L’étude porte sur deux dictionnaires géographiques du XVIIIe siècle : celui de Bruzen de la Martinière très souvent réédité et celui de l’_Encyclopédie méthodique_ de Panckoucke dirigé par Masson de Morvilliers et François Robert, qui complète le dictionnaire de géographie ancienne de Mentelle pour la même encyclopédie. Il s’agit de « géographie positive », d’une compilation, d’une accumulation, mais « critique ». Les dictionnaires géographiques de la Renaissance avaient pour premier but de faciliter la lecture des textes anciens. Les notices des dictionnaires du XVIIIe siècle concernent ce qu’il y a de « remarquable » dans le lieu considéré. D’où l’utilisation des récits de voyage comme source d’information critique. La Martinière se méfie de la qualité et de la véracité de ces récits. Dans le « Discours sur la géographie » placé en tête de son dictionnaire, Masson de Morvilliers critique l’_Encyclopédie_ de Diderot et D’Alembert en la personne du chevalier de Jaucourt, auteur et compilateur de la plupart des articles géographiques de l’entreprise. En s’appuyant sur les apports empiriques des récits de voyage, il s’agit de sélectionner les informations positives. D’une certaine manière aussi, selon Robert, le géographe suscite les découvertes par ses interrogations. Mme Leboulais-Lesage prend l’exemple des articles traitant de l’Amérique dans les deux dictionnaires. Une des grandes interrogations du XVIIIe siècle concerne le passage du Nord entre le Pacifique et l’Atlantique. Chez La Martinière, l’article « Amérique » à neuf pages, celui de Masson vingt-quatre. Ce dernier est rédigé par Cornelius De Pauw. Outre une description physique divisée en grandes régions chez La Martinière, les articles traitent de géographie humaine (villes, etc.). Les récits de voyage et les diverses compilations de ce type sont mis à contribution. La Martinière exploite, par exemple, le père Charlevoix, Dampier, mais aussi les cartographes français du XVIIe siècle. Il signale les éditions utilisées. La _ Méthodique_ va jusqu’à fournir la pagination. Cela vise à provoquer un effet de réel (« Les voyageurs nous apprennent »), mais aussi à ne pas trop rêver l’univers (critique de quelques grands mythes américains : les Patagons et les Amazones). C’est pourquoi La Martinière traite aussi de lieux imaginaires ou non confirmés : la connaissance critique est en marche. La _ Méthodique_ a aussi un intérêt pour la toponymie. En conclusion, on peut dire que la compilation est pour ces dictionnaires un dispositif d’écriture qui tend à intégrer l’horizon de l’expérience.
Mots-clès : littérature géographique. Lumières. encyclopédisme. édition.
SOURCES :
Le Grand Dictionnaire géographique, historique et critique par Bruzen de la Martinière, Nouvelle édition corrigée et amplement augmentée, Paris, 1726-1739.
MASSON DE MORVILLIERS (Nicolas), Robert (François), Encyclopédie méthodique, Dictionnaire Géographique, Paris, Panckoucke, 1783-1788.
QUELQUES TRAVAUX :
BESSE (Jean-Marc), Les grandeurs de la terre. Essais sur la transformation du savoir géographique au XVIe siècle, Thèse de doctorat de l’Université de Paris I, 1999.
BOURGUET (Marie-Noëlle), « La collecte du monde : voyage et histoire naturelle (fin XVIIe-début XIXe) », Le Muséum au premier siècle de son histoire, Paris, Muséum National d’histoire naturelle, 1997.
BOUSQUET-BRESSOLIER (Catherine) (dir.), L’œil du cartographe et la représentation géographique du Moyen Age à nos jours, Paris, C.T.H.S., 1995.
BROC (Numa), La géographie des philosophes. Géographes et voyageurs français au XVIIIe siècle, Paris, Ophrys, 1975, p. 249
COHEN HALIMI (Michèle), MARCUZZI (Max) (éd.), Géographie de Kant, Paris, Aubier, Bibliothèque philosophique, 1999.
DUCHET (Michèle), Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, réédition.
LABOULAIS-LESAGE (Isabelle), « Les géographies de l’Encyclopédie méthodique », in BLANCKAERT (Claude), PORRET (Michel), L’Encyclopédie méthodique : des Lumières au positivisme, Actes du colloque de Genève, mai 2001, à paraître.
LABOULAIS-LESAGE (Isabelle), « Voyager en géographe au XIXe siècle », in Les guides imprimés du XVI au XXe siècle. Villes, paysages, voyages, textes réunis et publiés par Gilles Chabaud, Evelyne Cohen, Natacha Coquery, Jérôme Pénez, Paris, Belin, p. 475-485.
LABOULAIS-LESAGE (Isabelle), « Les géographes français de la fin du XVIIIe siècle et le terrain : recherche sur une paradoxale absence », L'Espace géographique, 2001, n°2, p. 97-110.
PASSERON (Irène), « La forme de la terre est-elle une preuve de la vérité du système newtonien ? », in LECOQ (Danièle), CHAMBARD (Antoine) (dir.), Terre à découvrir, terres à parcourir. Exploration et connaissance du monde XII-XIXe siècles, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 128-145.
RETAT (Pierre), « L’âge des dictionnaires », in CHARTIER (Roger), MARTIN (Henri-Jean) (dir.), Histoire de l’édition française, Le livre triomphant 1660-1830, Paris, Fayard, 1990, p. 232-241.
PLAN DE L’EXPOSE
1. Le discours de la méthode : géographie et récits de voyages
2. Les récits de voyage comme preuves d’érudition
3. Les récits de voyage comme gages de véracité