Conclusions

Conférencier / conférencière

Le séminaire a surtout traité du voyage en Italie, du Grand Tour. Par rapport aux voyages au long cours, de l’Orient aux Amériques et ailleurs, ces voyages sont déjà une forme première du tourisme, dans la mesure où ils n’ont pas, comme les autres, une finalité professionnelle. Le voyage d’Europe, dans ses relations rédigées entre le 16e et le 18e siècle principalement, est au mieux un voyage d’information scientifique, technique ou scientifique, mais le plus souvent c’est une entreprise d’éducation pour l’aristocratie européenne. Il convient de compléter ce catalogue par divers autres types de voyage qui n’ont pas été envisagés dans le séminaire : le voyage européen dans le roman, les voyages amusants, les voyages patriotiques et les nouveaux voyages de découverte (la montagne). Contrairement à l’utopie romanesque où l’on fait intervenir un voyageur quittant le monde réel pour l’univers clos et invérifiable de l’île d’utopie, le roman du voyageur étranger fictif dans un univers réel se présente le plus souvent comme une correspondance à une ou plusieurs voix. Le regard étranger est choisi au plus loin. Le procédé apparaît au 17e siècle avec _L’Espion turc dans les Cours_ (titre habituel) (1684) de Jean-Paul Marana, un volume porté à six lors des nombreuses rééditions. Cette correspondance à une voix couvre le règne de Louis XIII et une partie de celle de Louis XIV ; le Turc qui vit à Paris rapporte les événements, politiques et autres qui viennent à sa connaissance. Le voyage s’oublie vite. En 1699, paraissent les _Amusements sérieux et comiques_ de Charles Dufresny : c’est le récit très plaisant du séjour d’un Siamois à Paris. Depuis les années 1680, et la visite à Paris des ambassadeurs siamois, le Siam est à la mode. Le texte de Dufresny joue sur les incompréhensions qu’a le Siamois de la société européenne (il prend, par exemple, une scène de tripot pour une cérémonie religieuse). Le texte est un récit à la troisième personne, et non une correspondance. En revanche, comme l’on sait, les _Lettres persanes_ (1721) sont une correspondance polyphonique où Montesquieu fait intervenir deux regards divers : Usbek et son sérieux, Rica et sa légèreté au milieu de la société parisienne. Ce modèle absolu aura une large descendance de _Lettres turques_, de _Lettres iroquoises_, etc. Citons néanmoins les _Lettres d’une Péruvienne _ (1747) de Mme de Graffigny, correspondance de Zilia, princesse exilée à Paris, avec Aza,, son amant resté au Pérou, où s’exprime, outre un féminisme original, un renversement de perspectives dont sont victimes les « sauvages impies » européens. Le voyage badin, amusant ou fantaisiste est autre forme de « voyage européen » littéraire. Les modèles naissent au 17e siècle : lettres du voyage de La Fontaine en Limousin (1663), promenade du poète rédigée sous forme de lettres en prose et en vers (prosimètres) ; et surtout, la même année, le _Voyage de Chapelle et Bachaumont_, grand classique du genre, très souvent republié, promenade à travers la France de deux esprits libertins (Chapelle était un ami de Molière et de Cyrano de Bergerac). Le _Voyage de Paris à Saint-Cloud par mer et par terre _ (1748) de Louis Balthazar Néel, un autre succès de librairie, accumule tous les poncifs de la littérature de voyage, dont les attaques de pirates barbaresques, dans ce qui n’est qu’une simple promenade sur la scène transformée en aventure maritime et terrestre. Mais le chef-d’œuvre du genre est _A Sentimental Journey_ (1768) de Laurence Sterne, ecclésiastique protestant irlandais et grand humoriste. Immédiatement traduit en français sous le titre de _Voyage sentimental_, ce récit d’une visite de Yorick – double de Sterne_ en France refuse la relation suivie, pratique la diversion et s’intéresse à Paris moins aux monuments de Parisiens qu’aux marchandes de mode et autres frivolités. Esprit léger s’il en est, il a oublié que la France était en guerre avec l’Angleterre : il se rend à Versailles pour rencontrer le ministre Choiseul qui lui délivre un passeport ! Au cours du 18e siècle, le voyage d’Europe, menacé d’être répétitif, se diversifie en littérature de divertissement et en voyages-miroirs. Mais, au 18e siècle, se développe une forme annexe du Grand Tour, le voyage patriotique, qui est une variante du voyage d’information culturelle, mais davantage orienté vers les nouveautés techniques adaptables : les effets de la première révolution industrielle en Angleterre, les progrès de l’agriculture (A. Young en France en 1787-1789 et « l’agriculture éclairée ») C’est aussi l’époque où s’ouvre un nouvel espace du voyage la montagne (voir le séminaire du printemps 2008 : http://www.crlv.org/swm/Page_colloque_detail.php?P1=61 ) : jusqu’alors les voyageurs français se rendant en Italie, de Montaigne à Montesquieu, et, traversant les Alpes, ne voient dans les paysages que gouffres « affreux » et sommets inhospitaliers qui s’opposent à des vallées fertiles, que des populations primitives et enlaidies de goitres. Les voyageurs anglais du début du 18e siècle, souvent des peintres, découvrent, les premiers, les beautés et la grandeur des sites alpestres. Mais, dès le 16e siècle, une idéologie helvétique, protestante et patriotique, voit dans la montagne, lieu d’épuration morale, le mur protecteur contre la corruption papiste qui règne au-delà. A la fin du 18e siècle, en particulier avec Horace- Bénedict de Saussure naît à la fois l’alpinisme en tant que discipline sportive et la littérature de la montagne souvent fille d’enquêtes géologiques ; elle sera suivie du pyrénéisme fondé par Ramond de Carbonnières. En 1762, la description des montagnes du Valais par _La Nouvelle Héloïse_ de Rousseau fait entrer la montagne dans la littérature. Mais pendanrt longtemps encore, le vocabulaire descriptif de la montagne manquera : on utilisera souvent celui de l’archiecture. Des écrivains comme Chateaubriand resteront totalement fermés à des lieux d’où l’histoire humaine et ses monuments semblent absents.

TEXTES

Chateaubriand, François-René de, « Le Voyage au Mont-Blanc » dans _Souvenirs d’Italie, d’Angleterre et d’Amérique, suivis de morceaux divers de morale et de littérature_, Londres, H. Colburn, 1815, t. I, p. 55-79.
Dufresny, Charles, _Amusements sérieux et comiques_, Paris, Barbin, 1699 (réédition augmentée 1707).
Graffigny, _Lettre d’une Péruvienne_, « A peine », 1747.
Marana, Jean-Paul, __L'Espion du Grand-Seigneur et ses relations secrètes envoyées au divan de Constantinople, découvertes à Paris pendant le règne de Louis le Grand, traduites de l'arabe en italien_, Paris, Barbin, 1684.
Montesquieu, _Lettres persanes_, Amsterdam, « Pierre Marteau », 1721.
Néel, Louis Balthasar, _ Le Voyage de St-Cloud par mer et par terre_, La Haye, Compagnie, 1748.
Ramond de Carbonnières, L.-F.-E., _Observations faites dans les Pyrénées pour servir de suite à des observations sur les Alpes insérées dans une traduction des lettres de W. Coxe sur la Suisse_, Paris, Belin Libraire, 1789.
Saussure, Horace-Bénédict de , _Voyages dans les Alpes _ : t. I, Neuchâtel, 1779 ; t. II, Genève, 1786 ; t. III et IV, Neuchâtel, 1795.
Sterne, Laurence, _Voyage sentimental_, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1769 (trad. De Frénais).
Young, Arthur, _Voyages en France pendant les années 1787, 1788 et 1789_, Paris, Buisson, 1792.

ETUDES

Racault, Jean-Michel, _ Voyages badins, burlesques et parodiques du XVIIIe siècle_, Saint-Étienne : Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2005.

Référencé dans la conférence : Séminaire M1FR436A et M3FR436A : Voyages d’Europe (XVIe-XIXe siècles)
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