Cendrars A bord de Normandie.

Conférencier / conférencière

« A Bord de la Normandie » fut le seul véritable reportage réalisé par Blaise Cendrars. Embarqué par la lame de fond de la presse écrite, qui connaissait alors son âge d’or, il fut l’un des nombreux écrivains qui couvrit la traversée inaugurale du paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique. Mais à l’instar de ce chef d’œuvre de l’industrie maritime française, il reste aujourd’hui peu de traces de l’industrie journalistique du reportage, comme si ce continent des lettres avait lui aussi sombré corps et âme.
Myriam Boucharenc, qui prépare actuellement l’édition du volume des reportages de Cendrars des Œuvres complètes chez Denoël (à paraître en 2006), revient d’abord dans cette intervention sur le contexte de ce reportage : la couverture médiatique considérable qui commença dès la construction du navire et qui culmina lors de la première traversée où se côtoyèrent les reporters du Journal, du Figaro, de La Revue de Paris et de Paris Soir. Ce dernier journal chargeant même deux écrivains, Claude Farrère et Blaise Cendrars, de chroniquer l’événement, chacun à sa façon et depuis son poste de prédilection : allongé sur un transat pour le premier, arpentant les soutes pour le second.
Revenant sur la carrière de Cendrars reporter, la critique remarque qu’il ne cadre avec aucun des types de reporters proposés par Jules Huret (les « irréductibles », les « reconvertis », les « transfuges », les « inconditionnels des deux plumes », les « intermittents », les « professionnels », les « engagés »), et souligne que la période des grands reportages correspond aux années creuses de son œuvre. Plus que la recherche d’une nouvelle inspiration, ou que la seule préoccupation alimentaire, l’auteur a sans doute cédé à la mentalité de l’époque. Le goût du risque, l’appel de l’inconnu, l’attrait du « journalisme de grand air » vont droit au cœur de celui dont la devise est : « primum vivere, deinde philosophare ». Et puis le succès de cette « littérature active » l’assure d’une audience qui lui épargne le sentiment d’inutilité de l’écriture. Sa vocation de reporter est, on le voit, marquée de nombreuses réticences quant au genre lui-même. D’ailleurs, lorsqu’il en reprendra des éléments, c’est en les fondant discrètement dans son œuvre fictionnelle comme pour en effacer les marques. Et s’il la publie intégralement c’est chez des éditeurs et dans des collections de luxe.
Myriam Boucharenc revient ensuite sur les aventures du texte : de sa genèse, concertée avec Pierre Lazareff, aux multiples projets de publication dont la plupart sont restés lettres mortes.
Finalement la question est de savoir s’il y a une poétique du reportage propre à Cendrars et quels en sont les traits principaux. La première question est motivée par les prises de position de l’écrivain lui-même. Faisant l’éloge de la subjectivité, affirmant que le reporter doit se faire poète pour être voyant, reprenant les formules de Schopenhauer et de la modernité baudelairienne, il se situe résolument dans la contestation des principes du journalisme. Il ne cherche pas à donner l’illusion de la chose vue, multiplie les effets de liste et exhibe les traits de littérarité comme les références à son œuvre. L’hypothèse anagrammatique de l’épisode du rat « Moustachu » dans le dernier article en donne une illustration. Le premier trait de cette anti-poétique du reportage pourrait se résumer dans cette formule : c’est le monde qui avère la subjectivité de l’écrivain et non le reporter. Le second trait est le point de vue paradoxal, le choix des soutes et de l’enquête technique. Pour Cendrars, la précision de la description est justement ce qui permet de suggérer le mystère du réel.
Mais force est de constater que les contraintes très grandes de cette série d’articles lui ont également fait adopter les clichés journalistiques et parfois cocardiers. L’angle paradoxal lui-même est un lieu commun. Le reportage n’a donc été pour Cendrars qu’une écriture de survie. L’apologie du « navire électrique » est peut-être à prendre comme une marque suprême d’autoironie et l’anecdote du rat comme l’esquisse d’un possible roman.

Eléments bibliographiques:

- Cendrars, Colette, Farrère, Wolff, A bord du Normandie. Journal transatlantique, Le Passeur, 2003.
- Miriam Cendrars, Blaise Cendrars l'or du poète , découvertes Gallimard Littérature, 1996.

Référencé dans la conférence : Journalisme et relation de voyage au tournant des XIXe et XXe siècles
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