Le voyage de François Le Vaillant en Afrique australe

Conférencier / conférencière

En 1652, Les Hollandais s’installent au Cap de Bonne-Espérance, lieu de rafraichissement essentiel des navires sur la route des Indes. L’image des populations (Cafres ou Hottentots) est totalement négative ; il s’agit, pour les voyageurs, et, plus encore pour les colons, de peuples aux limites de l’animalité, plus que tout autre population « sauvage » sur la planète. François Le Vaillant naquit dans la colonie hollandaise du Surinam, où la « nature institutrice » fut avec l’éducation classique sa formation première. Passionné d’ornithologie, il fit le voyage en Europe (citations, n°1) pour visiter les cabinets savants ; il séjourne à Paris de 1777 à 1780, avant de partir pour un long voyage dans la colonie hollandaise du cap de Bonne-Espérance où il vécut jusqu’en 1785, allant au plus profond de la colonie, vivant avec les habitants et se laissant pousser la barbe pour ne ressembler ni aux colons ni aux autochtones (citations,n° 3). Il va poser sur le pays «le regard du philosophe»; de l’ornithologie, il passe à l’ethnologie. Il respecte et ne juge pas la culture du pays d’accueil ; il revendique une autopsie, l’expérience personnelle contre le discours de l’apriori qui jugeait sévèrement chez les voyageurs antérieurs (Kolbe ou Sparman) les populations du Cap (citations, n° 2, 4) et qui les transformait en simples phènomènes de foire (citations, n° 7). Il apprend les langues locales et dément les jugements des voyageurs sur le caractère primitif de langues censées ne pas connaître l’abstraction et la pensée conceptuelle. Lecteur de Rousseau et, peut-être de l’abbé Raynal (discours de Diderot aux Hottentots), il rêve d’un « désert tranquille », il se veut moins observateur qu’observé. Ses deux voyages « dans l’intérieur de l’Afrique » furent publiés avec des illustrations et augmentés de 1790 à 1819. Ensuite vint la période des abrégés, destinés en priorité à la jeunesse chrétienne (citations, n° 5, 6). La réécriture d’Igonette en 1845 est particulièrement orientée dans ce sens (citations, n° 8 et 9). Le Vaillant, sinon athée du moins protestant sceptique, devient un excellent chrétien et les gravures dénudées des «sauvages» sont habillées décemment.

Citations

[1]
« […] je montai avec eux sur le navire Catharina […] ; le 4 avril 1763, on leva l’ancre, et l’on prit la route de la Hollande. […] Une curiosité bien naturelle à mon âge ajoutoit à mes transports ; mais cette agitation, ou plutôt ce délire, ne me rendoit pas insensible aux regrets. Je ne pouvois devenir ingrat en si peu de tems, et perdre de vue si tranquillement la terre bienfaisante qui m’avoit vu naître ; je jetois souvent mes regards vers les rives heureuses dont je m’éloignois de plus en plus. À mesure qu’elles fuyoient, et qu’emporté par les vents je m’approchois du nord, une tristesse profonde flétrissoit mon âme, et venoit dissiper les prestiges de l’avenir » in François Le Vaillant, François Le Vaillant, Premier voyage de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance, avec une table générale des matières servant aux deux voyages placés à la fin du second, et ne correspondant qu’aux éditions de MM. Didot le jeune et Crapelet. Nouvelle Edition, revue, corrigée et augmentée par l’auteur, d’un nouveau chapitre, en 1798 ; et ornée de vingt figures en taille-douce, dont huit n’avoient pas encore paru, Paris, imprimerie de Didot le jeune, chez Desray, 1819, II tomes, t. I, Précis historique, p. xxv-xxvj.

[2]
« Je pardonne à ces ouvrages volumineux, à ces compilations immenses où l’on met à contribution les livres anciens, où les textes sont tout au long cités, où, par cela seul qu’ils sont anciens, on présente comme des vérités immuables les rêves de l’imagination ou de l’ignorance. Mais, lorsque, épris de la manie d’une science, et ne trouvant pas en soi les ressources propres à en étendre les progrès ; que, du fond de son cabinet, on prétend établir des principes et dicter des lois ; qu’on abuse des dons heureux du génie pour propager des vieilles erreurs, et couvrir de toutes les grâces de l’élocution les mensonges avérés de nos pères ; qu’on les déguise, qu’on les tourmente, qu’on se les approprie en connoissance de cause, je ne fais point grâce à l’écrivain qui se pare ainsi de la dépouille d’autrui, quelque peine qu’il ait prise pour en rassortir les lambeaux », in François Le Vaillant, Premier voyage […], op. cit., 1819, t. I, p. ix-x.

[3]
« Je recrutai quelques Hottentots de plus ; j’achetai plusieurs bœufs, […] et un coq dont je comptois me faire un réveille-matin naturel. Il n’existe pas un seul naturaliste, pas même un lourd habitant des campagnes, qui ne sache que le coq est un oiseau qui chante régulièrement pendant la nuit à la même heure, et qu’il prend soin de rappeler le jour. Je ne sais quel ridicule on a prétendu jeter sur cette précaution qui devoit me procurer de l’agrément, si elle n’étoit pas une ressource de besoin, en me faisant tenir dans plus d’un papier public des discours absurdes qui cadrent assez mal avec l’emphase du narrateur. En assurant au public, en mon nom, que j’avois compté remplacer ma montre par mon coq, si elle venoit à se déranger, il auroit été décent d’apprendre au moins aux incrédules comment un coq peut jamais devenir une horloge. C’est dans le même esprit qu’ailleurs on suppose que, rencontrant pour la première fois un lion, «nous nous mesurâmes de notre superbe regard, et nous lassâmes tranquillement passer, satisfaits l’un l’autre de notre fière contenance. » Quoi qu’il en soit de ces poétiques romans, mes expériences sur mon coq ne m’ont point trompé, in François Le Vaillant, Premier voyage […], op. cit., 1819, t. I, p. 120-121.

[4]
« On représente les Hottentots comme une nation misérable et pauvre, superstitieuse et féroce, indolente et mal-propre à l’excès ; enfin on la ravale de toutes les manières. […] Il falloit parler d’après sa propre expérience, et ne rien dire de plus que ce qu’on a vu. C’est alors, par exemple, que dans l’ouvrage du docteur Sparmann, très-estimable à plus d’un égard, les observations intéressantes et qu’il a bien décrites ne se trouveroient point noyées dans un déluge de récits […] plus invraisemblables et mal-adroits les uns que les autres, [entre autres sur] la Cafrerie, qu’il n’a jamais visitée[…].
Je rends hommage à la vérité, quand je la trouve chez le docteur Sparmann, et rejette sur son observateur les mensonges qui me révoltent. « Mais, quand l’un ou l’autre m’assure que […] les sauvages […] pour se détacher les mains, ils les frottent avec de la bouze de vache ; qu’ils s’en frottent aussi les bras jusqu’aux épaules ; que cette onction, qui n’est pas nécessaire, est de pur ornement ; qu’ainsi la poussière et les ordures, se mêlant à leur onguent de suie et à la sueur de leur corps, s’attachent à leur peau, la corrodent continuellement, etc. » et que M. Sparmann vient ensuite confesser qu’il n’a jamais vu ces sauvages s’essuyer, nettoyer leur peau, je trouve cette façon de raisonner fort légère, et cette logique, très-inexacte ; car, si j’attestois à mon tour que je n’ai jamais remarqué que la bouze de vache fût un pur ornement pour le Hottentot, que je n’ai point vu leur peau se corroder par la sueur, les onguens et les ordures, cette assertion négative ne persuaderoit personne, et n’éclairciroit pas la question », in François Le Vaillant, Premier voyage […], op. cit., 1819, t. II, p. 128-130.

[5]
« […] En ce qui concerne la jeunesse, […], certains détails de mœurs, certaines observations d’histoire naturelle, sans parler des redites parfois fatigantes et d’appréciations surannées, en rendent la lecture tout au moins peu convenable.
[…] seront très fidèlement respectés la manière et le style de l’auteur dont nous reproduirons le récit d’après l’édition de ses œuvres réputée la meilleure.
Nous nous bornerons à supprimer les passages précités et à rectifier les changements survenus au point de vue de la science actuelle […].
L’intérêt particulier qui s’attache en ce moment à tout ce qui touche aux explorations et découvertes en Afrique, nous a engagé à commencer notre collection par les voyageurs africains les plus célèbres, tels que Le Vaillant, Bruce, etc. », in François Le Vaillant, Premier voyage de François Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, Limoges, Marc Barbou et Cie, Imprimeurs-Libraires, 1880, p. 5-6.

[6]
« [Ces récits] offriront à la jeunesse une série de lectures […] aussi dramatiques que les romans faits pour elle, et beaucoup plus instructives ; ils développeront le goût des études géographiques ; ils redresseront plus d’une idée fausse, plus d’un préjugé regrettable.
Levaillant se montre peut-être trop passionné, […] ; il laisse échapper des boutades assez plaisantes contre les sociétés civilisées ; ces épigrammes, qui ne tirent pas à conséquence chez un homme de cœur, animent le récit et lui communiquent une saveur de terroir, si nous pouvons ainsi parler, qui en fait le plus grand charme », Ibid., p. 7-8.

[7]
« […] ils sont de la même espèce que celui qu’on montroit, il y a trois ou quatre ans, dans une des boutiques du Palais Royal, et qu’on appeloit tigre de mer, tandis qu’en même temps on en faisoit voir un pareil à quelques boutiques plus loin, sous un nom différent. C’est ainsi que, […] le crédule et bon Parisien, qui n’auroit pas voulu faire un pas pour voir un chameau, couroit en foule à la foire Saint-Germain pour s’extasier devant le gan-gan, qui n’étoit pourtant autre chose qu’un chameau débaptisé par un fripon. Ces impostures sont moins plaisantes qu’elles ne sont condamnables. Elles propagent l’ignorance du peuple indolent de la Seine ; le sacrifice qu’il fait de son argent, pour satisfaire son inepte curiosité, ne devroit-il pas du moins servir à son instruction ? », in François Le Vaillant, Premier voyage […], op. cit., 1819, t. I, p. 43-44.

[8]
[…] ni les liens de la famille, ni ceux de l’amitié ne furent capables de m’ébranler. En vain ma mère et mon épouse essayèrent de me retenir, m’opposant leur tendresse, les angoisses dont elles allaient être assiégées à la pensée des périls que j’allais courir, je restai ferme dans ma résolution. Voyant enfin que rien n’était capable de me vaincre, au jour fixé pour le départ, mon épouse, en m’embrassant avec amour, passa autour de mon cou un cordon qui soutenait un petit crucifix, et me fit promettre de ne jamais m’en séparer. J’avouerai que ce gage précieux de l’affection conjugale, me fut dans mes voyages d’une grande consolation ; et il me semble que plus d’une fois, par lui je fus préservé de grands dangers ; du reste, dans le péril, je ne manquai jamais de le presser contre ma poitrine, et d’invoquer le rédempteur du monde, in Abrégé du voyage de Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique, par M. Igonette, Limoges, Barbou frères, 1845, in-18°, 288 p., titre gravé et pl., ‘bibliothèque chrétienne et morale’. Le titre gravé porte : « par T. Igonette », 1845, p. 14.

[9]
Ni les liens de l’amour, ni ceux de l’amitié ne furent capables de m’ébranler ; je ne communiquai mes projets à personne, in François Le Vaillant, Premier Voyage […], op. cit., 1819, Précis historique, p. xxxij.

Eléments bibliographiques
Récits de voyage de François Le Vaillant

- _Voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bone-Espérance, dans les années 1780-1785_, Paris, 1790, Leroy. Deux tomes grand in-8.°, avec pl., 16 fr., pl. color., 24 fr. ; édit. in-4.°, avec pl., 27 fr., et avec pl. color., 80 fr.
- _Second Voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, pendant les années 1783, 84, et 85_, Paris, an IV (1795), 2 vol. in-4° ou 3 vol. in-8°. Trad. En allemand, en 1797 ; en danois, en 1798 (Archiv. f. Reisebeskr, V. 3 et 4 ; et la même année, en suédois, Stockholm, 1798, in-8°)

Quelques rééditions

- _Premier voyage de F. Le Vaillant [sic] dans l’intérieur de l’Afrique, par le Cap de Bonne-Espérance,[…]_, Paris, imprimerie Didot le jeune, 1819.
- _Abrégé du voyage de Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique_, par M. Igonette, Limoges, Barbou frères, ‘bibliothèque chrétienne et morale’, 1845, in-18°, 288 p., titre gravé et pl.
- _Abrégé du voyage de F. Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique (1780-1785_), Paris, L. Hachette, 1853, in-16, XII-238 p.
- _Voyage en Afrique chez les Cafres et les Hottentots_, par Levaillant, revu et corrigé par M. l’abbé Orse, Paris, A. Le Clère, 1854, in-18°, planche, T. I., ‘Bibliothèque de la famille, […], 22e livraison, T. I., Jean-Baptiste-Siffroy Orse (abbé) éditeur scientifique.
- _Premier voyage de François Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance_, Limoges, Marc Barbou et Cie, Imprimeurs-Libraires, 1880.
- _Voyage dans l’intérieur de l’Afrique et au Cap de Bonne Espérance_, édition illustrée par 17 planches hors texte et des nombreuses vignettes par D. Semeghini, Paris, Garnier Frères, Libraires-éditeurs, 1884.
- _Premier voyage de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l'Afrique (chez les Hottentots et chez les Cafres)_, Eugène Muller, éditeur scientifique, Paris, C. Delagrave, 1888, 318 p., couv. ill. ; 17 cm, coll.‘Voyages dans tous les mondes ; nouvelle bibliothèque historique et littéraire’.
- Voyages de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique (1781-1785), publiés par Jacques Boulenger, Paris, Plon, 1932, 2 vol. in-16°, t. I 248 p. ; t. II, 283 p. avec grav. ‘Nouvelle Bibliothèque des voyages’.

Quelques Traductions

Contarini, Silvia (éd.), Primo viaggio nell’interno dell’Africa, Firenze, Casa Editrice Le Lettere, ‘Biblioteca del Settecento europeo’, 1994.
Le Vaillant, François, New travels into the interior parts of Africa, by the way of the Cape of Good Hope, in the years 1783, 84 and 85. Translated from the French of Le Vaillant. Illustrated with a map, delineating the route of his present and former travels, and with twenty-two other copper-plates, London, Printed for G.G. and J. Robinson, 1796. The first part of Le Vaillant's Travels had appeared in French as early as 1790, and was immediately pirated and translated into English and German.
Locatelli, Amilcare (a cura di), Francesco Le Vaillant attraverso l’Africa australe (fra Gonachesi, Cafri, Boschimani), G.B. Paravia C., Torino-Milano-Firenze-Roma-Napoli-Palermo, 1931.

Bibliographie critique sur François Le Vaillant

Billecocq, Xavier Beguin, Voyageurs français au Cap de Bonne espérance, Paris, Relation Internationales et Culture, 1996.
Bokhorst, Matthys, François Le Vaillant sa vie et son œuvre, in Qinton J.C. et Lewin Robinson A.M., (textes recueillis par), François Le Vaillant, voyageur en Afrique Australe, et sa collection de 165 aquarelles 1781-1784, Le Cap, Bibliothèque du Parlement, 1973, 2 vol.
Forbes, Vernon S., Le Vaillant’s travels in South Africa, 1781-4, in Qinton J.C. et Lewin Robinson A.M, François Levaillant traveller in South Africa, Cape Town, Parliement Library, 1973, 2 vol.
Manca, Tania, « François Le Vaillant. Connaissance et liberté, deux matrices du voyage », in Destinées voyageuses. La Patrie, la France, le Monde, (dir. Beïda Chikhi), Paris, PUPS (Presses de l’Université Paris-Sorbonne), coll. Lettre Francophone, 2006, 20 p.
Mana, Tania, « Le texte masqué de François Le Vaillant : censure et manipulation », in L’écrivain masqué, (textes réunis par Anne Douaire), Paris, PUPS, coll. Lettre Francophone, (à paraître en 2007).
Manca, Tania, « Représentation de la parole de l’autre dans des récits de voyage en Afrique (XVIIIe-XIXe siècles) », in La parole de l’autre, textes réunis par Marie-Hélène Prat, Genève, Droz, (à paraître fin 2006 début 2007).
Qinton, J.C. et Lewin Robinson A.M., (textes recueillis par) François Le Vaillant, traveller in South Africa, Cape Town, Library Parlement, 1973, 2 vol.

Référencé dans la conférence : Littérature des Grands Voyages jusqu’au XVIIIe siècle
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