Orientalisme et impérialisme britannique : le rôle de la presse coloniale à Ceylan (1840-1890)

Conférencier / conférencière

PROPOSITION DE SÉMINAIRE CRLV
Le 5 avril 2011, Vilasnee Tampoe-Hautin, Université de la Réunion

Orientalisme et Impérialisme britannique : Le rôle de la presse coloniale à Ceylan (1840 – 1890)

Parmi les Orients lointains figure l'île de Ceylan, colonie britannique qui attire les regards orientalistes du XIXe siècle. Alors que l’exotisme de l’Orient nourrit la poésie et la littérature européennes, nous examinerons ici la place qui revient à la presse coloniale dans la valorisation "orientaliste" des cultures autochtones de Ceylan entre 1840 et 1890. S’il est frappant de constater l'absence d'une littérature orientaliste coloniale sur Ceylan, l’île, en revanche, fait preuve au XIXe siècle d’un grand dynamisme dans les domaines de l'édition et du journalisme.
En effet, l’essor de la presse écrite et illustrée de l’Angleterre victorienne trouve son écho dans ses possessions de l'océan Indien, notamment à Ceylan. Dès le premier quart du XIXe siècle, sont mis en place des moyens de publication poursuivant une tradition hollandaise de l’édition, établie dès la fin du XVIe siècle. Avec la création d'une imprimerie gouvernementale au début du XIXe siècle, l'insatiable curiosité manifestée pour les mystères de l’Orient va donner matière à d'innombrables articles portant sur les colonies.
En Grande-Bretagne, tandis qu'on propose au lecteur victorien et édouardien une panoplie d’images et de réflexions sur cet univers exotique, les maisons d'édition établies dans les colonies diffusent une vision utopique de la "vie aux colonies", perçue au travers du prisme européen. Ainsi, tout en inspirant l'imaginaire occidental, la presse coloniale contribue à façonner celui des autochtones.
Ce sont surtout les moyens d’illustration - dessins, gravures, photogravures, daguerréotypes, photographies et photogravures - qui confèrent à la presse écrite une nouvelle dimension orientaliste. La place de l'iconographie dans cette mise en valeur de l'Orient mérite qu'on s'y attarde. D'autant que les sociétés photographiques anglaises installées à Ceylan dans les années 1880 font découvrir l'image fixe aux colonisés, et élaborent la vision orientaliste de l’île par des recueils d’albums, cartes postales, affiches mais aussi des images pieuses (bouddhistes, hindouistes, chrétiennes), mettant en valeur les cultures et religions indigènes.
Dès les années 1850, la presse coloniale "s'oriente" vers la valorisation de la beauté de l'univers colonial. On constate donc la représentation du patrimoine historique et naturel du pays, de la diversité des cultures « indigènes » des traditions, métiers, costumes et parures de ses habitants, de l'architecture traditionnelle, enfin, de la vie quotidienne des autochtones. De même, les typologies dressées par le régime colonial à Ceylan définissent l'identité des habitants de l’île selon des critères linguistiques, ethniques et religieux – les répartissant en "races", afin de faciliter le recensement démographique et de mieux cadrer et "représenter" l'indigène et sa culture.
D'autre part, cet Orient est abordé sous un angle ethnographique à forte connotation impérialiste. On constate à travers des reportages illustrés l'évocation constante des liens politiques ou culturels entre la colonie et la mère patrie: visites de monarques anglais, rencontres entre l'élite traditionnelle et les administrateurs coloniaux, ou encore, le sport colonial. D'autres publications rehaussées d’illustrations renvoient à l'œuvre impériale, et à la prospérité économique et sociale dont jouiraient désormais les habitants des territoires de l'Empire. En l'absence d'une littérature, l'orientalisme à Ceylan se fonde sur un corpus d'illustrations émanant d'artistes européens vivant à Ceylan durant la deuxième partie du XIXe siècle. Arrivés dans la colonie sur les instances d'administrateurs coloniaux pour certains, ils ont contribué a développer les courants orientalistes et à "fabriquer" la vision coloniale de Ceylan.
Toutefois, les courants orientalistes qui nourrissent l'imaginaire occidental, conduisent aussi les autochtones à s'approprier, volontairement ou malgré eux, la représentation européenne de leur propre culture. Dans ce double mouvement, les regards se croisent. Ainsi, lorsque le public anglais découvre les richesses culturelles et naturelles du monde colonial, et que les colonisés sont exposés à la civilisation occidentale, il faut s’interroger sur les conséquences de l'orientalisme sur les sociétés asiatiques.
Le séminaire, détaillera, à l'aide d'une démonstration « Powerpoint », l’iconographie orientaliste contenue dans les magazines coloniaux et métropolitains et qui répand l'idée que les colonies sont des espaces mystérieux à découvrir, mais déjà, en partie, mis à nu par l'État colonial. On s'interrogera donc sur l’utilisation de l'image orientaliste dans la propagande impérialiste et son impact sur l'évolution de la société coloniale.

PROGRAMME

17h00 : Brève présentation du pays (Sri Lanka/Ceylan) par PowerPoint
. Rappel des périodes de colonisation (portugaise, hollandaise, britannique) et du contexte colonial dans lequel s’inscrit cet exposé
. Quelques données sur la société coloniale (autochtones, coloniaux)

17h10 : (Première partie) L'exposé sur le rôle de la presse coloniale dans la découverte de cet Orient lointain (1830-1890) :
I. Essor de la presse (en anglais/et en langues vernaculaires, cinghalais/tamoul) et maisons d’édition
II. Impact des moyens d'illustration (gravure, photographie) dans la diffusion des images et des textes "orientalistes)
III. l'idéologie coloniale britannique et la mise en valeur de l'Empire Britannique/représentations coloniales
a) l’œuvre des administrateurs coloniaux, artistes-graveurs, journalistes, missionnaires (Emerson Tennent, A.M Ferguson, Andrew Nicholls, Hippolyte Silvaf, Van Dort etc.)
b) clivages entre "presse anglaise pro-occidentale" et "presse locale" (cinghalaise et tamoule),
c) début des ethno-centrismes et de l’anti-colonialisme suscités par la presse

17h30 : La perception européenne de l'autochtone par Powerpoint

17h45 : (Deuxième partie)
IV. L'invention coloniale de l'identité et la création de "races" indigènes par les Européens (typologies raciales, classification et stratification de la société autochtone)
a) le choix de la culture "authentique" - (cinghalais bouddhiste kandyen),
b) la notion de "majorité" et "minorité" ethnique qui en découle (centre-périphérie)
V. l'appropriation par les autochtones de ces identités et début des nationalismes anti-coloniaux et anti-"autres"....

18h10 : Conclusion
Questions, débat.

Bibliographie

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Silva, Kingsley Muthumuni de, History of Sri Lanka, Colombo : Vijitha Yapa Publications, 2003.
Silva, Rajpal K., 19th Century Newspaper Engravings of Ceylon – Sri Lanka, Londres : Serendib Publications, 1998.
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Référencé dans la conférence : Séminaire M2 FR 436B/ M4 FR 436B : Orients lointains
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