En mer : disparition du monde, émergence du sujet lyrique

Conférencier / conférencière

Plus que d'autres, certains motifs suscitent l'écart lyrique, au sein d'une écriture marquée par l'obsession de la référence. Peut-être est-ce lorsqu'il n'y a plus rien à voir que s'entend avec le plus de netteté un phrasé qui rompt le cours ordinaire de la relation de voyage. Il en va ainsi chez Chateaubriand qui constamment transforme le paysage en désert pour écrire les poèmes en prose qui hantent son oeuvre, de l'Essai sur les révolutions aux Mémoires. L'une de ces figures de l'infini retiendra plus particulièrement notre attention, parce qu'elle est au croisement de toute une tradition et d'un imaginaire singulier. La traversée en mer offre au voyageur cultivé qu'est Chateaubriand un répertoire de lieux communs à partir desquels il se livre à de somptueuses variations. On sait en outre le rôle qu'a pu jouer l'Océan dans la mise en scène de l'écrivain, et de l'écriture. Le sujet lyrique n'apparaît jamais aussi nettement que lorsque le moi est confronté à l'immensité des paysages marins. Dans ce laps de temps qui représente de la manière la plus concrète l'itinérance (la traversée), pendant lequel il n'y a rien à découvrir, l'aventure du sujet subsiste, seule, dans un univers indéterminé. Le texte construit alors et donne à lire un Moi qui échappe au monde et se mesure à l'essentiel. Le "Je-historique" peut quelquefois subsister, quand l'anecdote prend le pas sur une expérience existentielle ; il disparaît le plus souvent pour laisser la place à une parole qui s'abstrait de toute contingence. Dans ces moments, le récit de voyage semble se lézarder, et derrière le voyageur transparaît le poète.

"At sea : the world vanishing, the lyrical subject emerging" Some motifs, more than others, help create a lyrical distance within a literary discourse tainted with the obsession of references. It may be that when there is nothing left to be seen one begins to hear with a sharp clarity the music of a narrative which disrupts the ordinary course of travel accounts. So with Chateaubriand, constantly transforming the scenery into a desert, the better to write the prose poems inhabiting his works, from the Essai sur les Révolutions, down to the Mémoires. One of these figures of infiniteness has caught our particular attention, since it lies at the crossroads of a whole tradition as well as of a singular type of imagination. The sea voyage offers the learned Chateaubriand a repertoire of commonplace ideas upon which he declines magnificent variations. Besides, the part played by the Ocean in this writer's style and literary construction is well attested throughout his work. The lyrical subject is never so much in evidence as when the "I" is confronted to the vastness of marine sceneries. In that space of time which is the most concrete expression of the sea-crossing (the itinerance itself), during which nothing is to be discovered, the subject's own adventure unravels amid a loosely-defined universe. It is then that the text enters the process of construction, accounting for an "I" escaping from the world and measuring itself to the essence of things. The "historical I" may at times loom up whenever anecdotes glaze over existential experiencing ; yet it vanishes most of the time before a speech removed from material contingencies. It is at such moments that the travel narrative seems to fissure, letting the poet emerge forth, out of the traveller's shape.

Référencé dans la conférence : 12e Colloque international du CRLV : Poésie et Voyage
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