Nicolas Bouvier. L'esthétique du fragment : écrire pour retenir, écrire pour laisser

Conférencier / conférencière

Partant du principe que le récit de voyage est, d'après N. Bouvier, un moyen ; à côté de ses poèmes et essais ; de rendre compte, de (faire) sentir plus encore que comprendre, ses expériences de la route et que d'autre part, le voyage est conçu comme une purge qui doit vider l'être intellectuel et physique, voire tendre à sa disparition, pour l'ouvrir ainsi à l'illumination, c'est-à-dire à la perception de l'instant dans tous ses constituants ; il s'agira de montrer que la forme du journal de bord dans les multiples variations que lui fait adopter Bouvier ; en dépit ou à cause de son aspect éminemment autobiographique ; dans L'Usage du monde, Chronique japonaise, Journal d'Aran et d'autres lieux, permet au narrateur de partager sa perception de la réalité qui l'entoure.
Cette expression est rendue possible par une écriture du paradoxe, qui concilie désignation et suggestion, profusion et dépouillement, épure et détails. Cet équilibre, qui n'est pas sans rappeler celui du fil du rasoir sur lequel se tient Bouvier pendant ses voyages, s'atteint par l'intermédiaire du fragment, qui lui-même tient le milieu entre l'évocation concrète et la suggestion. En effet, le fragment suppose une écriture qui va évoquer une réalité tout à la fois concrète et perçue sur un mode éclaté. L'éclatement est traduit de deux manières : par une série de détails colorés et disparates, et par le morcellement de la syntaxe et des récits. Ce morcellement dont est issu le fragment, provient des blancs qui s'insinuent dans les textes, en rompent la linéarité tout en l'épurant.
Comme un filet à larges mailles, l'écriture retient des détails, laisse filer d'autres éléments et par ces non-dits, ces vides qui génèrent une circulation de sens entre les fragments, ouvre à l'implicite. Retenir et laisser sont, selon F. Cheng, les maîtres-mots de la peinture chinoise ; profondément marquée par les concepts du Taoïsme qui fait du vide le fondement de l'univers tout autant que son vecteur de dynamique, cette peinture est intéressante à rapprocher de l'écriture de Bouvier non seu-lement parce que ce dernier a été fortement influencé par les cultures d'Extrême-Orient, mais surtout parce que Bouvier, comme cette peinture mais avec des mots, cherche à rendre sensible les liens entre les choses.

Référencé dans la conférence : 15e Colloque international du CRLV. Récits du dernier siècle des voyages
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