très précises concernant la faune et la flore à cataloguer, outre quelques questions relevant encore d’une anthropologie naissante. La science peut être un masque pour de moins recommandables ambitions. Il n’en demeure pas moins que ces relations parfois composées d’un journal de voyage, souvent proche ou imité du journal de bord primitif, et de sommes spécialisées traitant des sciences de la vie, voire de glossaires sur des langues inconnues, témoignent des pulsions encyclopédiques du siècle des Lumières.

Référencé dans la conférence : Séminaire M1FR436A/M3FR436A : Voyages océaniques et littérature de découverte
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