L'abbé Prévost romancier et éditeur de voyages

Conférencier / conférencière

Comme cela se produit pour de nombreux romanciers du XVIIIe siècle, la dette des romans de Prévost, notamment Manon Lescaut (1731) et Cleveland (1731-1739), à l'égard des récits de voyage, tant sur le plan de la forme que de celui du contenu, saute aux yeux du lecteur familiarisé avec la littérature de voyage. Mais, dans le cas particulier de Prévost, nous avons la chance de disposer en outre d'une collection de voyage complète, l'Histoire générale des Voyages (1744-1759), qui va nous permettre de confronter les deux types d'écriture, écriture romanesque et écriture du voyage, chez le même auteur. Avec Prévost, le lecteur s'embarque dans un roman comme dans un voyage et dans un voyage comme dans un roman, ce qui n'est pas sans poser quelques intéressants problèmes d'ordre narratif autant que scientifique.
I . ROMAN ET VOYAGE.
La familiarité de l'auteur de Manon Lescaut et de Cleveland avec les récits de voyage apparaît à plusieurs niveaux. D'une part, elle lui permet d'éviter les clichés de la propagande officielle, en infléchissant le récit dans le sens d'une plus grande exactitude, qui ajoute paradoxalement à l'exotisme. C'est le cas, par exemple, dans Manon Lescaut pour la présentation des habitations de la Nouvelle-Orléans, que Prévost décrit à la suite du P. Charlevoix comme de "pauvres cabanes", alors que les documents officiels faisaient état de "maisons commodes". D'autre part, on peut lire, sans forcer le texte, le parcours intérieur de ses héros narrateurs en termes spatiaux : les mouvements du coeur, chez Prévost, ont quelque chose à voir avec ceux des voyageurs.
II . VOYAGE ET ROMAN
Inversement, il arrive que l'Histoire générale des Voyages, qui, dans l'esprit des Lumières, vise à constituer, à partir des récits de voyageurs de tous temps et de tous lieux, un savoir universel, prenne pourtant dans la traduction de Prévost des aspects romanesques. Ainsi, Prévost juge bon de réécrire la narration du Portugais Pinto en faisant parler le voyageur, dans l'unique but de rendre la lecture plus agréable. Ailleurs, il brode sur la première découverte du Brésil, afin de transporter le lecteur en exaltant l'héroïsme de l'aventurier. Ou encore il brosse sur les rivalités coloniales de puissants tableaux dignes des plus piquants romans d'aventures.
Jouant sur les deux types d'écriture, celle du roman et celle du voyage, Prévost rend ainsi le roman plus vrai, conformément à un critère cher aux romanciers du XVIIIe siècle, et il confère aux récits de voyage des accents romanesques, qui correspondent au goût des lecteurs du temps. Les deux genres alors se rejoignent sous le sceau de la littérature d'évasion.

Référencé dans la conférence : Roman et récit de voyage
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