Le voyage de Josef: Josef Koudelka et le tournage du Regard d'Ulysse de Theo Angelopoulos.

Conférencier / conférencière

Jean-Pierre Montier, professeur de littérature et spécialiste d’esthétique, s’intéresse depuis longtemps à l’étude comparée des différentes formes de représentation du réel, comme dans ses deux ouvrages : L’Art sans art d’Henri Cartier Bresson et Josef Koudelka, l’épreuve totalitaire. Il consacre cette intervention, intitulée « le voyage de Josef : Josef Koudelka et le tournage du Voyage d’Ulysse de T. Angelopoulos », à l’analyse croisée de deux regards d’auteur.
Le regard du photographe Josef Koudelka se pose en 1995 sur l’entreprise cinématographique de Théo Angelopoulos, reportage qui aboutit en 1998 à une exposition à Thessalonique alors capitale culturelle de l’Union européenne. Le projet peut sembler traditionnel, la photographie de plateau est l’un des genres imposés du reportage photographique – Josef Koudelka l’a d’ailleurs pratiqué dans sa jeunesse auprès des dramaturges de Prague –, mais il est en réalité ambitieux en ce qu’il confronte deux univers singuliers, voire étrangers tant au plan visuel qu’idéologique.
Le film de T. Angelopoulos s’insère dans une trilogie sur la mémoire territoriale et politique des Balkans. Après Le pas suspendu de la cigogne (1991), et avant L’Eternité et un jour (1998), Le regard d’Ulysse (1995) est un film sur les origines, la quête d’un regard perdu, celui d’Ulysse censé porter toute la mémoire humaine. Tourné pendant la guerre de Yougoslavie, et utilisant des images d’archives de 1905, le film superpose les strates historiques. Une statue de Lénine remonte le Danube sur une barge pour être vendue comme souvenir à Berlin, cette nouvelle odyssée interrogeant le rapport à l’histoire, à la mémoire et à la frontière. Cette traversée d’un territoire, où se retrouve l’empreinte du système communiste, est ambiguë, le point de vue oscillant entre la critique d’un système et la nostalgie pour une utopie. Le rêve commun d’un voyage historique est perdu et regretté.
Regret que ne partage pas Josef Koudelka, qui depuis l’invasion soviétique à Prague en 1968, s’est toujours opposé au communisme. La photographie de celui pour qui le photographe est toujours en exil est caractérisée par l’iconoclastie, l’antilyrisme, et la logique biplanaire. L’intérêt pour la statuaire monumentale et politique peut, en effet, se comprendre par ce désir de mettre à terre ces pierres de touche d’une politique sacralisée jusqu’au culte de la personnalité. La constitution d’un bestiaire où le chien errant occupe une place centrale joue à la fois comme une figure symbolique de l’auteur, mais aussi comme un indice de la dimension satirique de la photographie. L’antilyrisme est dans les immeubles mitraillés, dans les fils barbelés, dans ce qui empêche toute idée de pureté ou de vérité. Une vérité mise à mal par la rhétorique totalitaire où tout est faux, des discours politiques à l’insouciance des enfants.
Inscrit dans les marges de la logique du film, le reportage photographique de Koudelka creuse le rapport au politique. Le voyage d’Ulysse, par son entremise, ne mène nulle part, ne prend sa source nulle part, mêle toutes les routes de l’Europe, et ne nous entraîne que vers une frontière glacée semblable à l’Adès. Dans ce mouvement en forme de spirale, ce qui est au centre ne relève ni de la politique, ni de l’histoire mais de la quête anthropologique. La seule confirmation apportée à l’homme ne touche pas à la vérité mais à la déchirure.

Eléments bibliographiques:
- Le Regard d'ulysse de Théo Angelopoulos, 1995, grand prix du jury au festival de Cannes.
- Jean-Pierre Montier, Josef Koudelka, l'épreuve totalitaire, éditions Delpire-Actes Sud, 2005.

Référencé dans la conférence : Journalisme et relation de voyage au tournant des XIXe et XXe siècles
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