L'Iter poétique dans l'Antiquité latine : du motif au genre

Conférencier / conférencière

Nous nous proposons d'étudier ici les poèmes antiques qui sont à l'origine du genre "hodéporique" de la Renaissance. Ces textes, que Nicolas et Jérémias Reusner ont inclus dans leur recueil de 1580 intitulé Hodoeporicum sive Itinerum totius fere Orbis libri VII, forment une lignée lacunaire et disparate dont il sera intéressant de reconstituer l'histoire. La question qui nous occupera sera celle de l'appartenance générique de ces poèmes latins : leur regroupement au sein d'une même classe est-il seulement le résultat d'une reconstruction postérieure, d'un travail rétrospectif de lecture mené par les érudits du XVIe siècle ? L'Iter est-il un topos qui traverse le champ de la poésie romaine ou un genre de la littérature viatique ancienne ? Il semble que Lucilius et Horace d'un côté, Ovide de l'autre, exploitent dans l'itinéraire un motif qu'ils ont tiré de l'épopée, isolé de son contexte, et traité à leur façon en en faisant une pièce de leurs recueils, selon le goût alexandrin de la fragmentation (poikilia) et du jeu érudit. Ce motif à la mode leur permet de fonder des poétiques spécifiquement romaines, celle de la satire et celle de l'élégie, en rupture avec les grands genres grecs, l'épopée en particulier . L'Ego-voyageur est une posture s'inscrivant dans un projet littéraire plus vaste. Que se passe-t-il à l'époque tardive ? Les poètes chrétiens s'inspirent beaucoup d'Ovide, et "convertissent" le motif élégiaque du voyage. Quant à Rutilius Namatianus, poète païen, il hérite lui aussi des modèles augustéens, en respecte scrupuleusement la lettre, mais procède suivant un principe d'imitatio différent de celui que cultivait la tradition hellénistique. Il étend le motif de l'itinéraire aux dimensions de son œuvre et fait se succéder des développements de genres différents (élégiaques, satiriques, épidictiques, didactiques etc.) à l'intérieur de ce cadre. Le récit de voyage devient central, et une véritable poétique lui est associée, poétique lisible dans les passages réflexifs du De Reditu. Parmi les textes qui nous ont été transmis, c'est sans doute dans celui de Rutilius que l'Iter devient genre. Corpus Lucilius, Satires, III : voyage en Sicile. Horace, Satires, I; 5 : voyage à Brindes. Ovide, Tristes, I; 10 : voyage d'exil à Tomes. Ausone, Moselle, 1-22. Rutilius Namatianus, Sur son retour. Ennode, Poèmes, I, 1 et 5. Venance Fortunat, Poèmes, VIII, 2 ; X, 9 ; XI, 2( et 26. 

"Poetic Iter in latin antiquity : from motif to genre". Our purpose here, is to study antique poems lying at the source of "Renaissance "Hodeporic" literature. The texts which Nicolas and Jeremias Reusner have included in their 1580 collection entitled Hodoeporicum sive itinerum totius fere orbis libri VII, represent a somewhat lacunar source, lacking in cohesion, whose history it will be interesting to retrace. The question we shall deal with is that of the generic filiation of these latin poems : is their being collected into the same category merely the result of a later reconstruction, of some retrospective reading carried out by XVIth century scholars ? On the other hand, is the Iter motif a "topos" found throughout roman poetry or rather a genre belonging to ancient travel literature ? Indeed, it seems that Lucilius and Horace on one hand, Ovid on the other, exploit with itineraries a motif taken from epic poetry, isolated from its context and treated by them into becoming part of their collected works in accordance with the alexandrine taste for fragmentation (poikilia) and erudite entertainment. This fashionable motif makes for the founding of specifically roman-style poetics : that of satire and elegy, a break away from the lofty greek genres, from the epic in particular. The traveller-in-the-first-person is a posture inscribing itself into a wider literary project. What is the situation in late antiquity ? Christian poets draw heavily on Ovid for their inspiration thereby operating a "conversion" of the elegiac motif of travel. As for Rutilius Namatianus, a pagan poet, he too has been inspired by Augustean models, and scrupulously respects their spirit to the letter, yet uses an imitation principle different from that cultivated by hellenistic tradition. He adapts the itinerary motif to the scope of his own work declining along the way a number of different genres (elegiac, satirical, epidictic, didactic etc...) The travel narrative becomes central, with a true poetical form attached to it as it emerges from the reflexive passages of the De Reditu. Of the the texts handed down to us, it is definitely in Rutilius' work that one may observe the "Iter" in the process of becoming a genre.

Référencé dans la conférence : 12e Colloque international du CRLV : Poésie et Voyage
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