Un philosophe face à l'Afrique : le chevalier de Boufflers gouverneur du Sénégal (1785-1787)

Conférencier / conférencière

François Bessire évoque les 592 lettres envoyées depuis le Sénégal entre 1785 et 1787 par le chevalier de Boufflers à la comtesse de Sabran. Né en 1738, ce personnage était peu attendu dans un tel environnement : issu de la meilleure noblesse lorraine, élevé à Lunéville à la cour du roi Stanislas, ce cadet de famille aurait dû avoir une carrière ecclésiastique très normale. La publication d’un conte libertin "Aline, reine de Golconde" le fait renvoyer du séminaire de Saint-Sulpice. Devenu chevalier de Malte, il participe activement à la Guerre de Sept Ans. Philosophe et athée, il voyage ; on le rencontre à Ferney chez Voltaire. Il devient l’amant d’une jeune et riche veuve, Eléonore de Sabran. En 1783, par le traité de Paris, l’Angleterre a rendu à la France ses comptoirs du Sénégal. Boufflers sollicite d’en être le nouveau gouverneur. Ses deux séjours entre 1785 et 1785 seront l’occasion de la correspondance intime entretenue avec Mme de Sabran. L’écriture réflexive du journal se combine avec l’immédiateté de la correspondance, qui parvient en Europe par paquets selon les aléas du transport maritime. Le Sénégal a, par parties à peu près égales, deux commerces de " traite " : la gomme arabique et les esclaves. Les comptoirs de bord de mer ou sur le fleuve (Gorée, Saint-Louis, Podor et Galam) sont des lieux assez misérables. Boufflers va tenter selon l’idéologie des Lumières qui l’habite d’organiser la colonie. Sa philosophie pratique est aussi nourrie des moralistes classiques : Sénèque, Montaigne et les écrivains du Grand Siècle. Une curiosité scientifique constante ; le sens de la justice, des préoccupations modernes (hygiène, urbanisme, architecture comme éléments d’une structuration physique et mentale) : l’idéal d’action de Boufflers rejoint très clairement celui des philosophes et économistes de son temps. Les idées physiocratiques sont mises en œuvre dans ses tentatives de développer la culture des productions agricoles exportables – coton et indigo. Le but est le " bonheur d’autrui ". Pourtant ces lumières ont leurs ombres : Boufflers semble, du moins dans sa correspondance avec Mme de Sabran, à peu près aveugle ou indifférent au scandale humain du commerce des esclaves dont Gorée où il réside est le centre pour la colonie. Les allusions à ce commerce, aux pertes humaines considérables avant l’embarquement pour l’Amérique sont rares et distanciées. La petite négrillonne qu’il envoie à la duchesse d’Orléans l’émeut seule : sensiblerie ? Le grand paradoxe de ces lettres est que ce philosophe homme d’action, que cet aristocrate raffiné qui épousera au début les idées de la Révolution et y participera comme constituant était indifférent à la plus criante et violente injustice faite à des êtres humains.

Stanislas, chevalier de Boufflers, "Lettres d’Afrique à Madame de Sabran". Préface, notes et dossier de François Bessire, s. l. , Babel, 1998, 453 p. (coll. " Les Épistolaires ")

Mots-clés : Sénégal. Lumières. esclavage. philosophie. action.

QUELQUES INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

Sur le chevalier de Boufflers:

Vaget Grangeat, Nicole, "Le chevalier de Boufflers et son temps, étude d'un échec", Paris, Nizet, 1976.

Sur le chevalier de Boufflers au Sénégal:

Bouteiller, Paul, "Le chevalier de Boufflers et le Sénégal de son temps (1785-1788), Lettres du Monde", Paris, 1995.

Récits de voyage au Sénégal (XVIIIe siècle):

Adanson, Michel, "Histoire naturelle du Sénégal. Coquillages. Avec la relation abrégée d’un voyage fait en ce pays pendant les années 1749, 50, 51, 52 et 53", Paris, 1757, réédité partiellement sous le titre "Voyage au Sénégal", présenté et annoté par Denis Reynaud et Jean Schmidt, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 1996.

Durand, Jean-Baptiste Léonard, "Voyage au Sénégal 1785-1786", Agasse, Paris, 1802.

Golbery, Silvestre Meinrad Xavier, "Fragments d’un voyage en Afrique fait pendant les années 1785-1786 et 1787 dans les contrées occidentales de ce continent", Paris, Treutel et Wurtz, 1802.

La Jaille, André Charles, marquis de, "Voyage au Sénégal pendant les années 1784 et 1785, avec des notes jusqu’à l’an X par P. Labarthe", Paris, Denter,1802.

Saugnier, "Relation des voyages de Saugnier à la côte d’Afrique, au Maroc, au Sénégal, à Gorée, à Galam", publiée par Laborde, Paris, Lamy,1799.

Villeneuve, René Claude Geoffroy de, "L’Afrique ou Histoire, mœurs, usages et coutumes des Africains : le Sénégal, orné de 44 planches exécutées la plupart d’après des dessins originaux inédits faits sur les lieux", Paris, Nepveu,1814.

Etudes modernes sur le Sénégal au XVIIIe siècle:

Barry, Boubacar, "La Sénégambie du XVe au XIXe siècle. Traite négrière, Islam et conquête coloniale", Paris, L'Harmattan, 1988.

Bathily, Abdoulaye, "Les Portes de l'or : le royaume de Galam (Sénégal) de l'ère musulmane au temps des négriers (VIIIe-XVIIIe siècles)", Paris, L'Harmattan, 1989.

Fluchard, Claude et Salifou, André, "L'Europe et l'Afrique du XVe siècle aux indépendances", Editions Universitaires et De Boeck Université, 1987.

Jore, Léonce, "Les établissements français sur la côte occidentale d'Afrique de 1758 à 1809", Paris, Maisonneuve et Larose,1965.

Meyer, Jean et alii, "Histoire de la France coloniale", Paris, Armand Colin,1991.

Schefer, Christian (éd.), "Instructions générales données de 1763 à 1870 aux gouverneurs et ordonnateurs des établissements français en Afrique Occidentale", tome I : 1763-1831, Paris, Champion,1921.

Sinou, Alain, "Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Saint-Louis, Gorée, Dakar", Paris, Karthala et Orstom, 1993.

Référencé dans la conférence : Littérature de voyage : lieux et idéologie
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