Contexte politique des voyages du comte Potocki à la recherche des antiquités slaves.

Conférencier / conférencière

Auteur du célèbre _Manuscrit trouvé à Saragosse_, Polonais de culture française, Jan-Potocki (1761-1815) fut aussi un voyageur et un savant, dont de nombreuses lettres sont encore inédites dans les archives russes. Dans les années 1790, il publia plusieurs ouvrages en français témoignant de ses recherches et de ses voyages dans l’Empire russe et en Europe centrale : _Recherches sur la Sarmatie_ (1789-1790), sur la Basse-Saxe (1795) ; _Fragments historiques et géographiques sur la Scythie_ (1796), sur le Pont-Euxin, le Taurus, le Caucase et la Scythie (1796) et l’_Histoire primitive des peuples de la Russie_ (1802). Son voyage en Chine (1805-1806), récemment publié, ne le conduisit qu’aux frontières de l’Empire du Milieu, jusqu’à Oulan-Bator en Mongolie. À la fin du XVIIIe siècle, la Russie domine militairement la Turquie, et le partage de la Pologne entre les puissances, dont la Russie, s’achève. D’abord patriote polonais, Potocki s’oriente vers le parti russe et se veut « sujet de l’Empire russe ». Il s’agit pour lui de retrouver ses ancêtres : les Sarmates (Polonais) étant une variété de Scythes (Russes). La Scythie fut le berceau des civilisations, avant l’Égypte et la Grèce qui s’en inspirèrent. Potocki médite une histoire globale universelle à la fois synchronique et diachronique. Ce dilettante professionnel croit que la mathématique gère l’histoire et que, par là, on peut la prédire. Ses voyages sont d’abord des plongées dans le passé : les peuples modernes primitifs lui expliquent les anciens. Et il voyage avec une bibliothèque : le livre confirme la vue, et non l’inverse. Il croit parler à Hérodote, il analyse Lucien, il collectionne les cartes historiques. La réalité doit correspondre à l’histoire transmise par la tradition. L’étude comparée des langues, celle de l’homme sauvage permet de reconstituer l’histoire des peuples. Projet politique : les peuplades les plus arriérées de l’Empire seront modernisées en gardant leurs traditions. Car Potocki, qui pratique le sarmatisme vestimentaire, songe aussi à une carrière d’historiographe de l’Empire russe. Catherine, qui réfléchit elle-même à quelques-uns de ces sujets – langue des origines, etc.-, apprécie ses livres ; ce ne sera pas le cas de son fils Paul. En revanche, il n’est pas indifférent à Alexandre Ier. Le mythe scythe n’était pas seulement russe : la France des Lumières y avait activement participé. Dans ses histoires de Pierre le Grand et de la Russie, Voltaire faisait des Russes de nouveaux Scythes et de Catherine une guerrière amazone. L’image de la Russie est double : soit une nouvelle Grèce reproduisant Byzance et Moscou, la troisième Rome, soit la Scythie barbare, guerrière et impérialiste. Le _ Scythe philosophe _ est le mariage des deux images : il est à l’origine de toutes les sciences et Catherine II écrit sur les femmes guerrières. Les récits de voyages, dont celui de Pallas, servent cette vision. Mais des Français eux-mêmes en rajoutent. Jean-Sylvain Bailly, dans son _Histoire de l’astronomie ancienne_ et dans ses _ Lettres sur l’Atlantide de Platon _, situe l’Atlantide en Sibérie (ossements de mammouths) et affirme que les sciences sont nées dans le Caucase. Dans son _ Voyage en Syrie et en Égypte _, Volney dénonce le despotisme turc, fait l’éloge de Catherine – exercices éclairés à cette époque -, mais, bien plus, il voit dans l’impérialisme russe la promesse d’un _ Orient ressuscité _ (_ Considérations sur la guerre actuelle des Turcs _, 1788). Ces ouvrages de combat pro-russes ne contredisent pas la pensée de Potocki, qui obtient un poste au Collège des Affaires étrangères de Saint-Pétersbourg. Il se veut l’idéologue de la politique asiatique russe. Pour développer le commerce russe avec la Chine, il faut orienter sa politique vers l’Asie … et lui faire oublier l’Europe. En 1797, paraît le faux testament de Pierre le Grand fabriqué par les Polonais et utilisé ensuite par Talleyrand, soucieux de chasser les Anglais de l’Inde avec l’aide des Russes : ceux qui faisaient parler le tsar y définissaient une politique asiatique qui n’eut guère de succès. En définitive que fut Potocki ? un écrivain, un philosophe ou un fou ?

Mots-clés : géopolitique. origine. Antiquité. Lumières

Référencé dans la conférence : Relations savantes : voyages et discours scientifique à l'Âge classique
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