Je précise d’emblée que la question sera centrée sur l’océan Indien, et plus précisément sur les créoles suivants : seychellois, mauricien. Lorsque deux langues sont en contact dans une aire donnée, on appelle « substrat » celle des deux qui est la première à avoir existé dans l’aire en question. Nombre de créolistes ont coutume d’appeler également « substrats », par extension et un peu improprement dans certains cas, les langues dites « serviles », c’est-à-dire les langues parlées initialement par les peuples colonisées soumis à l’esclavage. Cela présuppose que ces langues auraient joué un rôle non négligeable lors de la créolisation, entendue comme la genèse des langues créoles, et auraient laissé des traces décelables. Cette notion de substrat, qu’elle soit reconnue ou non sur le plan théorique, invoquée explicitement ou non, se retrouve déjà, au moins à un niveau sous-jacent, dans des écrits anciens (18e, 19e siècles) sur les créoles. Qu’il soit ou non valide de l’invoquer, elle est au cœur de la question du métissage linguistique et de la représentation des langues créoles, que ce soit dans l’idéologie générale ou dans le champ de la linguistique spécialisée. Lors des dernières décennies, elle a parfois donné lieu à des positions extrêmes et scientifiquement contestables, et elle est en tout cas l’objet de débats parfois très vifs au sein de la communauté des créolistes, sans doute parce que c’est la question des origines qui est en fait posée et que les enjeux, idéologiques notamment, dépassent largement le cadre de la linguistique. Je présenterai un bref historique et une synthèse de ces débats, en alimentant la réflexion par la présentation de quelques données représentatives. Ensuite, je soumettrai à l’épreuve des faits la notion de substrat appliquée à la créolistique de l’océan Indien, avec une attention particulière accordée au domaine seychellois et mauricien. Enfin, je montrerai, par la méthode comparative, que les principes que l’on peut proposer à partir de l’observation du domaine indiqué ci-dessus ne vont guère dans le sens des “substratistes”, mais qu’il ne serait pas pour autant légitime de postuler que ces principes ont une valeur universelle, applicables à toute situation de contact ayant donné naissance à un pidgin ou à un créole. L’hypothèse que je défendrai est que seuls le comparatisme et la prise en considération d’un vaste ensemble de paramètres (linguistiques — synchroniques et diachroniques —, mais aussi sociaux, ethniques, historiques, géographiques, etc.), associés au souci du respect des faits, peuvent faire progresser le débat et rendre compte des différences.
Référencé dans la conférence : Idées et représentations coloniales dans l'océan Indien XVIIIe-XXe siècles
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