Des côtes de l'Amérique à celles de l'Afrique à la conquête des longitudes : le voyage de Jean-Dominique Cassini de Thury de 1768.

Conférencier / conférencière

La détermination de la longitude a été pendant des siècles une question scientifique irrésolue et un problème majeur pour la navigation au long cours. En 1714, le Longitude Act anglais crée un prix considérable pour qui trouvera une solution pratique. En 1741, Anson fait encore naufrage au débouché du cap Horn par défaut de mesure exacte de sa situation en mer. Les navires essaient en général de naviguer selon les lignes de latitude, ce qui amène convois et navires isolés sur certaines routes, très prisées par les corsaires divers. En 1715, l’Académie des Sciences parisienne crée un prix Rouillé favorisant les recherches en astronomie et tout ce qui peut faciliter la navigation et le commerce. En France, on tente de déterminer la longitude, selon un vieux principe d’Amerigo Vespucci, par la détermination des distances lunaires ou par les éclipses des satellites de Jupiter (méthode inspirée de Galilée). Des tables annuelles, éphémérides ou almanachs nautiques permettent par un calcul assez simple –mais l’observation est délicate – de situer la position par rapport au méridien d’origine. Gian Domenico Cassini (I) établit l’une de ces tables. Cet Italien passe au service de la France et est à l’origine d’une lignée d’astronomes royaux. Louis XIV le charge de diriger l’Observatoire nouvellement construit à Paris. Au cours du siècle suivant, on tente de perfectionner les montres marines destinées à mesurer le temps par rapport à celui du méridien d’origine : les astronomes et les mécaniciens se trouvent en rivalité. L’Anglais John Harrisson réussit le premier à résoudre les nombreux problèmes techniques posés par ces montres embarquées sur des navires : il gagne le prix anglais du « garde-temps » en 1764. En France, Pierre Leroy et Berthoud expérimentent leurs propres montres : en 1764, l’abbé Chappe d’Auteroche est réservé sur la seconde. En 1767, le marquis de Courtanvaux finance la construction d’une frégate d'agrément _L'Aurore_ (maquette aujourd’hui dans le hall de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris) pour aller vérifier, dans la mer du Nord et dans la Baltique, la qualité des montres françaises. Il est accompagné du chanoine Pingré et de Messier ; en 1768, le duc de Praslin, ministre de la Marine, envoie en mer le vaisseau, l’Enjoué, pour vérifier la montre de Leroy : à peine âgé de vingt ans, Jean-Baptiste Cassini (IV), petit-fils du précédemment cité, est de l’expédition. Il en rapportera une relation divisée en trois parties, suivie d’une annexe technique de Leroy. L’Académie des sciences convaincue par l’expérience accordera à Leroy le double prix Rouillé. Publiée en 1770, la relation narre les 139 jours du voyage, de juin à octobre 1768, de la France à Terre-Neuve, puis retour sur l’Atlantique jusqu’au Maroc, à Salé, puis à Brest par Cadix. La relation de voyage proprement dite compose la première partie de la relation, la deuxième est un journal des observations astronomiques, la troisième – « De l’usage des montres marines » - est un manuel des tables horaires. L’observateur est un voyageur qui revêt l’habit du savant. La deuxième partie a la forme d’un cône renversé : expériences quotidiennes, suivies de récapitulatifs intégrant des mises en intrigue, puis synthèse. Le compte rendu du voyage est dominé par le projet scientifique ; les escales sont réduites au minimum. Malgré les nombreuses illustrations du texte, souvent réalisées en se servant de lunettes d’approche pour plus de précision, il n’y a presque rien sur les personnes rencontrées, sur les paysages, sur ses compagnons de voyage même. La visite au consul français de Salé, Chénier, le père du poète, donne lieu à un portrait du Maroc directement tiré de cette source. Pour Cassini, les Marocains sont des « barbares stupides »( !°). Il ne reste d’ailleurs que quatre jours à Salé. En notes, les passages sur Saint-Pierre et Miquelon, limités à la pêche à la morue, sont proprement inspirés de Duhamel du Monceau et de son _Traité général des pêches _ , qu’il oublie d’ailleurs de nommer. La cohabitation est inconfortable entre le discours viatique et le discours scientifique. De nouveaux voyages destinés à vérifier l’exactitude des montres au-ront lieu ensuite : celui de Fleurieu pour Leroy ou de Verdun de la Crenne pour Berthoud.

Sommaire : technique. horlogerie. progrès.

Référencé dans la conférence : Relations savantes : voyages et discours scientifique à l'Âge classique
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