Esthétique
«Oui, nous sommes vrais dans nos récits, oui, nous sommes vrais dans les détails et dans les faits généraux; oui, nous le sommes dans l’esquisse des mœurs et des coutumes des peuples rebelles ou dociles à la civilisation avec lesquels nous avons fraternisé. Si le mensonge est une honte pour tout narrateur, il est une lâcheté pour celui qui écrit l’histoire des nations. [...] A l’aide de la division des chapitres, nous avons évité la difficulté des transitions; [...]»(1843/I/III).
«Dès que vous avez franchi un océan, si le piéton qui vous salue est Européen, il n’est plus Espagnol, Russe, Anglais, il est votre compatriote, il est votre ami»(1843/I/12).
«Rien ne donne le goût des voyages comme les voyages eux-mêmes; le succès d’une entreprise vous pousse à une autre. [...] Je réserve pour les notes scientifiques d’une publication importante qui aura lieu plus tard, le résultat des observations d’histoire naturelle qui m’ont continuellement occupé pendant le voyage; [...]»(1843/I/52).
«Nous savions bien que de grandes choses nous étaient réservées dans notre excursion polaire; voici déjà un premier feuillet de l’imposante Odyssée que j’ai promis de dérouler à vos yeux»(1843/I/75).
«Les récits de Bougainville sont empreints d’un caractère de vérité qui ne permet point le doute; et puis, n’y a-t-il pas plus de profit à publier les hostilités des insulaires que leur aménité? Otez la difficulté, vous ôtez le mérite; et Bougainville, [...], aimait assez le merveilleux pour qu’il dût reculer devant un mensonge, alors surtout qu’il n’eût rien rapporté à sa vanité de voyageur. Peu s’en fallut, après ces récits, que l’Europe émerveillée n’émigrât pour cette Otaïti, douce vallée d’amour, jetée au sein du vaste Océan Pacifique, au milieu de peuplades anthropophages, éternel effroi des navires aventureux. [...] Lisez les récits du capitaine anglais [sc. Cook]. Rien n’y est suave, rien n’y est parfumé; c’est une description de mœurs et d’usages absolument pareils à ceux qu’il a déjà étudiés dans d’autres archipels voisins ou éloignés»(1843/I/142).
«Ainsi autrefois quand Alexandre .... Quittons le langage de l’épopée, et revenons sur des faits non moins intéressants, et peut-être plus curieux»(1843/I/188).
«Le voyageur n’a jamais perdu sa journée quand il a été témoin d’un fait propre à peindre les mœurs et les usages d’un pays; [...]»(1843/I/305).
«Ce serait le cas ici de raconter à mon tour quelques scènes d’un drame fait à plaisir, mais je dois à la vérité de dire que nul de ces monstres ne vint assez près de nous pour nous causer un sérieux effroi, et que je ne fus témoin d’aucun repas de kaïman. Vous voyez que les voyageurs ont aussi leurs heures de modestie»(1843/I/307).
«Ne criez pas à l’exagération, vous qui n’avez connu le monde que dans des livres incomplets, et jusqu’à l’horizon de votre ville natale; car ce que j’ai à vous dire est de l’histoire, ce qu’il y a de plus vrai dans l’histoire universelle»(1843I/331).
«En général quand on n’a point de parfaites notions sur un pays, peut-être vaudrait-il mieux les garder en portefeuille, que de les jeter en pâture à la curiosité publique. Le voyageur n’est déjà que trop porté au mensonge ou à l’exagération; enrichi ou plutôt appauvri par des documents inexacts, il lui est très aisé, avec le secours de ces demi-vérités, de créer des mœurs, des usages, un peuple, une histoire; et vous savez que l’erreur enfante l’erreur. Mais nous, fidèles à la marche droite que nous nous sommes tracée, fidèles à la bonne foi que nous nous sommes imposée dès les premiers pas de notre long pèlerinage, nous jeterons dans les lignes qui vont suivre la fable à côté de la vérité, ou plutôt le doute en contact avec la certitude»(1843/I/332-333).
«Nous n’avons pas seulement écrit ce volume pour les hommes privilégiés que la science a déjà doté de ses trésors, mais encore pour ceux qui, novices dans la carrière, cherchent à se faire un nom au milieu des périls de toutes les zônes, de tous les océans»(1843/I/341).
«Disons-le parce que cela est: nous sillonnons les mers; nous bravons les tempêtes et les calmes des océans, non au profit des peuples que nous nous flattons d’instruire et de façonner à nos usages et à nos mœurs, mais pour nous seuls qui voulons un lucre contre toute fatigue, un bénéfice en échange de tout déplacement. En vérité les naturels de tous les archipels océaniques ont dû bien rire à nos premières confidences, à nos premiers enseignements. Dans notre ardente passion de pédagogues nous voulions leur apprendre non pas comme on vit chez nous, mais comme on doit vivre chez eux, [...]»(1843/II/66).
«J’aime les hommes d’énergie et je crois à leurs récits, quelque fabuleux qu’ils semblent tout d’abord; pour l’ordinaire, le menteur est celui qui voit tout, qui sait tout sans être sorti de son cabinet de repos, [...]. Il n’est guère permis maintenant au voyageur d’amuser par des contes; la verité se fait jour d’un moment à l’autre, et si vous mentez sur un point, vous êtes suspect pour tout le reste; vous avez écrit un roman, votre nom meurt avec lui dans les rayons poudreux des bibliothèques inutiles»(1843/II/89).
«Je veux que vous me lisiez, et c’est pour cela que je ne vous parle presque jamais de ces petites colères célestes, de ces variations de l’aiguille aimantée, de ces courants qui filent plus ou moins de nœuds dans telle ou telle direction; votre mémoire en serait fatiguée; presque rien aussi, jusqu’à présent, de notre situation personnelle, [...]»(1843/II/137).