La Hollande pittoresque. I. Voyage aux villes mortes du Zuiderzée

«Un bruit confus, une sorte de murmure grave s'élevait dans les airs, bruit de pas, de voitures et de voix, indiquant la vie d'une grande cité. Parfois un cri, le sifflet d'un bateau, une chanson jetée follement par la voix claire d'un enfant, le son nasillard d'une orgue ou le roulement sourd d'un chariot traversant un grand pont de bois, venaient trancher le bourdonnement général. Puis tout rentrait dans ce calme agité, dans ce silence bruyant, qui est comme l'atmosphère des grandes villes. A mesure que je contemplais ce merveilleux spectacle, je me sentais gagné par une émotion à la fois douce et poignante, et, malgré moi, le souvenir de ces cités silencieuses et ruinées, de ces tombeaux anticipés que nous venions de parcourir s'emparait de mon esprit. [...] Je les revoyais ces cités royales équipant des flottes, armant des soldats, traitant de puissance à puissance avec les peuples étrangers, opulentes et fières, folles de leur indépendance et sachant rejeter tous les jougs, excepté celui de la fortune. Et puis ensuite elles m'apparaissaient telles qu'elles sont aujourd'hui, tristes et silencieuses, lugubres en un mot, avec l'herbe qui disjoint les pavés et qui descelle les murailles, avec leurs toits croulants, leurs rues désertes, et ce calme funèbre précurseur de la mort»(1875/388-389).