Résumé (intervention de Jean-François Guennoc)
La naissance du grand reportage renvoie à toute une série de facteurs littéraires, technologiques et économiques, témoignant de la complexité de tout phénomène culturel inscrit dans l’histoire sociale. Cette nouvelle pratique d’écriture, promue du fait de l’internationalisation de l’information, distincte de la chronique comme du récit de voyage, se singularisa très vite par le style de l’urgence et une dramatisation importante de son auteur. Elle peut être approximativement datée des années 1870, qui virent le développement des communications par le télégraphe, la concurrence des média anglo-saxons, et la création des premières agence d’information. L’ère médiatique, symboliquement datée de la création par Emile de Girardin de La Presse en 1836, semble alors s’accélérer : l’actualité devient une urgence et l’information un marché. Le reportage sort de l’ornière du fait-divers pour accéder à la une et s’imposer sur plusieurs colonnes : il participe de l’air du temps, dans le sens où il bénéficie des avancées technologiques qui le rendent possibles, mais aussi dans le sens où il contribue lui aussi au rythme de la modernité.
Les conférences programmées ce second semestre doivent nous permettre de comprendre l’évolution au cours du dernier siècle de ce type de texte enfanté par la modernité, et peut-être ainsi de saisir quelque chose de notre rapport médiatique au monde.
Cette introduction propose un parcours entre plusieurs textes dont le commentaire cherche à mettre en évidence quelques points significatifs de l’histoire du genre, des tensions qui l’animent, des formes écrites et iconographiques qu’il recouvre et de son évolution. Nous évoquons d’abord la relation polémique mais vivante entre littérature et reportage dans les années de l’entre-deux-guerres, à travers quelques textes d’Henri Béraud et de l’écrivain britannique Evelyn Waugh. Puis nous nous intéressons par delà les critiques et les caricatures échangées à une figure singulière et en même temps archétypale de reporter : Albert Londres. Inventeur du reportage social, défricheur de sujets, il est désormais passé à la postérité comme une figure tutélaire du journalisme à la française. Nous proposons de l’étudier également comme une figure symbolique de la dromomanie et de l’inquiétude propre à cette période. Enfin nous revenons sur la confusion entre grand reportage et reportage de guerre et nous analysons son rôle dans la constitution de l’éthique du reporter. Ethique partagée par les fondateurs de l’agence photographique Magnum, dont l’histoire exemplaire nous permet de retracer l’évolution du photoreportage depuis 1947 jusqu’à nos jours. La conclusion revient alors sur la littérature de reportage contemporaine telle qu’elle est pensée et proposée par l’un de ses plus illustres contributeurs Rizard Kapuscinski. Sa leçon nourrie par l’expérience de l’école polonaise du reportage témoigne de cette même orientation du reportage vers une recherche à la fois esthétique et épistémique très proche des réflexions d’un Edouard Glissant sur le « chaos monde ». Le reportage écrit ou photographique serait à l’aube d’un nouveau grand récit dont la structure et la langue sont à inventer. L'enjeu n'est rien moins que parvenir encore à saisir le mouvement du monde, le traduire en termes d’intensité, de direction, d’agents. Parvenir à un monde de figures, bref l’informer.