40 ans du CRLV
Colloque international organisée par Sarga Moussa (CNRS, THALIM) et Sylvie Requemora (AMU, CIELAM).
« VOYAGER DEPUIS LES « AILLEURS » (XVIIE-XXIE SIÈCLES). DÉCENTREMENTS VIATIQUES ».
26 et 27 septembre 2024, Paris, Sorbonne Université.
À l’occasion des 40 ans du Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages (CRLV, https://www.crlv.org/), fondé en 1984 à Sorbonne Université, et maintenant migré et dirigé par Sylvie Requemora au sein du CIELAM, on souhaite poser à nouveaux frais la question du décentrement, à entendre au sens des conséquences épistémologiques du regard porté par des voyageurs/euses étranger/ères sur l’Europe[1]. D’où le choix de modifier le point de départ habituel, puisque ces « ailleurs », précisément, ne le sont pas pour tout le monde. L’une des questions que pose d’emblée cette perspective décentrée est de savoir si la grille d’analyse « postcoloniale » (au sens d’un champ de recherche pouvant s’appliquer également à la période pré-coloniale : prise en compte des asymétries, des relations de pouvoir, etc., entre l’Europe et ses « autres », y compris avant le XIXe siècle) s’en trouve modifiée, et si oui, de quelle façon : un voyageur/une voyageuse d’un pays colonisé (ou anciennement colonisé, ou simplement non européen) visitant l’Europe porte-t-il/elle un regard spécifique, que celui-ci soit encore empreint d’une asymétrie initiale ou au contraire que celle-ci n’existe pas encore ? Y a-t-il, à une certaine époque, une tentative de renversement des hiérarchies, ou encore une volonté de se dégager du poids de l’Histoire en faisant appel à d’autres paradigmes, par exemple en valorisant les dialogues interculturels[2] ?
Notons d’emblée que les « ailleurs », tels qu’on les entend ici, peuvent aussi se trouver dans un environnement géographiquement proche : un Provincial venant à Paris, mais aussi un Suisse ou un Belge visitant la capitale française, peuvent se trouver eux aussi dans une situation d’extériorité à la fois féconde et dérangeante, celle des « marges », des « zones frontières ». Si la France fut longtemps « exemplaire » de cette centralité problématique, il nous semble qu’il faut désormais élargir la question à l’Europe dans son ensemble. Quelles nouvelles pratiques et représentations du voyage, quels nouveaux savoirs découlent de ce changement de focale ? mais aussi, peut-être, quelles anciennes « mythologies » des ailleurs (exotisme inversé ?) continuent d’irriguer cette littérature viatique considérée désormais dans une perspective mondialisée ? La prise en compte de l’image (illustrations, peintures, photographies, films...) contribue-t-elle à remodeler la représentation d’une Europe qui s’est longtemps pensée comme supérieure ? Y a-t-il quelque chose comme un « effet Lettres persanes » démultiplié dans le fait de se retrouver, pour l’Europe, dans le miroir de ses « autres » (orientaux, africains, américains, etc.), autrement dit en situation de « travelee[3] » (personne « visitée ») ?
Cette manifestation scientifique pourra aussi permettre de réinterroger la notion géographique d’« ailleurs » en l’ouvrant à d’autres formes d’« altérité », qu’elles se situent ou non dans une perspective intersectionnelle : pensons au croisement possible entre études viatiques et études de genres ou encore à la dimension religieuse, sans doute sous-estimée dans sa diversité (islam, bouddhisme..., mais aussi protestantisme et orthodoxie).
Contacts:
Sarga Moussa: sarga.moussa@cnrs.fr
Sylvie Requemora: sylvie.requemora@univ-amu.fr
Programme
Jeudi 26 septembre 2024
9h Introduction par Sarga Moussa (CNRS, directeur de l’UMR THALIM) et Sylvie Requemora (directrice du CRLV, CIELAM, IUF, Aix Marseille Université)
9h15-10h Conférence d’ouverture par Ottmar Ette (Université de Potsdam, Allemagne) :
« Tian Xia. Voyager depuis l’Orient, voyager depuis l’Occident. »
Session 1 : Le monde décentré 17e-18e siècles
Présidence : Anne Duprat (IUF, Université Picardie Jules Verne)
10h Marie-Christine Pioffet (York University, Canada) : « La découverte inversée : la France sous l’œil critique des autochtones d’Amérique (XVIe-XVIIe siècles). »
10h35 Frédéric Tinguely (Université de Genève, Suisse) : « Un regard persan ? Les Relaciones de Don Juan de Persia, alias Uruch Beg (1604). »
11h10 Pause
11h30 Mathilde Mougin (docteure Aix Marseille Université) : « L'Europe au prisme du regard étranger : élaboration d'un imaginaire de la “blanchité” dans les récits de voyage du XVIIe siècle. »
12h10 Gilles Bertrand (Université Grenoble Alpes) : « Un autre voyage d’Italie ? Le Grand Tour inversé de voyageurs chrétiens venus dans la péninsule italienne depuis l’Est européen et la Méditerranée orientale, XVIIe et XVIIIesiècles. »
Session 2 : Les savoirs décentrés, 18e-19e siècles
Présidence : Sylvie Requemora (IUF, Directrice du CRLV)
14h Huguette Krief (Aix-Marseille Université) : « Barbault-Royer, voyageur libre de couleur, indo-descendant (1767-1831) : de la déconstruction coloniale au refus du vandalisme. »
14h35 Simon Schaffer (Cambridge University, Royaume-Uni) : « Un voyageur indo-persan dans l'Europe des Lumières : désorientations des savoirs et des sciences. »
15h10 Pause
15h25 Anne-Gaëlle Weber (Université d’Artois) : « De Londres à Tahiti ou de Tahiti à Londres : le voyage du capitaine Cook vu par Omai. »
16h00 Adrien Bodiot (doctorant, Université Sorbonne Nouvelle) : « Ismaël Bouderba, explorateur entre deux rives. »
16h35 Michael Harbsmeir (Université Roskilde, Danemark) : « Europe in the eyes of its others: a comparative look at recent studies of other traditions of travel writing »
Vendredi 27 septembre 2024
Session 3 : Voyages vers la France
Présidence : Frédéric Tinguely (Université de Genève)
9h Sébastien Douchet (Aix-Marseille Université) : « Les ailleurs d’un homme en fuite. Voyages et livres d’Hubert Gallaup de Chasteuil (1624-1679). »
9h35 Vanezia Parlea (Université de Bucarest, Roumanie) : « Entre « ici(s) » et « ailleurs » : le voyage d’Alep à Paris de Hanna Dyâb au temps de Louis XIV. »
10h10 Philip Mansel (Centre de recherche du Château de Versailles) : « Voyageurs anglais à Versailles, de Charles II à Marie Antoinette : la société de cour comme moyen de rapprochement international. »
11h Malgorzata Sokolowicz (Université de Varsovie, Pologne) : « “J’ai été élevé dans le mythe de la France. Mais maintenant… ”. La “Douce France” décentrée selon Andrzej Bobkowski. »
11h35 Ons Debbech (Université Paris 8) : « L’Europe au miroir de l’Ailleurs dans les Lettres de Sidy-Mahmoud, écrites pendant son séjour en France en 1825 de René-Théophile Chatelain. »
12h10 Irini Apostolou (Université nationale et capodistrienne d'Athènes, Grèce) : « Regards grecs sur la France des années 1950 : le récit de voyage entre continuité et discontinuité. »
Session 4 : Le monde reconfiguré, 19e-20e siècles
Présidence : Sarga Moussa (CNRS/THALIM)
14h30 Randa Sabry (Université du Caire, Égypte) : « Les voyageurs égyptiens et les espaces du religieux en Europe (1830-1950). »
15h05 Claudine Le Blanc (Université Sorbonne Nouvelle) : « Pour qui écrit le voyageur ? Récits viatiques de l’Inde moderne (XIXe-XXe siècles). »
15h40 Muriel Détrie (Université Sorbonne Nouvelle) : « Les récits de voyage de Chiang Yee, le “voyageur silencieux” »
16h15 Pause
16h30 Romuald Fonkoua (Sorbonne Université) : « Retour sur le voyage à l’envers »
17h05 Christina Kullberg (Université d’Uppsala, Suède) : « L’état nomade : repenser le regard du voyageur à travers Baskets de Jean-Claude Charles. »
17h40 Conclusions, par Sarga Moussa et Sylvie Requemora
Fin 18h00
Notes de pied de page
Bien que cette approche décentrée soit toujours minoritaire, en tout cas en France, voir quelques ouvrages précurseurs : Claudine Le Blanc et Jacques Weber (dir.), L’Ailleurs de l’autre. Récits de voyageurs extra-européens, Rennes, PUR, 2009 ; Silke Segler-Messner (dir.), Voyages à l’envers, Strasbourg, PU de Strasbourg, 2009 ; Romuald Fonkoua, dans « Le “voyage à l’envers”. Essai sur le discours des voyageurs nègres en France », dans ID., Les Discours de voyages, Paris, Karthala, 2009, p. 115-145. En langue anglaise, signalons le récent ouvrage collectif dirigé par Doris Gruber et Arno Strohmeyer, On the Way to the « (un)known ». The Ottoman Empire in Travelogues (c. 1450-1900), Berlin, De Gruyter, 2022, qui comporte plusieurs contributions rédigées dans une perspective non-eurocentrique. Michael Harbsmeier a par ailleurs publié, depuis le début des années 1990, un certain nombre d’articles portant sur la question du regard extérieur porté sur l’Europe, ainsi « Fremde Blicke », dans Berichten, Erzählen, Beherrschen, Susanna Burghartz et al. (dir.), Francfort/M., Klostermann, 2002, p. 455-476.
Voir Hans-Jürgen Lüsebrink et Sarga Moussa (dir.), Dialogues interculturels à l’époque coloniale et postcoloniale. Europe, Maghreb, Afrique occidentale (de 1830 à nos jours), Paris, Kimé, 2019. Voir aussi Randa Sabry (dir.), Voyager d’Égypte vers Europe et inversement : parcours croisés (1830-1950), Paris, Classiques Garnier, 2019.
Mary Louise Pratt, Imperial Eyes. Imperialism and Transculturation [1992], Londres et New York, Routledge, 2008, p. 8.