La « Barbarie », de l’Orient antique à l’Orient moderne

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Durant toute l’Antiquité grecque se développe une littérature d’Orient, centrée sur les interrogations que les contrées du Levant suscitent dans l’imaginaire hellène. On s’aperçoit, dans un premier temps, de la réversion des images associées à l’Orient, espace solaire d’abord et qui devient ensuite le réflecteur d’angoisses grandissantes : la représentation d’un Orient pluriel et cependant toujours considéré par les Grecs comme un monde singulatif autant que singulier, accompagne la reconnaissance de l’identité hellène. Se cristallise ainsi une topique orientale, souvent répulsive, mais toujours en lien avec les principes de circularité et de symétrie qui tiennent à la représentation grecque du monde : englobés dans le même cercle, organisés autour d’axes de symétrie constamment redéfinis, l’Orient et l’Occident se font face, dans une relation fraternelle et fratricide aggravée par les guerres médiques et la scission qu’elles occasionnent.
De l’âge archaïque à l’époque classique, les vastes territoires d’Asie et d’Afrique du nord-est acquièrent plusieurs caractéristiques qui démontrent l’équivoque constamment attachée à l’espace oriental : reconnu comme originel, il est aussi une alternative constante à l’identité hellène ; défini par son extériorité, il stimule la curiosité grecque et devient à ce titre un territoire empirique, où s’expose une multiplicité d’attitudes humaines ; enfin, et sous l’influence des rhéteurs, il devient un espace contre-définitoire.
C’est en effet l’œuvre du Ve siècle athénien d’avoir, sous le coup d’une double nécessité, forgé une conception barbare de l’Orient et cristallisé de ce fait les images répulsives qui s’y étaient attachées parmi d’autres. Les philosophes font alors le postulat d’une nature barbare, tandis que l’antithèse à l’Orient motive une rhétorique de l’héroïsme citoyen. Soucieuse de préserver une identité politiquement et géographiquement menacée, la période hellénistique entérine cette représentation, en déplaçant l’idéologie sur le terrain poétique, par l’intervention des romans grecs notamment.
Le « barbare » oriental acquiert là des caractéristiques propres, aussi bien ethnologiques, politiques, religieuses qu’éthiques : repris par la littérature romaine pour des raisons essentiellement pragmatiques, ce sont ces traits particuliers qui alimentent la littérature moderne lorsqu’elle cherche à représenter l’Orient, sur un mode dramatique notamment.

Exemplier

1- Hérodote, L’Enquête, II
Histoire de l’Egypte
Dans cette longue suite de générations, il y avait dix-huit Ethiopiens et une femme d’origine égyptienne [...] La femme qui régna s’appelait Nitocris, comme la reine de Babylone. Cette reine, m’ont dit les prêtres, voulut venger son frère, le roi précédent, tué par ses sujets qui l’avaient ensuite prise elle-même pour souveraine, et, pour le venger, fit périr par ruse un grand nombre d’Egyptiens. Elle fit construire une salle souterraine immense, et, sous prétexte de l’inaugurer – mais son dessein était tout autre – , elle invita ceux des Egyptiens qu’elle savait être les principaux responsables du meurtre de son frère et leur offrit un grand banquet ; en plein festin, elle déchaîna sur eux les eaux du fleuve, amenées par un long conduit secret. On en m’en a pas dit plus long sur cette reine, sinon que, sa vengeance accomplie, elle se jeta dans une pièce pleine de cendres, pour se soustraire aux représailles.

2- Hérodote, L’Enquête, III
De Memphis, Cambyse partit pour Saïs, pour y mettre à exécution l’un de ses projets comme il fit d’ailleurs. Sitôt arrivé dans le palais d’Amasis, il ordonna de retirer du tombeau le corps du roi ; quand on lui eut obéi, il prescrivit de fustiger le cadavre, de lui arracher les cheveux, de le percer à coups d’aiguillon, de lui faire subir tous les outrages possibles. Lorsque ses gens furent à bout de force, car le cadavre momifié résistait et ils n’arrivaient pas à le mettre en pièces, Cambyse donna l’ordre de le brûler : ordre sacrilège, car le feu est en Perse une divinité. Brûler les morts ne se fait ni en Perse, ni en Egypte : les Perses s’y refusent pour la raison que j’ai dite, en déclarant qu’il ne sied pas d’offrir à un dieu la dépouille d’un homme, et pour les Egyptiens le feu est une bête vivante qui dévore tout ce qu’elle touche et, rassasiée, meurt avec sa proie ; or, il n’est pas d’usage chez eux d’abandonner les cadavres aux bêtes, c’est pourquoi ils les embaument, afin qu’ils ne soient pas dévorés par les vers dans leur tombe. Ainsi la volonté de Cambyse allait à l’encontre des lois des deux peuples.

3- Chariton, Le Roman de Chairéas et Callirhoé, V, I
« Jusqu’en Syrie et en Cilicie, Callirhoé n’eut pas trop de mal à supporter le voyage : elle entendait parler grec et voyait la mer par où l’on gagne Syracuse ; mais quand elle fut arrivée à l’Euphrate, qui marque la limite de l’Asie Centrale et la porte du vaste royaume perse, dès lors elle ne cessa d’être en proie au mal du pays, à la nostalgie de revoir ses parents, abandonnant même tout espoir de retour. Debout sur la rive du fleuve, elle fit écarter tout le monde [...] et se mit à parler ainsi : « Fortune de mauvais sort [...], j’étais bien par ta faute une étrangère, mais tu m’avais assigné une terre grecque, où je trouvais grand réconfort à être installée au bord de la mer ; mais désormais tu me rejettes loin de mes cieux familiers, tu me sépares de la patrie par tout un monde. [...] on m’emporte au-delà de l’Euphrate, on me confine, moi qui suis des îles, aux fins fonds de l’Asie, là où il n’y a plus la mer. »

4- Hérodote, L’Enquête, IV
Sur l’Asie, nous devons à Darius la plupart de nos connaissances. Pour savoir où se termine l’Indus, l’un des deux fleuves où l’on trouve des crocodiles, il confia des navires à des hommes dont la véracité méritait sa confiance (...] Les explorateurs partirent de la vile de Caspatyros et du pays des Pactyes et descendirent le cours du fleuve en direction de l’aurore et du levant jusqu’à la mer ; ils naviguèrent ensuite vers l’occident et, au trentième mois de leur voyage atteignirent l’Egypte [...] Ce périple achevé, Darius soumis les Indiens et ouvrit leur mer à ses vaisseaux. Ainsi, sauf du côté du soleil levant, l’Asie nous est connue, et l’on voit qu’elle présente les même caractères que la Libye.
Pour l'Europe, il est certain que personne ne peut dire si, du côté du soleil levant et du vent du nord, une mer la borne ; on sait en revanche qu'en longueur elle s'étend aussi loin que l'Asie et la Libye ensemble. Mais je ne puis comprendre ce qui a fait donner à la terre qui est une, trois noms différents, des noms de femmes, et pourquoi l'on a choisi pour délimiter les trois parties du monde le Nil, un fleuve d'Égypte, et le Phase, un fleuve de Colchide (ou, pour d'autres, Tanaïs, un fleuve de la région du lac Méotide, et les Détroits Cimmériens); je n’ai pas pu davantage apprendre à qui l'on doit ces divisions et d'où viennent les noms qui leur ont été appliqués. Pour la Libye l'opinion générale en Grèce est qu'elle tire son d'une certaine Libyé, une femme du pays ; Asia serait le nom de la femme de Prométhée, mais les Lydiens prétendent qu'il vient de chez eux et que l'Asie a pris le nom d'Asias, fils de Cotys, fils de Manès, et non d'Asia, femme de Prométhée ; cet Asias aurait également donné son nom à la tribu Asiade, à Sardes. Pour l'Europe, on ne sait si elle est entourée par la mer, ni d'où lui vient son nom, ni qui le lui a donné, à moins d'admettre qu'elle ait pris celui de la Tyrienne Europe – ce qui voudrait donc dire qu'auparavant elle n'avait pas de nom, comme les deux autres. Cependant on sait bien que cette femme, Europe, était une Asiatique, et qu'elle n'est jamais venue dans le pays que les Grecs appellent aujourd'hui Europe.

5- Héliodore, Les Ethiopiques, X, XXV-XXVI
...on amena les ambassadeurs des Sères. Ils apportaient des étoffes tissées avec le fil que produisent les araignées de leur pays : une robe teinte en pourpre, l’autre d’une blancheur éclatante.
[...] Les envoyés de l’Arabie heureuse se présentèrent avec des plantes odoriférantes, de la cannelle, du cinnamome et tous les parfums que produit l'Arabie. De chacun, il y avait une grande quantité. L'air en était embaumé. Après, arrivèrent les ambassadeurs des Troglodytes. Ils offrirent de l'or de fourmilière et une paire de griffons attelés avec des rênes d'or. Vinrent ensuite les députés des Blemmyes ; ils apportaient des arcs et des flèches à pointe d'os de dragon, disposées en forme de couronne. « Voici, roi, dirent-ils, les présents que nous t'offrons. Ils sont moins somptueux que ceux des autres. Mais, ces armes, aux bords du Nil et sous mes yeux, ont fait leurs preuves. » « Aussi bien, reprit Hydaspe, sont-ils à mes yeux plus précieux que les dons les plus riches, car c'est à eux que je dois les autres qui me sont apportés aujourd'hui. » [...] Le défilé des ambassades était à peu près terminé. Chacune avait reçu du roi des dons égaux à ceux qu'elle avait offerts, la plupart même, des dons, plus précieux. Enfin parurent les députés des Auxomites. Ils n'étaient pas tributaires mais amis et alliés du roi. Pour marquer leur satisfaction de le voir victorieux, ils offrirent eux aussi des présents, notamment un animal d'une espèce étrange, merveilleuse. Sa taille était celle d'un chameau ; sa peau comme celle d'un léopard, était mouchetée de taches marbrées. Le train de derrière et le ventre étaient bas et semblables à ceux d'un lion ; les épaules, les jambes de devant et le poitrail avaient une hauteur hors de proportion avec les autres membres. Grêle était son cou et ce corps énorme se prolongeait en col de cygne. Sa tête, semblable à celle du chameau, était à peu près deux fois plus grosse que celle de l'autruche de Libye. Il roulait des yeux terribles qui semblaient fardés. [...] La vue de cet animal frappa d'étonnement le peuple, qui lui trouva sur le champ un nom inspiré, par sa forme même. D'après les aspects les plus caractéristiques de son corps, il l'appela chameau-léopard. Son apparition provoqua un grand tumulte dans l'assemblée.

6- Héliodore, Les Ethiopiques, VI
La lune, qui venait de se lever, illuminait la terre d'une vive clarté. C'était le troisième jour après la pleine lune. Calasiris, épuisé par l'âge et la fatigue du voyage, s'endormit. Chariclée, que tenaient éveillée ses soucis, fut témoin d'une scène diabolique, familière aux Egyptiennes. La vieille mère, pensant que nul ne la dérangerait, ni ne la verrait, commença par creuser un trou dans la terre. A droite et à gauche elle alluma deux foyers, entre lesquels elle déposa le corps de son fils. Puis elle prit successivement sur un trépied placé à côté, trois coupes d'argile, qu'elle vida dans le trou : l'une était remplie de miel, la seconde de lait, la troisième de vin. Elle prit ensuite un gâteau de farine qui figurait un homme, le couronna de laurier et de fenouil et le jeta dans le trou. Enfin, elle ramassa une épée, et, agitée de mouvements frénétiques, adressa à la lune des invocations dans une langue barbare et étrange. Elle se fit une incision au bras, recueillit le sang avec une branche de laurier et en aspergea le foyer. Après d'autres pratiques non moins étonnantes, elle se pencha sur le cadavre de son fils, lui murmura à l'oreille je ne sais quelles incantations, et cette sorcière parvint à le réveiller et à le faire se dresser sur ses pieds. Chariclée, qui jusque-là avait assisté au spectacle non sans frayeur, ne put sans un frisson d'horreur contempler un tel prodige. Épouvantée, elle réveilla Calasiris pour qu'il vît, lui aussi, ce qui se passait. Ils étaient dans l'obscurité et invisibles. Ils distinguaient fort bien la scène éclairée parla lueur des feux, et ils pouvaient même, à la faible distance où ils se trouvaient, comprendre les paroles de la vieille qui, maintenant, à haute et intelligible voix, interrogeait le cadavre. [...] Tandis que la vieille se livrait à ces pratiques, Chariclée priait instamment Calasiris de s'approcher pour obtenir eux aussi une réponse au sujet de Théagène. Il refusa, déclarant que c'était là un spectacle impie et que, si les circonstances l'obligeaient à en être le témoin, un prophète ne devait ni prendre part, ni assister à de tels sortilèges. Les prophètes n'exercent leur art divinatoire qu'à l'aide de sacrifices rituels et de saintes prières, laissant les profanes ramper, au sens exact de ce mot, sur la terre et sur des cadavres pour exercer cette nécromancie dont l'Égyptienne leur avait, par hasard, offert un exemple.

7- Platon, Ménexène, 244d-247b
« Voilà comme la générosité et l'indépendance de notre ville sont solides et de bon aloi et s'unissent à la haine naturelle du Barbare, parce que nous sommes purement Grecs et sans mélange de Barbares. On ne voit point de Pélops, de Cadmos, d'Égyptos, de Danaos ni tant d'autres, Barbares de nature, Grecs par la loi, partager notre vie ; nous sommes Grecs authentiques, sans alliage de sang barbare, d'où la haine sans mélange pour la gent étrangère qui est infuse à notre cité. [...]
C'étaient aussi des braves, ceux qui délivrèrent le Grand Roi et chassèrent de la mer les Lacédémoniens : je les rappelle à votre souvenir ; à vous d'unir vos louanges aux miennes et de glorifier de tels héros. [..] Qu'on s'imagine donc ouïr de leur propre bouche le discours que je rapporterai. Voici comme ils parlaient :
« Enfants, que vos pères soient des braves, à elle seule la cérémonie présente en est la preuve ; libres de vivre sans honneur, nous préférons mourir avec honneur avant de vous précipiter, vous et votre postérité, dans l'opprobre, avant de déshonorer nos pères et toute la race de nos ancêtres, persuadés qu'il n'est pas de vie possible pour qui déshonore les siens, et qu'un tel être n'a point d'amis ni par-mi les hommes ni parmi les dieux ni sur terre ni sous terre après sa mort. Vous devez donc, en souvenir de nos paroles, quel que soit l'objet de votre effort, y travailler conformément à la vertu, certains que sans elle toute richesse et toute activité ne sont que honte et vice. Car l'argent ne donne point de lustre à qui le possède en lâche : c'est pour autrui qu'un tel homme est riche, et non pour lui-même ; beauté et vigueur physiques chez un lâche et un méchant font l'effet, non d'une parure convenable, mais d'une inconvenance ; elles mettent mieux en vue leur possesseur et font voir ainsi sa lâcheté ; enfin, toute science, séparée de la justice et des autres vertus, apparaît comme une rouerie, non comme un talent. [...] faire usage d'un trésor de richesses et d'honneurs, sans le transmettre à ses descendants, faute d'acquérir personnellement des biens et des titres de gloire, c’est une honte et une lâcheté. »

8- Aristote, Ethique à Nicomaque, 1148b-1149a
Certaines choses sont agréables par leur nature, les unes d'une façon absolue, et les autres pour telle classe d'animaux ou d'hommes ; d'autres choses, par contre ne sont pas agréables par nature, mais le deviennent soit comme conséquence d'une difformité, soit par habitude ; d'autres enfin le sont par dépravation naturelle. Ceci posé, il est possible, pour chacune de ces dernières espèces de plaisirs, d'observer des dispositions du caractère correspondantes. J'entends par là les dispositions bestiales, comme dans l'exemple de la femme qui, dit-on, éventre de haut en bas les femmes enceintes et dévore leur fruit ou encore ces horreurs où se complaisent, à ce qu'on raconte, certaines tribus sauvages des côtes du Pont, qui mangent des viandes crues ou de la chair humaine, ou échangent mutuellement leurs enfants pour s'en repaître dans leurs festins, ou enfin ce qu'on rapporte de Phalaris. [...]
Ceux chez qui la nature est la cause de ces dépravations, on ne saurait les appeler intempérants, pas plus qu'on ne qualifierait ainsi les femmes, sous le prétexte que dans la copulation leur rôle est passif et non actif ; il en va de même pour ceux qui sont dans un état morbide sous l'effet de l'habitude. [...]
Tous excès d'insanité ou de lâcheté ou d'intempérance ou d'humeur difficile, sont soit des traits de bestialité, soit des états morbides. L'homme constitué naturellement de façon à avoir peur de tout, même du bruit d'une souris, est lâche d'une lâcheté tout animale, et celui qui avait la phobie des belettes était sous l'influence d'une maladie ; et parmi les insensés, ceux qui sont naturellement privés de raison et vivent seulement par les sens, comme certaines tribus barbares éloignées, sont assimilables aux brutes, tandis que ceux qui ont perdu la raison à la suite de maladies, de l'épilepsie par exemple, ou par un accès de folie, sont des êtres morbides. Avec des penchants de ce genre, il peut se faire que l'on n'ait parfois qu'une simple disposition à les suivre, sans s'y laisser asservir, si, par exemple, Phalaris avait réprimé son désir de manger un jeune enfant ou de se livrer, à des plaisirs sexuels contre nature ; mais il est possible également de s'abandonner à ces penchants et ne pas se contenter de les avoir.

9- Chariton, Le Roman de Chairéas et Callirhoé, V, II
Dionysios approcha enfin de Babylone, prévenu dans la cité par la rumeur publique qui annonçait à tous l'arrivée de la jeune femme à la beauté surhumaine, réellement divine - l'être unique au monde, aux yeux du soleil : les barbares étant par nature fous des femmes, chaque maison, chaque ruelle étaient remplies de sa réputation ; a rumeur en vint à toucher jusqu'au Roi en personne, qui demanda même à l'eunuque Artaxate si la Milésienne était là. Dionysios n'éprouvait depuis longtemps qu'amertume à l'universelle célébrité de sa femme (il courait ainsi toute sorte de risques), mais au moment d'entrer dans Babylone, il ressentait des affres encore plus brûlantes.

10- Homère, L’Iliade, II, 867
L’armée troyenne – fin du « catalogue »
« Nastès marche à la tête de ses Cariens au parler barbare (βαρβαροφώνων). Ce sont ceux de Milet, et du mont Phthires au feuillage infini, – ceux du fleuve Méandre et du Mycale aux hautes cimes. » (Trad. Paul Mazon, Belles Lettres)

11- Eschyle, Agamemnon, 1047-1052
Le Coryphée : (A Cassandre) C’est à toi qu’elle vient de parler, et en termes clairs. Tu es prise au filet du sort : obéis, si tu dois obéir – ou voudrais-tu désobéir ?
Clytemnestre : Si elle n’a pas un langage inconnu de barbare (φωνὴν βάρβαρον), comme l’hirondelle, j’essaierai volontiers de faire entrer dans son coeur les avis de la raison (λόγῳ).

12- Salluste, La guerre de Jugurtha, XVIII
L’origine des Numides
Les premiers habitants de l’Afrique furent les Gétules et les Libyens, gens grossiers et barbares, qui se nourrissaient de la chair des bêtes sauvages, ou de l’herbe des prés, à la façon des troupeaux. Ils n’étaient gouvernés ni par la coutume, ni par la loi, ni par un maître ; errant à l’aventure, dispersés, ils s’arrêtaient seulement où les surprenait la nuit. »

13- Lucain, La Guerre Civile (la Pharsale), VIII, 365 sqq.
Partout où l’on ira du côté de l’Orient et des climats chauds, on ne trouvera que peuples amollis par la douceur du ciel. C’est là-bas qu’on voit les hommes portant robes longues et vêtements flottants. Le Parthe, c’est dans les campagnes médiques, par les champs sarmates et les vastes plaines unies qu’arrose le Tigre, que la liberté de fuir fait de lui un ennemi invincible. [...] Des combats légers, une guerre fugitive, des escadrons volants : soldat plus propre à lâcher son poster qu’à chasser l’ennemi du sien ; sa ruse veut des traits empoisonnés ; supporter une combat de près est trop pour sa valeur, c’est de loin qu’il tend son arc, laissant aux vents le soin de porter les coups. C’est l’épée qui a de la force, toute vraie race d’homme fait la guerre avec le glaive. »

14- Ovide, Les Tristes, V, 7
Es-tu curieux de connaître le peuple de la région de Tomes et les mœurs au milieu desquelles je vis ? La population de cette côte est mêlée de Grecs et de Gètes, mais les Gètes mal pacifiés dominent. Un plus grand nombre de Sarmates et de Gètes vont et viennent à cheval sur les routes. Aucun d’eux qui n’ait un carquois, un arc et des flèches jaunies par le venin de vipère. La voix est sauvage, le visage farouche, portrait vivant de Mars. Nulle main n’a coupé leurs cheveux ni leur barbe. [...] Si je regarde le pays, c’est un pays déplaisant et il n’en est peut-être aucun de plus triste au monde. Si je regarde les hommes, ce sont des hommes à peine dignes de ce nom, plus sauvages et plus féroces que les loups. [...] Peu ont conservé quelques vestiges de la langue grecque ; encore sont-ils rendus barbares par l’accent gétique. Il n’est personne parmi ce peuple qui puisse peut-être dire en latin les mots les plus simples. Moi-même, poète romain – pardonnez-moi, Muses – je suis très souvent contraint de parler sarmate. J’ai honte, et je l’avoue par l’effet d’une longue désuétude, j’ai désormais moi-même peine à trouver les mots latins. Je ne doute pas qu’il y ait dans ce livre beaucoup d’expressions barbares : ce n’est pas la faute de l’homme mais du lieu.

15- Tristan L’Hermite, La Marianne, II, 1, v. 347-428
« Je croirais ton conseil, s’il était raisonnable :
Mais quoi ? veux-tu que j’aime un Monstre abominable,
Qui du trépas des miens me paraît tout sanglant ?
[...] Moi, que je me contraigne ? étant d’une naissance
Qui peut impunément prendre toute licence,
Et qui sans abuser de cette autorité,
Ne règle mes désirs que par l’honnêteté ?
Que mon cœur se démente, et trouve du mérite
A plaire au sentiment d’une Barbare, d’un Scythe,
Meurtrier de mes parents ? »

Dans la suite de la scène, Marianne évoque les méfaits d’Hérode
« Il faut que le perfide achève sa disgrâce ;
Il en veut à mon sang, il en veut à ma race,
Il n’est pas satisfait pour avoir massacré
Un vieillard vénérable, un Pontife sacré
[...]
Ni pour avoir éteint d’une étrange façon
Un innocent beau-frère, un aimable garçon
[...]
A peine il arrivait en son quatrième lustre,
Et l’on voyait en lui je ne sais quoi d’illustre,
Sa grâce, sa beauté, sa parole et son port
Ravissaient les esprits dès le premier abord.
[...]
Puis les Cieux en son âme avaient mis des trésors
Qui répondaient encore à ceux d’un si beaux corps,
Et leurs grâces sur lui semblaient être tombées
Pour relever l’honneur des braves Maccabées.
[...]
Le peuple que sa vue au Temple ravissait
Admirant ses appas tout haut le bénissait,
Et ce Tyran cruel en conçut tant d’envie
Qu’il fit soudain trancher le beau fil de sa vie ;
Ce clair Soleil levant adoré de la Cour
Se plongea dans les eaux comme l’Astre du jour,
Et n’en ressortit pas en sa beauté première,
Car il en fut tiré sans force et sans lumière.
Et puis qu’après cela je flatte l’inhumain
Qui ne vient que d’ôter la vie à mon germain ? »

Référencé dans la conférence : Séminaire M1FR436B/M3FR436B - Les Orients : histoire et sources littéraires
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