Se souvenant d’Hérodote, Volney conçoit l’histoire comme une "enquête de faits", et l’historien le moins suspect à ses yeux est celui dont le récit témoigne directement, sans médiation, de ses expériences et de ses découvertes, tel le mémorialiste ou le voyageur. Pour peu que celui-ci soit bon observateur, il est à même d’assurer la cueillette de quantité de matériaux propres à servir le savoir historique.
En outre, le voyageur a toute liberté pour décrire dans les moindres détails la géographie des régions qu’il parcourt et qui constitue aux yeux de Volney le point de départ obligé de toute enquête historique. Le discours que Volney tient sur les ruines de Tyr, de Baalbek et de Palmyre dans Voyage en Égypte et en Syrie (1787) relève très largement de ces principes. De ces sites chargés du poids du temps et de l’histoire, l’observateur choisit de ne retenir que la configuration spatiale et de ne décrire les vestiges des monuments et des ouvrages d’architecture que dans leur condition actuelle. En somme il s’impose de dresser un état des lieux sans se laisser distraire par la rumeur des témoignages et des interprétations historiques archivés au long des siècles. L’effet recherché tout au long de la représentation de ces ruines est un effet de vérité rendu par des références liées à l’ordre et à la mesure et par l’emploi de techniques descriptives qui relèvent de l’hypotypose, en particulier l’insistance sur le registre visuel et plastique, ainsi que le montage séquentiel qui cherche à mimer sans interruption le déroulement successif de la déambulation du voyageur. Pour Volney un site de ruines est davantage une anticipation qu’une mémoire, en tant qu’il est susceptible d'être investi d'un contenu d'ordre conflictuel et social, et de manifester la loi de l'histoire. Tel sera l’argument central des Ruines, ou méditations sur les révolutions des empires (1791). Déceler concurremment, comme par un effet de bougé, sous la ruine d'aujourd'hui le palais florissant d'hier, et dans la chose splendide du présent la ruine de demain, c'est déjà proposer une vision qui n'est plus celle d'un temps indifférencié et abstrait, mais celle d'une temporalité sociale ponctuée par des paroxysmes, par des périodes de crise, par des phases critiques, c'est mettre en évidence sous les ruines la ruine qui les a produites, la dévastation qui a renversé les empires, c'est laisser entrevoir que le temps de l'histoire est avant tout le temps des hommes.
Bibliographie
Volney, Constantin-François, Chassebeuf dit, Voyage en Égypte et en Syrie, édition critique de Jean Gaulmier, La Haye, Mouton, 1959.
Volney, Constantin-François, Les Ruines ou méditations sur les révolutions des empires, réimpression de l'édition de 1822, présentation de Jean Tulard, Paris-Genève, Slatkine, Collection Ressources, 1979.
Volney, Constantin-François, Leçons d’histoire, Œuvres, tome 1, textes réunis et revus par Anne et Henry Deneys, Corpus des œuvres de philosophie en langue française, Fayard, 1989, p. 516.
Volney, Constantin-François, Histoire de Samuel, édition des Œuvres complètes en un volume, avec une introduction d’Adolphe Bossange, Paris, Firmin Didot, 1837.
Gaulmier, Jean, Un grand témoin de la Révolution et de l’Empire, Volney, Paris, hachette, 1959.
Gaulmier, Jean, "Note sur l'itinéraire de Volney en Egypte et en Syrie", Bulletin d'études orientales, t.XIII, 1949-1950 repris dans Autour du romantisme, de Volney à Sartre, Paris, Editions Ophrys, 1977, p.55-60.
Diderot, Œuvres complètes, Paris, Garnier, 1876, XI.
Chateaubriand, François-René, de Itinéraire de Paris à Jérusalem, Paris, Garnier-Flammarion, 1968.