Sur les sentiers de la gloire: le Club Alpin de Bordeaux (Gilles Duval)

club alpin

 

Après l’histoire du Club Alpin de Toulouse écrite par Santiago Mendieta, (Toulouse : Privat, 2016), voici celle de la prestigieuse Section de Bordeaux. Ses titres de gloire sont nombreux : en 1889, la première du Couloir de Gaube (course de glace de niveau mondial), avec deux guides de Gavarnie ; la création des premières compagnies de guides des Pyrénées ; la promotion du ski (un peu à contrecœur), l’ouverture de chemins et de sentiers, l’aménagement du territoire par le chemin de fer, en partenariat avec la Compagnie du Midi ; la construction d’abris puis de refuges, dont Bayssellance (en 1899, dans le massif du Vignemale), qui fit sensation à l’Exposition de 1900.

Je ne connais pas d’autre étude d’une Section locale du Club Alpin en France. Etant chargé de la conservation de ses archives, je peux assurer qu’elles n’ont jamais été dépouillées systématiquement jusqu’à ce jour. Remarquables par leur continuité, elles sont complétées par un document unique en son genre : le double de la correspondance d’Adolphe Jaeggi, Délégué aux Guides de 1899 à 1910, années cruciales. L’autre versant est éclairé par les registres de la Section de Pau, l’ennemie de toujours.

En quelque sorte on est confronté à des puzzles mélangés dans une même boîte. Une fois triés, les textes parlent d’eux-mêmes. Il suffit pour les rendre compréhensibles de mettre en lumière les articulations manquantes et les logiques cachées. Les différences de tonalités et de points de vue, les processus de prise de décision ne peuvent émerger qu’en privilégiant la confrontation des sources. Les extraits s’expriment très bien d’eux-mêmes et appellent peu de commentaires. C’est la seule façon de permettre au lecteur de se faire une opinion. L’analogie est certes galvaudée ; il n’en reste pas moins que cette recherche s’apparente fort à une enquête policière, mais sans meurtre ni coupable.

 

On voit s’y dessiner les rapports complexes avec les alliés de circonstance (Lyon), les vassaux menaçants (Pau), la Direction Centrale à Paris (rien n’est possible sans elle ; tout est compliqué avec elle), et les grands oubliés et incompris (les Pyrénéens, divisés contre eux-mêmes, méprisés et instrumentalisés par tous). Ceci n’est pas une légende, et l’on ne peut que le déplorer. Les Pyrénéens ont déjà beaucoup à faire à défendre leurs intérêts communs face à Bordeaux, plus encore à faire entendre (pour ne pas dire admettre) les spécificités du droit foncier pyrénéen. Pire encore, les vallées sont divisées entre elles : Cauterets contre Barèges, au sujet du recrutement des guides et des tarifs pour les courses de haute montagne ; cela reste un motif de mauvaises relations entre les Compagnies et la Section tout au long de l’histoire alors que cette dernière avait largement les moyens de satisfaire leurs justes revendications.

« Club » et « alpin », c’est une institution spécifiquement bordelaise, où la haute bourgeoisie joue un rôle prépondérant : négociants protestants, aristocrates catholiques, magistrats, architectes, Professeurs de Droit et de Médecine, avocats, hommes politiques. Très réticente par rapport à l’alpinisme sportif et à la recherche de la difficulté, elle est plutôt misogyne, mais beaucoup moins que la petite bourgeoisie de Pau, et plus ouverte aux jeunes. On n’en finirait pas de nommer ses membres célèbres : le Prince Roland Bonaparte, Charles Gide, Léon Duguit, Franz Schrader (géographe, Président du Club Alpin), la famille Calvet, Alfred Kastler (Prix Nobel de Physique), etc. Nous pensions tout savoir de l’apogée du pyrénéisme. Erreur. Cénacle de banqueteurs snobs, pépinière d’hommes politiques, voire agence matrimoniale. Certes, mais bien plus encore. C’est à une minorité active (Léonce Lourde-Rocheblave, le maire de Bordeaux Adrien Bayssellance, Schrader, l’architecte Touzin) que nous devons les plus belles réalisations de Bordeaux. La guerre de 14-18 entraîne un arrêt complet des activités, les morts sont nombreux ; la Section traverse la Deuxième Guerre Mondiale en se fixant pour but d’assurer sa survie tout en freinant autant que possible les projets de Vichy (moins de morts, mais de nombreux prisonniers). Alors que la Section du Sud-ouest hésite encore entre élitisme social et recrutement massif, la montée de la concurrence, aggravée par son éloignement des montagnes, la fait entrer dans une période de déclin relatif, mais elle continuera son action sous d’autres formes. Gilles Duval porte sur cette épopée un regard à la fois admiratif et irrévérencieux, voire facétieux.

 

Gilles DUVAL

Natif du piémont pyrénéen, Gilles Duval est également l’auteur de Henry Russell et les Pyrénées (L’Harmattan, 2016) ; de Façons de voir, façons de regarder. Les Pyrénées et leurs explorateurs (L’Harmattan, 2021) ; Denis SAINT-JEAN (pseudonyme), Montagnes Pyrénées : Aventures drolatiques sur route, sur le(s) flanc(s) et dans les airs (Les Impliqués, 2019) . Il est encadrant bénévole en randonnée au Club Alpin de Bordeaux. Il pratique diverses activités en montagne.

 

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