Le voyage, une affaire de religion

Conférencier / conférencière

La religion relie. La religion relègue. Quel que soit le choix étymologique, la religion, depuis les origines latines du mot, a fort affaire avec l'espace et avec le voyage. Elle lie les hommes entre eux ou au contraire les sépare : c'est d'un côté la foule des pardons et des pèlerinages ; de l'autre la retraite au désert de l'ermite, ou l'exil en terre lointaine du mal sentant de la foi. Tout au long de l'histoire occidentale, on n'a cessé de voyager pour cause de religion, qu'il s'agisse, comme au temps des apôtres, de répandre la Parole, plus tard, de fuir les persécutions, ou encore de gagner son salut au terme d'une pérégrination harassante, au péril des flots, des sables et de l'infidèle. Inlassablement les prédicateurs itinérants de la Réforme, les colporteurs de Bibles, les missionnaires catholiques de l'extérieur et de l'intérieur ont arpenté et balisé l'immense et diffuse cité des hommes, dans l'espoir de la faire coïncider un jour avec la cité de Dieu, dont la structure invisible s'élevait en surplomb au-dessus d'eux.

Si l'on passe à présent du côté des traces écrites que laissent les voyages, on s'aperçoit que la religion informe, que la religion sous-tend les itinérances les plus diverses : le livre de pèlerinage, bien sûr, mais aussi tous les récits de vie qui sont des voyages métaphoriques, de l'aube au crépuscule et de l'enfance à la décrépitude, tous les récits de conversion qui se dessinent en termes géographiques, de Jean de Léry à Daniel Defoe, par un égarement suivi d'un exil et d'un retour. La religion se dissimule sous les défroques viatiques les plus diverses. Par exemple, le Nouveau Voyage d'Italie de Maximilien Misson, écrit dans les années qui suivent la Révocation, se présente comme un guide de voyage tout à la fois pratique et pittoresque, l'ancêtre du Baedeker ou du Joanne. C'est en vérité un brûlot anticatholique des plus efficaces, un antipèlerinage qui inventorie jusqu'au vertige les preuves de la superstition populaire encouragée par les élites. L'écriture du voyage, alors, met la religion à l'épreuve. Loin de vérifier la pertinence d'un lien, elle s'emploie à dénouer les liens fallacieux qui enchaînent les consciences.

Référencé dans la conférence : 14e Colloque international du CRLV : Récit de voyage et religion
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