La Relation d'un voyage dans la mer du Nord par le chevalier de Kerguelen (1767-1768).

Conférencier / conférencière

En 1771, à quelques mois d’intervalle, paraissent deux récits de voyage dont l’un, celui de Bougainville, est appelé à devenir illustre et l’autre, celui de Kerguelen, lui aussi officier de marine en mission officielle, ne rencontrera qu’un succès d’estime. D’ailleurs, le second voyage de Kerguelen, aux Terres australes cette fois-ci (1771-1774), est celui que la postérité à retenu. La _ Relation d’un voyage dans la mer du Nord […] fait en 1767 et 1768_ sera le sujet de cette conférence. Le livre est publié en mars 1771 et, en mai, Kerguelen part pour l’île de France. Issu de la petite noblesse bretonne assez désargentée, le chevalier de Kerguelen, comme Bougainville, est un protégé des Choiseul qui contrôlent alors la Marine. C’est un bon hydrographe. Quel est le but de cette expédition dans la mer du Nord jusqu’à l’Islande et la Norvège ? Certainement pas l’exploration, car ces parages sont bien connus, des pêcheurs français de morue en particulier. De fait, après le désastreux traité de Paris (1763) qui enlevait à la France ses colonies américaines, la question de la pêche à Terre Neuve restait pendante, elle fut résolue en faveur des Britanniques par le Traité de Versailles (1783) et la France dut tenter de s’installer sur d’autres territoires de pêche. Le Danemark était un allié à la France : ce royaume possédait alors l’Islande et la Norvège, deux contrées où Kerguelen va se rendre sur la Folle puis sur l’Hirondelle lors de deux voyages en 1767 et 1768. Ses instructions sont d’observer, de reconnaître des routes maritimes utiles en temps de guerre (nord de l’Ecosse) et de favoriser la présence de pêcheurs français chassés de Terre Neuve. En Islande, règne la Compagnie danoise qui gère la pêche au détriment des populations locales. Ce monopole interdit aux pêcheurs français de débarquer. Les Islandais vivent sous la coupe des Danois ; ils survivent dans la nostalgie d’un passé mythique transposé dans les sagas (voir l’art. ISLANDE de l’_Encyclopédie_). De tout cela, il n’est pas question dans la relation de Kerguelen. Elle est divisée en quatre parties traitant de la traversée, de la description de l’Islande, de la nouvelle traversée de l’Islande à Bergen, des îles Feroë, plus un supplément. Dans ce récit à la première personne, Kerguelen parle du statut des pêcheurs français interdits de débarquement en Islande, de la pêche elle-même. Les descriptions des paysages sont rares ; peu de références sont faites à la mer gelée et à la banquise qui auraient dû étonner le marin breton. Il trouvera horribles les fjords de Norvège. Seule l’aurore boréale retient son attention et son vague goût du pittoresque. L’essentiel pour lui est de faire de sa relation une compilation savante des sources les plus diverses sur ces contrées et de les contester à l’occasion. Les relations historiques sur l’Islande d’Isaac de la Peyrère au XVIIe siècle et, plus récemment, d’Anderson (1746 en allemand, 1750 en français), de Horrebow (1750 et 1764 dans les deux langues), d’Olafsson (1749) sont visées de façon très critique par le relateur. Kerguelen se propose de réaliser ainsi une encyclopédie islandaise, traitant de tout, les coiffes islandaises incluses dont il cherche la source. La partie norvégienne du voyage est moins complète : il évoque des singularités nordiques, comme les skieurs, la place des langues étrangères dans la formation des officiers de marine. Mais le texte est une nouvelle fois très critique à l’égard de l’art. MARINE de l’_Encyclopédie_ et des divagations de Dom Pernetty, voyageur austral. Le Supplément traite du Groenland (sources assez fantaisistes) et … de Dunkerque, ville marchande et corsaire qui lui tient à cœur. Un glossaire des termes de marine clôt, comme il se doit, le volume. On peut se demander quelle était la finalité d’un tel ouvrage, même si la mission de renseignement en justifiait la rédaction, sinon la publication. Le livre eut peu d’écho, les Choiseul avaient été chassés quelques mois plus tôt , Pourtant en 1778, et après la condamnation de Kerguelen pour ses activités peu reluisantes dans les mers australes, Pingré et Borda reconnaissaient encore la qualité du livre. Le texte fut republié en 1799 dans une histoire des pêches … hollandaises. Rééditée à Amsterdam en 1772, traduite en allemand en 1774, la _Relation_ connut six éditions en trente ans. L’histoire des voyages en Islande au XVIIIe siècle pourrait se poursuivre avec celui de Banks, compagnon – et financier - du premier voyage de Cook. Banks débarqua et acheta les vieux manuscrits islandais qui se trouvent aujourd’hui à la British Library : de ce projet discret d’annexion de l’Islande, on possède des lettres qui furent publiées seulement au XXe siècle.

Mots-clès : géopolitique. pêcherie. colonie.

OUVRAGES CONSULTÉS

ANDERSON Johann, Histoire naturelle de l'Islande, Paris, 1750
(Ed. originale en allemand 1746)

BARTHELEMY Edouard de, Histoire des relations de la France et du
Danemark sous le ministère du comte de Bernstorff, Copenhague, 1887

CATALOGUE RAISONNÉ DES LIVRES DE LA LIBRAIRIE JOMBERT, Paris, 1774

CAZEILS Nelson, Cinq siècles de pêche à la morue, Terres-Neuvas et
Islandais, Rennes, Ouest-France, 1997.

DAUBIGNY E., Choiseul et la France d'outre-mer, 1892

DELÉPINE Gracie, L'Amiral de Kerguelen et les mythes de son temps, Paris, 1998

ENCYCLOPÉDIE de Diderot et D'Alembert. Article : ISLANDE

GEFFROY A. éd. Recueil des instructions aux ambassadeurs. XIII. Danemark. Paris, 1895

GUNNARSON Gisli, Monopoly trade and economic stagnation. Studies in the
foreign trade of Iceland 1602-1787, Lund, 1983

HASTRUP Kirsten, Nature and policy in Iceland 1400-1800. An
anthropological analysis of history and mentality, Oxford, 1990

HERMANNSSON Halldor, Sir Joseph Banks and Iceland [1772], New York,
1928 (Islandica, vol.18), pl.

HORREBOW Niels, Nouvelle description de l'Islande, Paris, 1764
(Ed.originale en allemand 1750)

KENT, H.S.K., War and trade in the Northern seas, Anglo-Scandinavian
economic relations in the mid-18th century, Cambridge, 1973

LA PEYRERE Isaac de, Relation de l'Islande, Paris, 1663, in-16, 108p. carte
(écrit à Copenhague, 18 déc.1644)

LA PEYRERE Isaac de, On account of Island, 1732

MICHAUD, Biographie universelle

MOLLAT DU JOURDAIN, éd. Histoire des pêches maritimes en France, Toulouse, 1987

MOUREAU François, Répertoire des nouvelles à la main, Oxford, 1999
voir : Quinze lettres en feuilles, de Paris, Compiègne, Versailles,

OLAFSSON E., Enar. Historica de Islandiae natura, Havniae, 1749

PERNETTY Dom J.A., Journal historique d'un voyage fait aux îles Malouines,
Berlin, 1769

PINGRÉ, Abbé Alexandre-Gui, Voyage fait...en 1771 et 1772 en diverses
parties de l'Europe... par MM. Verdun de La Crenne,commandant la
frégate la Flore, le chevalier de Borda, et Pingré, Paris, 1778

TRAITÉ DE PARIS, 10 février 1763,
TRAITÉ DE VERSAILLES, 3 septembre 1783
voir : MARTENS, Recueil des traités.

WORLD BIBLIOGRAPHIC SERIES. Vol.37. Iceland, London, Clio Press, 1996

[ZORGDRAGER Cornelis Gijsbertsz], Histoire des pêches, des découvertes et des établissements des Hollandois dans les mers du nord, trad du hollandois...par C. Bernard de Reste, Paris, t.3:an IX

Manuscrits
ARCHIVES NATIONALES, Fonds Marine, Paris
Campagnes de la Folle et de l'Hirondelle 1767-1768
cotes : Mar.B4/110 et 112
ARCHIVES DU MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES, Paris
A.E.Correspondance politique, 1763, t.149, p.240 et sq.
-Octroy accordé à la Compagnie d'Islande. Tr.française, 15 août 1763.
Extrait

Référencé dans la conférence : Relations savantes : voyages et discours scientifique à l'Âge classique
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