Sujet délicat que celui de la sexualité des missionnaires jésuites, car la situation n'est pas limitée à cette Compagnie et les documents n'en parlent pas volontiers. Mais le devoir des pères et des frères était d'écrire pour informer leurs supérieurs, et les jésuites étaient, heureusement ou malheureusement des hommes de contact. La transgression du devoir de chasteté, cette espèce d'ensauvagement au milieu des populations autochtones, était d'abord une perte d'identité : question d'ordre pratique au premier chef pour des individus isolés dans un univers totalement étranger. Un père, dans l'une de ses lettres, cite une églogue de Virgile : « unguis latet in herba » (le serpent est caché dans l'herbe) : variation métaphorique qui témoigne de la lutte permanente contre le démon de la chair. Faisons un peu d'histoire : au XVIe siècle, la population missionnaire est très importante par rapport aux forces colonisatrices laïques. Ce sont souvent les premiers Européens qui pénètrent dans des régions jusqu'alors inconnues. Les militaires suivront : c'est la politique espagnole, par exemple. Les missionnaires sont dispersés, isolés, mais aussi mal formés. Le développement de la colonisation oblige à recruter des individus très jeunes, sans véritable vocation ni culture. Contrairement aux franciscains qui recrutent pour les missions espagnoles des frères possédant les bases d'un métier utile et œuvrant en ville, les jésuites des colonies portugaises, en particulier du Brésil, sont envoyés dans la solitude de la forêt au milieu de population dont ils ignorent la langue pour une catéchèse des limites. Dans ce total isolement, à la merci des indigènes qui les nourrissent et peuvent les affamer, les jésuites meurtrissent par le fouet et les exercices spirituels de saint Ignace une chair récalcitrante. Dans aucune des langues du Brésil n'existe un mot qui signifie la vertu. Les rêves, mais aussi la réalité des tentations, poursuivent le solitaire que rien ne soutient dans sa lutte permanente. De ces combats quotidiens, on trouve des traces écrites dans la littérature « grise » de la Compagnie. En marge des relations publiques qui donneront lieu plus tard aux « lettres édifiantes et curieuses », mais qui sont déjà publiées sous forme de brochure en diverses langues, des lettres moins ostensibles remontent vers Rome et le généralat de la Compagnie. On rencontre, ici ou là, dans les archives romaines, des codes secrets (1585 et à d'autres dates sans doute), régulièrement changés qui couvrent le récit des égarements sensuels des pères : les variations métaphoriques autour du livre dominent (fautes de grammaire ou de syntaxe, etc.). Ailleurs, des formules allusives parlent de manquement à la discipline ecclésiastique dans les villages construits par les jésuites pour regrouper autour de l'église les populations errantes, les futures et célèbres « réductions ». Au Brésil, on y envoie de jeunes jésuites pour apprendre la langue de communication avec les indiens, une espèce de « lingua franca » mâtinée de portugais, qui sert aussi aux sermons ; ce sont souvent des métisses appelés « mamelucks » dont la vocation n'est guère solide et qui disparaissent à l'occasion dans la forêt pour ne plus reparaître. La hiérarchie lutte contre ces inconvénients en envoyant les jésuites par couple (caractères différents et complémentaires ; l'un surveillant l'autre) et en interdisant ne fût-ce que de toucher les femmes indiennes. L'homosexualité qui peut se pratiquer à l'intérieur de la résidence est couverte par le secret et les murs de celle-ci ; les rapports intimes avec une femme de l'extérieur sont tributaires de la discrétion relative de cette dernière, qui se vante souvent de sa victoire. L'hétérosexualité est donc plus volontiers réprimée. Mais les jésuites ont aussi une autre manière d'écrire le désir, par l'héroïsme d'y résister. De nombreux jeunes jésuites partent en mission pour suivre l'exemple de saint François-Xavier, modèle de vertu et de virginité, et mourir en martyr de la foi. La tentation est donc le moteur qui les fait accéder au sacrifice suprême, volupté du martyre et transfert sublime.
Référencé dans la conférence : Religion et sexualité dans la littérature des voyages (XVIe-XVIIIe siècles)
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