La flore et la faune des deux Amériques chez Marc Lescarbot (vers 1570-1641).

Conférencier / conférencière

L’_Histoire de la Nouvelle-France _ de Marc Lescarbot, publié en 1609, compose avec les _Muses de la Nouvelle-France _ un ensemble exceptionnel de documents sur la création de cet espace colonial français en Amérique du Nord. Avocat de formation, Lescarbot accompagne les premières tentatives de colonisation à l’île Sainte-Croix et au Port-Royal (actuellement dans l’État américain du Maine), de 1606 à juillet 1607. Chasseurs, pêcheurs, ses compagnons, dont Samuel de Champlain, essaient de reconstituer en Amérique des pratiques festives européennes : création de l’Ordre de Bon-Temps, fête bimensuelle où la gastronomie se combine à la sociabilité. Le texte de Lescarbot est inspiré de ces découvertes d’animaux nouveaux, dont il est, pour certains, le premier à faire la description (ou la représentation figurée en marge des cartes) : le nibaché (raton laveur), le colibri, le castor, l’orignal. La flore comestible (baies, etc.) est de même l’objet de longues listes descriptives. Ces singularités dignes des cabinets de curiosités parisiens (on en rapportera en Europe) sont décrites selon le principe d’analogie avec le connu d’une espèce européenne (chaque partie de l’animal est comparée à telle partie d’un autre animal connu). Lescarbot a lu Pline l’Ancien et des auteurs plus modernes d’histoire naturelle, il tente de ne pas contester ces autorités par les leçons parfois contradictoires de l’expérience : il constate, par exemple, que les marsouins ont un squelette et respirent comme les mammifères, mais il ne conteste par leur statut traditionnel de « poisson ». Lescarbot est un « curieux » au sens du XVIIe siècle. Son histoire personnelle explique aussi le ton et le contenu du récit de son séjour en Amérique. Ancien ligueur, mal à l’aise dans la société apaisée après l’édit de Nantes et la prise du pouvoir de Henri IV, il va chercher en Amérique un nouveau jardin d’Éden, libéré de ce qu’il croit être la corruption de la société française. Dans une lettre de 1606, il décrit la Nouvelle-France comme un paradis terrestre par l’abondance de la végétation et du gibier : le blé y pousse sans effort pour le cutivateur ; la faune y est belle et pacifique. Il revient sur ce thème dans son _ Adieu des Français _ et dans son _ Adieu à la Nouvelle-France _ de 1607, deux pièces de vers publiées dans les _ Muses de la Nouvelle-France _ : la cité de Dieu est au Port-Royal. Mais c’est alors que la colonisation liée au commerce des fourrures se déplace vers le Saint-Laurent. En 1608, Champlain fonde la ville de Québec. L_Histoire de la Nouvelle-France_ est rédigée pour justifier le projet colonial contre ceux, dont Sully, qui penchent pour le sud du Continent – projet de _ France équinoxiale_. Lescarbot évoque les échecs français au Brésil, en Guyane, en Floride pour montrer que l’avenir de la France est au nord du continent. La représentation de la faune et de la flore canadienne est confrontée à la représentation qu’il fournit des mêmes espèces ou équivalentes au sud : monstruosité et laideur s’opposent, point par point, à ce que l’on rencontre au Canada. Le texte de Lescarbot, plusieurs fois réédité, nourrit ensuite un certain nombre de relations, qui évitèrent naturellement de le citer, comme celle du père Gabriel Sagard.

Mots-clés : esthétique. paradis. colonie.

BIBLIOGRAPHIE

Editions critiques

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Marc LESCARBOT, La Relation dernière, dans Monumenta Novae Franciae, t. I : La Première Mission d’Acadie (1602-1616), éd. L. Campeau, Rome-Québec, Monumenta Historica Societatis Iesu – Presses de l’Université Laval, 1967, p. 168-202.

Etudes

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Référencé dans la conférence : Relations savantes : voyages et discours scientifique à l'Âge classique
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