Voyage et souvenir : Sur les chemins du temps

Yoonhee Suh, "Memory Gap"

Yoonhee Suh, "Memory gap"

 

Appel à contribution

 

Astrolabe n° 53

Sous la direction de Patrick MATHIEU

 

Lorsque Lévi-Strauss, dans Tristes tropiques, écrit : « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité », il sonne le glas d’un certain voyage, fait le constat de son impossibilité à réenchanter le monde, et le range d’emblée dans le domaine de l’illusion. Si la littérature de voyage n’avait pas attendu le XXe siècle pour se faire subjective et accorder une grande place au lyrisme, il convient de relever que la poétique du fragment et du discontinu a particulièrement servi l’irruption du moi et la relation des états de conscience en surimpression du discours du monde. Cette illusion du souvenir nous intéresse présentement ; souvent utilitaire et à l’origine du récit, le souvenir a progressivement acquis sa place à l’intérieur même des récits de voyage, en tant que vecteur ou adjuvant d’un déplacement spatio-temporel, et témoin d’une recherche des marges de l’écriture intime.

On pense à Chateaubriand en promenade entendant, du haut d’un bouleau, une grive qui le transporte dans l’enfance et le domaine paternel : il quitte Montboissier pour Combourg et revit la tristesse de la mélancolie, ce qui lui inspire la métaphore du navigateur qui « abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître ». Perdu dans les brumes étouffantes de Ceylan, Nicolas Bouvier reçoit  une lettre de sa mère convoquant malgré lui la figure de l’enfant à barrette dans les cheveux, et constate la distance symbolique et culturelle qui le sépare de ses parents. Comment ne pas mentionner Rousseau et ses rêveries quand celui-ci fait le tour de l’île de Saint-Pierre du lac de Bienne : le locus amoenus fait remonter les souvenirs qui lui permettent de se constituer à son tour par l’écriture. Flaubert, en route pour l’Orient, écrit le souvenir que lui cause le voyage en diligence, souvenir de la fraîcheur de sa dix-septième année ; plus loin, en bateau pour Malte, il se souvient étrangement des guerres puniques… Récemment, Michel Onfray, dans La Sculpture de soi, pérégrine à Venise pour retrouver, dans un rêve philosophique, le sens de la virtù ; car le souvenir en voyage réveille la conscience endormie et figure aussi cette part de déjà-vu personnelle ou symbolique, à laquelle le découvreur espère intimement et sans doute inconsciemment se confronter.

Ce numéro 53 sera consacré aux souvenirs du voyage -  et dans le voyage - par exemple, en analysant des extraits d’œuvres de littérature viatique ou fictionnelle, ou exprimant le déplacement du corps, en relation avec le surgissement du souvenir.

Pourront être abordés différents axes non exhaustifs :

  • Le souvenir comme voyage à part entière : plongée, traversées, exotisme, douleurs et souffrances de l’éloignement…
  • Le souvenir comme crise identitaire, diffraction du moi, dystopie : figuration (allégorie, symbole), condensation (métaphore, métonymie), déplacement (hyperbole, litote…).
  • Le souvenir comme déplacement/transposition poétique du monde observé et traversé par le voyageur.
  • Esthétique du souvenir dans le genre littéraire du voyage : finalités, mise en scène, dispositifs…
  • Le sens accordé au souvenir dans la démarche mathésique et didactique de l’écrivain-voyageur.

 

Propositions à rendre avant le 2 avril 2022. Il est demandé de ne pas dépasser 500 mots maximum.

Courriel : infos.astrolabe@gmail.com