LES MŒURS SIKHES VUES PAR DES VOYAGEURS FRANÇAIS

LES MŒURS SIKHES VUES PAR DES VOYAGEURS FRANÇAIS
de 1800 à 1850

Des voyageurs français qui ont fait des séjours dans le royaume sikh du Punjab pendant la première moitié du XIXe siècle ont observé le mode de vie des habitants de ce pays. Certains d’entre eux ont fait de courts séjours dans le royaume, d’autres ont passé plusieurs années parmi les habitants. Il y a encore ceux qui ont fait des séjours en Inde mais sans avoir eu l’occasion d’observer les mœurs sikhes. Cependant, plusieurs parmi ces voyageurs ont écrit sur la vie des Sikhs : ainsi le naturaliste Victor Jacquemont et le savant Saint-Hubert Théroulde ont passé, chacun à son tour, un certain temps dans le Punjab. Les généraux Allard et Court ont vécu parmi les Sikhs plusieurs années, au service du maharaja Ranjit Singh. Collin de Bar et Valbezen étaient tous les deux fonctionnaires français. Certains fonctionnaires comme le comte Édouard de Warren, tout en étant au service de la Compagnie des Indes anglaise, se sont tenus au courant de la vie politique et sociale dans le reste du pays et ont fait des commentaires sur les Sikhs.

Apparence et costumes

Les Sikhs sont des hommes généralement grands, nerveux, bien faits, d’une taille élancée, d’une constitution robuste et vigoureuse […]. Ils ont de beaux traits et une physionomie animée et agréable. Ils portent de longues barbes et de longs et beaux cheveux qu’ils soignent dans l’état naturel parce que leur gourou l’a voulu ainsi. Ils disent qu’une longue chevelure augmente la beauté : aussi en prennent-ils le plus grand soin. Ils ont cela de commun avec les Grecs et les Scythes[1].

D’après le général Court, comme les Grecs, les Sikhs entassent les cheveux sur la tête :

[…] ils réunissent également les leurs [leurs cheveux] en toupet et avec le turban blanc de mousseline dont ils les entourent très coquettement ils leur donnent la forme d’un casque[2].

Ce même général trouve que la façon dont le turban serre leur visage leur donne une apparence curieuse. Pour le général Allard, contemporain de Court, les cheveux sont comme une parure des Sikhs :

Les cheveux, c’est la véritable coquetterie des hommes, c’est leur parure ; ils y attachent une idée de force et de puissance, et les entretiennent avec un soinreligieux. Il en est de même avec la barbe ; on n’est pas un homme sans la barbe ; jeune ou vieux, il faut qu’elle descende en flots d’ébène ou d’argent sur la poitrine[3].

L’habit du peuple sikh en général est simple et léger, à cause de la chaleur du climat :

Il [le vêtement] consiste en une casaque et un pantalon colant[4] au corps et un voile de mousseline noué à la ceinture et le surplus rejeté négligemment sur l’épaule de manière à draper le haut du corps à la romaine. Il est peu couteux, une pièce de perkale [tissu en coton]de deux à trois roupies, cinq à huit francs, suffit pour s’habiller toute une année[5].

Selon Court, ce costume est commun aux femmes et aux hommes sikhs. En hiver, les gens plus aisés s’habillent de vêtements de couleur. En général, les Sikhs ne portent pas de pantalons, « vont la jambe nue et sans bas » et, dans sa vie privée, le Sikh aime« comme le bas peuple » se mettre tout simplement en pagne ou langouti[6].

Les Akalis[7] se reconnaissent à leurs vêtements bleus, à leurs turbans et aux symboles en acier qu’ils portent :

Ils se distinguent par leur habillement bleu et surtout par leur genre de coiffure casquée et surchargée de divers simboles en acier, tous faits pour le combat ou pour garantir d’un coup de sabre[8].

Court a observé que les personnes d’un rang supérieur portent une tunique au lieu d’une casaque. Cette tunique est en soie, en percale, en cachemire ou en brocart, selon la saison. En hiver, ces gens ont un tchioga (tchoga) ou manteau brodé et des châles. Certains portent aussi une sorte de culotte grecque ample qui forme des plis. Les officiers de la cour du maharaja s’habillaient d’une façon assez simple avant que les généraux français leur eussent donné du goût pour le luxe.

Les hommes portent aussi des bijoux, surtout le maharaja, les gens de sa cour et les personnes d’un rang supérieur. Ces ornements consistent en des boucles d’oreilles, des colliers en or, perles, rubis ou émeraudes. Les poignées des sabres sont aussi incrustées de pierres précieuses.

Quant aux femmes sikhes, Court les décrit ainsi :

Les femmes sikhes sont d’une physionomie expressive et animée. Leur teint est brun et relevé par des cheveux du plus beau noir. Elles ont de la souplesse dans la taille[9].

Selon lui, elles relèvent leurs cheveux sur la tête comme les femmes grecques de l’archipel. Elles sont courageuses et n’hésitent pas de régler des disputes, s’il y en a :

Elles sont d’un caractère mâle et hardi. On les a vues dans les premières guerres que les Sikhs eurent à soutenir pour défendre le foyer domestique contre les mahométans, faire preuve d’un grand courage. Aujourd’hui même on les voit souvent dans les querelles de village à village, se jeter dans la mêlée et sabre en main affronter les assaillants, semblables en cela aux femmes de Sparte[10].

Mais Court trouve qu’elles aiment trop les bijoux :

Elles ont la manie des bijoux, portant de grands pendants d’oreilles, des bracelets d’or ou d’argent massifs[11].

Certaines Sikhes ont aussi des anneaux suspendus aux narines, des anneaux aux pieds, des bagues aux orteils. Elles se mettent de l’antimoine sur le bord de la paupière inférieure, comme Édouard de Warren l’a décrit dans le cas de la reine Chanda. De Warren confirme aussi la manie de ces femmes pour les ornements, en décrivant la profusion des bijoux d’or et de perles que portait la reine :

Elle s’était parée avec magnificence et même avec goût, à l’exception des ornemens d’or et de perles, qui pendaient avec trop de profusion sur le front et sur les oreilles[12].

Logement

Les maisons, dans un village du royaume sikh du Punjab, sont petites. Elles n’ont qu’un étage, avec une cour devant. Elles sont en argile ou en briques séchées au soleil. En été, les gens dorment sur la terrasse, sur des lits portatifs, les tcharpoys, qui peuvent être déplacés rapidement en cas d’ouragans, comme Court l’a remarqué.

Les gens aisés ont des maisons en briques cuites. Court a noté que ces maisons ont un étage supérieur et une véranda ou galerie soutenue par des colonnes en bois, et qu’elles n’ont ni chaises ni tables : chez le peuple, on s’assied sur des nattes ; chez les riches, sur des tapis. On enlève ses chaussures avant d’entrer dans les appartements. Certaines personnes, aisées bien entendu, sont suivies d’un domestique qui ramasse les chaussures de son maître et les lui présente à sa sortie.

Dans les villes, les rues sont étroites et malpropres, comme l’a remarqué Jacquemont dans le cas d’Amritsar et de Lahore.

Nourriture

Au XIXe siècle, en général, la nourriture des Sikhs est simple mais épicée surtout par de la cardamone et du ‘zerd-tchioup’[13]. Avec des légumes et des lentilles, ils consomment aussi de la volaille et du gibier ainsi que de la viande, à l’exception du bœuf.

Les Sikhs sont très sobres dans leur nourriture. Ils se nourrissent de froment, de dal, de moungh, de mache, de riz et autres légumes dont le pays abonde. Le dal surtout est leur aliment favori. Ils font beaucoup usage de laitage et de beurre qui abonde par la quantité de bestiaux qu’ils élèvent. Ils mangent de la viande de chèvre, celle de mouton leur répugne. Ils mangent aussi du sanglier, du gibier et de la volaille dont le pays abonde[14].

Le maharaja lui-même prend des repas simples. Court a noté que celui-ci n’est ni friand ni gourmand et qu’il ne consomme que ce qu’il faut pour subsister. Ses portions sont bien mesurées, comme si un médecin les contrôlait. Il aime manger aussi des fruits frais.

Les friandises et sucreries sont aussi très appréciées par les Sikhs :

Ils aiment les friandises. Les leurs se préparent de diverses manières, avec de la farine, du beurre et du sucre[15].

Selon Court, ou bien ils ignorent le procédé employé pour raffiner le sucre de canne, ou bien ce dernier leur répugne, mais ils excellent dans la production du sucre candi.

Comme boisson, c’est l’eau qui accompagne en général les repas, sucrée avec du ‘gour’, ou mélasse, par le peuple et du sucre candi par les riches. Le maharaja Ranjit Singh boit aussi en général de l’eau à ses repas ou quelquefois des rafraîchissements préparés pour lui par Kahan Singh, son échanson. Certains consomment aussi une liqueur forte distillée à base de l’écorce d’un arbre des montagnes et de mélasse.

Le ‘soukha’, boisson préparée avec la cosse du pavot et de l’eau, et le ‘bhang’, préparé avec la feuille et la graine de chanvre, se consomment aussi. Selon Court, ces deux boissons, avec l’opium que certains prennent en excès, les entraînent dans une sorte d’apathie ou d’imbécilité morale. En outre, les Sikhs boivent aussi du vin du Kashmir, comme l’a remarqué Théroulde:

On fabrique du vin. […] il est très-spiritueux. Les Sikhs l’aiment beaucoup[16].

Les repas sont servis sur des plateaux et des vases de cuivre jaune, si bien entretenus que la vaisselle luit comme de l’or. À la campagne, les mets sont servis dans des écuelles de feuilles qui sont jetées après usage.

Éducation

Court a observé que l’éducation est négligée par les Sikhs de l’époque. Par conséquent, la majorité d’entre eux reste analphabète.

L’Éducation : cette branche de l’économie politique est peu solide parmi les riches et très négligée dans les classes inférieures. Il n’y a presque pas d’école publique dans le pays : aussi la plupart des Sikhs ne savent ni lire, ni écrire. Les riches ont des précepteurs chez eux[17].

Le général Allard, contemporain de Court, a affirmé qu’il manque une éducation aux enfants dans le royaume sikh. Selon lui, tout ce qu’un enfant de huit ans apprend, c’est à monter un cheval, à conduire un éléphant et à se servir d’un fusil : on pourrait même dire que c’est sans doute aux garçons que ce général fait allusion. D’après lui,

[l]eurs enfants ne reçoivent aucune éducation intellectuelle ; ils n’apprennent ni à lire, ni à écrire. Pour les notions du bien et du mal, on les abandonne à leurinstinct naturel ; système d’éducation qui explique peut-être pourquoi il y a un si bon nombre de voleurs et de bandits dans le royaume de Lahore[18].

Allard, aussi bien que d’autres voyageurs comme Jacquemont, a remarqué que ni le maharaja Ranjit Singh ni ses fils ni beaucoup de ses sujets ne sont lettrés. En revanche, Jacquemont a constaté la présence des écoles pour les enfants dans le royaume.

Il existe des écoles où les enfants des deux sexes confondus apprennent à lire et à écrire, au milieu du tumulte des bazars. Les enfants s’y instruisent les uns les autres, comme dans la méthode lancastrienne. Ils les fréquentent dès l’âge de 4 ans et paraissent s’y amuser beaucoup[19].

Preuve en est donnée par une femme de l’époque qui savait lire et écrire, en la personne de la reine Chanda qui tenait le pouvoir en tant que régente, même si ce pouvoir était nominal et si elle ne signait que ce que les chefs du conseil lui dictaient.

Le pouvoir nominal est aux mains de la reine, Ranie Chaudra (Chanda), mère de Dhulip-Sing dont le rôle se borne à signer les ordonnances que lui dictent les chefs éphémères de ces turbulentes milices. Elle ne manque pas d’instruction pour une Indienne, c’est-à-dire qu’elle sait lire et écrire […][20].

Vie sociale

Les Sikhs en général sont vus comme des gens pleins d’activité, laborieux et patients dans l’adversité malgré la chaleur de leur pays, ce qui, d’après Court, devrait les rendre paresseux comme les autres peuples de l’Inde. Pour eux, la famille est très importante. Mais, toujours selon Court, ils sont peu hospitaliers :

L’hospitalité et la sociabilité sont étrangères au Sikh : il vit uniquement pour sa maison et sa famille. Les fils partagent rarement l’héritage de leur père. Toute la famille reste réunie dans le même village et jouit en communauté de la succession sous la direction de l’aîné[21].

Il existe une certaine égalité entre les femmes et les hommes :

Les femmes sont traitées par eux avec douceur et sur le pied de l’égalité. Elles ne sont pas aussi strictement renfermées que les mahométanes. Elles se voilent mais pas aussi soigneusement que ces dernières, celles de la haute classe ne se laissent jamais voir[22].

Celles-ci peuvent même régner, comme dans le cas de la reine Chand Kaur, qui n’a pu toutefois le faire que par l’intermédiaire d’un conseil. En plus, elle tient un durbar[23], se mettant derrière un rideau, ne se laissant pas voir. En revanche, l’image des femmes de l’époque présentée par Allard ressemble à celle des femmes musulmanes :

Les femmes de Lahore sont élevées dans une ignorance parfaite de toutes choses ; elles ne savent guère que manier l’aiguille et faire de la tapisserie. Elles vivent dans une réclusion absolue, ne voyant jamais le ciel que du haut des terrasses de leurs maisons, ou quand elles se promènent, au fond leurs palanquins ouverts par le haut […][24].

Loisirs 

À cette époque-là, pour se divertir, il n’y n’a pas de cafés comme chez les Français, ni d’autres lieux de rencontre. Il n’y a pas de journaux non plus. Les jeux pratiqués sont les jeux d’adresse et les exercices du corps. Certains Sikhs connaissent les jeux de cartes et d’échecs, qui sont différents de ceux des Français. Les seuls spectacles observés par Court sont les danses des bayadères qu’ils aiment regarder lors des fêtes.

Mariage 

Les mariages et les naissances sont des occasions de célébration. Parmi les voyageurs de cette époque-là dont nous avons étudié les écrits, Court et Théroulde ont donné des récits de ces fêtes. Puisqu’il fait partie de la cour royale, Court décrit les mariages et naissances qu’il a observés dans ce milieu. Il note toutefois, à propos des mariages sikhs en général, qu’ils se célèbrent entre les jeunes filles et garçons avec la permission des parents. Souvent, les jeunes se marient avant qu’ils aient eu l’âge de quinze ans !

Les parens fiançaillent leurs enfans dès leur bas âge et leur permettent de se fréquenter. Ils cohabitent ordinairement avant l’âge de quinze ans, ils obéissent ainsi de bonne heure aux penchants de la nature, ce qui les préserve de libertinage[25].

Théroulde également a témoigné du mariage précoce : il a eu l’occasion de voir un fiancé de cinq ou six ans en procession de mariage. Il ne peut comprendre où se trouvait la fiancée, car d’après lui, c’est quelque chose dont on ne parle guère :

Les mariages d’enfants entre eux et ceux de vieillards avec de jeunes filles en bas âge sont très-fréquents. Les parents concluent ces unions par des considérations de fortune et de famille[26].

Théroulde rapporte par ailleurs que

dans certains pays de l’Inde, on tue les filles quand on n’espère pas les marier convenablement[27].

Selon Court, il n’y a ni cérémonie religieuse, ni cérémonie civile, ce qui nous paraît être improbable. Il observe que les mariages sont coûteux, en raison du grand nombre de parents invités et du fait qu’ils durent plusieurs jours. Il note surtout que les mariages sont ruineux pour les gens d’un rang supérieur. Comme exemple d’un mariage extravagant, on trouve celui de Sham Singh Attariwala, le beau-père du prince Naunihal Singh qui s’est ruiné en payant les frais de noces et en servant des repas aux milliers de mendiants venus de partout. Selon la coutume, on est censé faire des aumônes à cette occasion. D’après Court, le maharaja Ranjit Singh a distribué huit lacs [huit cent mille] de roupies en aumônes, lors du mariage de Naunihal Singh. Les invités offrent chacun un cadeau de noces.

Les mariages sont annoncés par l’envoi de sucreries chez les invités. Dans le cas d’un mariage royal :

Il est d’usage de les annoncer par des corbeilles de sucreries que le roi envoie à tous les personnages de distinction[28].

Tous les invités du roi se présentent à un durbar donné pour l’occasion, où chacun offre une certaine somme d’argent imposée par le monarque : cinq, sept ou neuf mille roupies. Après les cérémonies, un khélat (robe d’honneur) est offert à chacun en retour.

Court a évoqué la polygamie chez les Sikhs en disant qu’elle n’existe guère chez les riches, mais qu’à l’inverse, elle est admise parmi le peuple :

Le frère aîné d’une famille choisit une épouse, elle lui est commune avec tous ses puinés en quelque nombre qu’ils soient. Cet usage n’est pas général et il n’est pas autorisé par le gourou Nanek, ce n’est qu’un désordre accidentel[29].

Naissance 

Un seul des voyageurs français de l’époque, le général Court, mentionne les naissances qui sont aussi des occasions de fête. Pourtant, il n’évoque que les naissances des princes. Les membres de la cour doivent offrir des bijoux au nouveau-né. Il semble que la naissance d’une fille ne méritait pas de célébration. Par ailleurs, la naissance des filles n’est évoquée que pour regretter qu’elles soient tuées dès leur enfance : St-Hubert Théroulde y fait allusion aussi dans son ouvrage, lorsqu’il décrit les mariages.

Décès 

Collin de Bar, magistrat à Pondichéry au début du siècle, a pu se renseigner sur les mœurs des Sikhs tout en restant au sud de l’Inde, tandis que les Sikhs se concentraient au nord. Il note que ces derniers brûlent leurs morts :

Les Sceiks brûlent leurs morts, et ne permettent pas que leurs veuves s’immolent sur le bûcher de leur mari[30]

Comme Collin de Bar, Théroulde observe que les Sikhs, de même que les Hindous, brûlent les corps et en abandonnent les cendres. Il a été témoin des cérémonies de funérailles :

En me promenant sur les bords des rivières, j’ai quelquefois été témoin de ces cérémonies. Les parents apportent le corps. Ils font un bûcher plus ou moins considérable, selon leur fortune, puis ils se mettent à genoux à la file l’un l’autre en chantant des prières, et vont se baigner. Quand le feu est bien allumé, ils quittent la place[31].

Selon l’usage, au moment du dernier soupir d’une personne, on retire le lit de celle-ci et on la couche par terre. Court en a cité un exemple : le maharaja Sher Singh est tombé subitement malade et par conséquent on lui a retiré son lit. Heureusement qu’il a recouvré la santé grâce aux soins qu’on lui a donnés.

La description des funérailles du maharaja Ranjit Singh ainsi que celles du Maharaja Sher Singh a été donnée par Court. Ce dernier n’est pas un témoin oculaire des funérailles de Ranjit Singh, mais il s’est servi du récit de Hönigberger qui a mentionné aussi qu’une douzaine de femmes se sont brûlées sur le bûcher du maharaja. D’après sa description, le corps de celui-ci fut porté sur un char construit en forme de vaisseau, en raison des superstitions selon lesquelles l’âme du défunt serait transportée au paradis. Un bûcher de bois de santal et des matières combustibles étaient préparés pour le corps du roi.

Quatre de ses femmes légitimes, avec sept de leurs esclaves dont une à peine âgée de douze ans […] montèrent avec enthousiasme sur le bûcher sans redouter l’affreuse mort qui allait les attendre[32].

Selon l’usage rapporté par Court, ces femmes se trouvaient couvertes immédiatement par plusieurs châles jetés sur elles par les personnages de la cour. Le bûcher se mettait aussitôt en flammes et le bruit des tambours avec les acclamations des gens étouffait les cris de ces femmes qui se faisaient brûler.

La coutume de sati[33] décrite ci-dessus s’était introduite parmi les Sikhs de cette époque. D’autres voyageurs l’ont décrite également. Saint-Hubert Théroulde a entendu, lors de sa visite au Kashmir, la nouvelle de la mort du maharaja Ranjit Singh et la sati d’une dizaine de ses femmes :

Les femmes sikhes ont adopté cette coutume hindoue, effet d’une ferveur religieuse qui s’éteint chaque jour[34].

Théroulde rapporte qu’au moment de se coucher sur le bûcher funéraire, ces femmes portent leurs plus beaux vêtements et des bijoux qui seraient partagés par les prêtres. Il remarque que, selon les lois hindoues, une femme se déshonore si elle se remarie et qu’elle doit alors passer le reste de sa vie en exil ; ce serait donc pour éviter une telle existence que les veuves se brûleraient.

Allard a témoigné de cette coutume selon laquelle les veuves s’immolaient. Il a voulu y mettre fin mais il s’en est trouvé incapable devant ses soldats, dans un cas particulier où il a appris que la veuve d’un soldat allait se brûler. Des officiers sont venus lui dire qu’ils étaient prêts à obéir à tout ordre dans l’armée mais qu’en ce qui concernait cette tradition, ils ne lui obéiraient pas.

Court, comme Théroulde, mentionne les ablutions faites par les parents du défunt. Il rapporte qu’après les funérailles du maharaja Kharak Singh, son fils allait faire ces ablutions prescrites quand il s’est trouvé écrasé sous le poids d’un portail tombé sur lui. La coutume de jeter les cendres dans le Gange est aussi observée par Court.

Fêtes

Plusieurs voyageurs français de la première moitié du XIXe siècle ont évoqué les fêtes célébrées à l’époque. Jacquemont, Allard, Court, De Warren, chacun à son tour a donné son récit. Le Dussehra a été observé comme étant une fête par tous ces voyageurs cités ci-dessus. Jacquemont et Court l’ont décrit en détail ; Allard et De Warren l’ont évoqué.

Jacquemont a témoigné de la célébration de cette fête religieuse qui a pris un caractère militaire sous le régime du maharaja Ranjit Singh. Lors de sa visite de la ville d’Amritsar, il a pu assister aux festivités de Desserré (Dussehra). Selon lui, cette fête qui est la plus grande dans le Bengale, a été conservée par les Sikhs dans leur calendrier. Dans le royaume sikh du Punjab, c’est le jour où le roi passe en revue son armée. Ce voyageur a donné un récit des festivités en octobre 1831 :

Deux cent mille hommes étaient campés autour d’Umbritsir. Au milieu de ce camp immense s’élevait la tente royale, au centre d’une cour fermée de draperies de soie […][35].

Les troupes étaient vêtues de costumes superbes :

Chacune de ces troupes, comme celles des petits radhjas grecs assemblés sous les murs de Troie, a sa physionomie propre, son costume particulier. C’est une nation à part des autres. Les chefs sont couverts d’or, de soie et de pierreries, qui brillent sur le fond sévère d’une lourde cotte de mailles. Leur coiffure est une combinaison pittoresque du casque et du turban qui s’enroule à l’entoure. Leurs chevaux ne sont pas moins magnifiquement équipés, et les cavaliers les montent avec une grâce et une audace bien inconnues de nos vieux écuyers de manège[36].

Toute la cour défilait à l’occasion devant le maharaja et les invités, chaque seigneur déposant « de monstrueux sacs d’or et d’argent » aux pieds du roi puis faisant défiler son armée devant Ranjit Singh.

La religion trouve encore sa place dans cette fête devenue plutôt militaire et

[c]haque corps, après la parade royale, alla faire la guerre à d’immenses géants de papier qui, à la grande confusion des divinités ennemies de Brahma, Vishnou et Cousou, disparurent dans une flamme gigantesque[37].

Le général Court a relaté cette cérémonie qui était célébrée dans « la vaste plaine qui s’étend au nord de ce lieu »[le jardin de Ram Bagh à Amritsar]. Comme Jacquemont, il a décrit la splendeur de la cour :

La cour sikh se montrait dans toute sa splendeur le jour de Desserré, grande fête des Indous instituée en commémoration de la prise de Lanka par Rama et qu’une grande partie de l’armée du Maharajah (40 à 60 mille hommes) rassemblée dans la plaine d’Amretser célèbrait avec pompe et éclat. Dans ce seul jour les Sikhs brulaient plus de poudre que n’en consommerait dans une grande bataille une armée de cent mille hommes[38].

Selon lui, deux géants se trouvaient dressés dans la plaine, dont l’un représentait Lanka (en fait le roi des démons Ravana) entouré d’une forteresse que le dieu Rama attaquerait. La magnificence de la cour et le dais sur lequel le maharaja était assis sont décrits par Court. En lisant le récit, on entend presque le bruit de la détonation des canons et de la mousqueterie ajoutée aux cris des spectateurs, et les éléphants avec le hennissement des chevaux, dans la confusion qui suivait le signal que donnait Ranjit Singh, et l’on voit la foule se précipitant ensuite sur les géants pour en ramasser les débris.

Évoquant la fête des lumières ou Diwali, ce même auteur nous apprend qu’elle est pratiquée par la cour mais qu’elle est plus commune aux Hindous qu’aux Sikhs et que selon l’usage, on se livre au jeu à cette occasion, si bien que certains se ruinent.

Il décrit également la fête du printemps ou Bassant. Comme le Dussehra, elle a pris un caractère militaire :

Une autre fête célébrée par les Sikhs avec la pompe militaire est Bissint (fête du printemps) où la cour et toutes les troupes s’habillent en jaune. Les dernières se mettent dans les armes pour border la haie à la cour qui montée sur des éléphants se rend avec apparat au santon de Madelal Hossein situé non loin de la ville de Lahor. Là le Maharajah ouvre le Durbar, reçoit le nazer[39] de ses serviteurs auxquels il a envoyé dans la matinée le Kœlat ou habillement d’honneur, puis se retire avec la même pompe dans son palais[40].

La Hôli, la fête des couleurs, était célébrée par la cour et par le peuple. À la cour, ce jour-là, tout le monde s’asseyait avec une allure grave, puis on se lançait pour s’amuser des balles faites en colle de poisson remplies de poudre rouge. Des domestiques fournissaient des balles à leurs maîtres. Le maharaja participait à ce jeu comme les autres mais, selon Court, personne n’osait riposter à ses coups. Chez le peuple, on s’aspergeait de liquide jaune en se servant de seringues, et même de boue. Les enfants jouaient de mauvais tours comme il leur plaisait, sans pour autant contrarier les passants.

Quelques autres usages

La tradition, chez les Sikhs, de partager la nourriture préparée dans une cuisine commune appelée le Langar est évoquée par Collin de Bar :

Ils ont une communion qu’ils font en commun, elle consiste en un pain cuit sous le cendre, fait avec de la fleur de farine et du beurre[41].

La coutume d’offrir des cadeaux, des fruits et des sucreries aussi bien que de l’argent, existait bien à l’époque. Jacquemont a reçu du maharaja plusieurs fois des sommes d’argent plus ou moins grandes à plusieurs occasions, lors de sa visite. Il a été accueilli avec des sucreries, des cadeaux, des robes d’honneur ou khélat. Les sommes d’argent offertes étaient souvent 101, 500 ou 1100 roupies. Au moment de son départ, ce voyageur a reçu onze objets : des châles, d’autres étoffes et cadeaux avec 1100 roupies. Le maharaja Sher Singh a offert au fils du général Court un bon de 2100 roupies comme cadeau au moment de son départ.

Le Sikh prête serment sur son sabre : le général Court l’a non seulement noté, mais il a été obligé de faire comme un Sikh, quand la régente a appris qu’il se préparait un complot contre elle dans la cour. Une fois que Court avait prêté serment sur son sabre, il ne pourrait pas soutenir l’action contre elle, du moins directement.

Collin de Bar a décrit brièvement mais avec précision la cérémonie d’initiation chez les Sikhs. E. de Valbezen a pris Asiatic Researches, vol. Ier comme source pour son explication de cette cérémonie d’initiation :

Prendre le pahal. La cérémonie d’initiation à la religion des Sikhs […], [après que] le néophyte [a] fait connaître son désir de renoncer à sa foi religieuse […][42],

devant une assemblée de cinq personnes au moins, une sucrerie connue sous le nom de batasa est dissoute dans de l’eau avec laquelle on asperge ses yeux et son corps. Un des Sikhs présents répète à haute voix des articles de la religion de Nanak que le converti doit promettre d’observer. Puis il doit choisir un maître spirituel pour que celui-ci lui enseigne la langue des livres saints et qu’il en explique les doctrines. Cette cérémonie est décrite avec assez d’exactitude par l’auteur, ce qui n’était pas le cas dans les écrits des auteurs du XVIIIe siècle : les préjugés contre les sources musulmanes donnaient des récits dans lesquels certains auteurs mentionnaient que le néophyte devait jurer une haine contre tout musulman, (ce que Court aussi a répété, sans doute en raison de l’ouvrage historique dont il s’est servi) ou que l’eau que celui-ci devait boire lors de la cérémonie contenait du sang de sanglier dans le cas d’un musulman qui se convertissait  (rapporté par Collin de Bar également au début du XIXe siècle).

Les autres cérémonies comme celles du mariage, de nommer l’enfant devant le livre Saint, ou le Gourou Granth Sahib ne trouvent aucune mention dans les écrits de ces voyageurs. Les anniversaires de naissance, de mariage et de mort ou du martyre des gourous sikhs qui se célèbrent encore aujourd’hui n’ont même pas été évoqués, ce qui est surprenant, bien que des voyageurs comme Court, Jacquemont et Théroulde aient évoqué des pèlerinages que le monarque ou les gens entreprenaient.

On trouve qu’encore une fois, des superstitions dont les Sikhs s’étaient affranchis (ce qui était remarqué par les voyageurs du XVIIIe siècle tels Modave[43]), se sont glissées dans leur religion au XIXe siècle. Jacquemont, Court et Théroulde en ont remarqué certaines.

Ce tableau des mœurs dressé à partir des récits des voyageurs français de la première moitié du XIXe siècle nous donne quelques images très détaillées, d’autres n’étant que des esquisses. Cependant, il comporte plusieurs parties obscures, que d’autres scènes trouvées dans les récits qui restent encore à étudier complèteront sans doute un jour pour nous faire voir un tableau plus complet de l’époque.

Aurora Ramnik

Notes de pied de page

  1. ^ Court, Auguste, Mémoires,t. V (de 1826 à 1843), MS, Paris, p. 209.
  2. ^ Idem.
  3. ^ Cuvillier Fleury, Notes historiques sur le général Allard, Paris, Imprimerie et fonderie de Fain, 1836, p. 39-40
  4. ^ Comme dans la suite du texte, l’orthographe originelle a été respectée [NDLR].
  5. ^ Court, op. cit., p. 211.
  6. ^ Court, idem.
  7. ^ Les Akalis ou immortels, Sikhs guerriers plutôt fanatiques.
  8. ^ Court, id., p. 201.
  9. ^ Court, id., p. 213.
  10. ^ Ibidem.
  11. ^ Ibid.
  12. ^ Warren, Édouard de, « Ranie Chanda et la cour de Lahore, depuis la mort de Rundjet-Sing », Revue des Deux Mondes, 1846, t. 14, p. 5.
  13. ^ Zerd-tchioup serait probablement du safran.
  14. ^ Court, id., p. 211.
  15. ^ Court, id., p. 212.
  16. ^ Saint-Hubert Théroulde, Voyage dans l’Inde, notes recueillies en 1838, 39 et 40, Paris, Benjamin Duprat, 1843, p. 201.
  17. ^ Court, id., p. 214.
  18. ^ Cuvillier Fleury, op. cit., p. 22-23.
  19. ^ Jacquemont, Victor, Journal, Paris, Firmin Didot Frères Imprimeurs de l’Institut de France, 1861, V, p. 63.
  20. ^ Warren, op. cit., p. 143.
  21. ^ Court, id., p. 213.
  22. ^ Court, id., p. 214.
  23. ^ Durbar : cour.
  24. ^ Cuvillier Fleury, op. cit., p. 20-21.
  25. ^ Court, ibid., p. 213.
  26. ^ Saint-Hubert Théroulde, op. cit., p. 140-141.
  27. ^ Idem.
  28. ^ Court, id., p. 34.
  29. ^ Court, id., p. 213.
  30. ^ Collin de Bar, Alexis-Henri, Histoire de l’Inde ancienne et moderne, Paris, le Normant, Imprimeur-libraire, 1814, t. 2, p. 286.
  31. ^ Saint-Hubert Théroulde, op. cit., p. 132.
  32. ^ Court, id., p. 98.
  33. ^ Sati : immolation par la veuve sur le bûcher de son mari.
  34. ^ Saint-Hubert Théroulde, op. cit., p.186.
  35. ^ Jacquemont, Victor, Correspondance 1824-1832, Pondicherry, Kailash Editions, 1993, t. 2,p. 156.
  36. ^ Jacquemont, idem, p. 158.
  37. ^ Jacquemont, id., p. 159.
  38. ^ Court, id., p. 31.
  39. ^ Nazer : présent.
  40. ^ Court, id., p. 32.
  41. ^ Collin de Bar, op. cit., p. 286.
  42. ^ Valbezen, Eugène de, Les Anglais et l’Inde (Nouvelles Études), Paris, E. Plon et Cie, Imprimeurs-éditeurs, 1875, t. 1, p. 60-61.
  43. ^ Deleury, Guy, Les Indes florissantes, anthologie des voyageurs français (1750-1820), Paris, Robert Laffont, 1991, p. 144-145.

Référence électronique

Aurora RAMNIK, « LES MŒURS SIKHES VUES PAR DES VOYAGEURS FRANÇAIS », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Octobre / Novembre 2013, mis en ligne le 12/08/2018, URL : https://www.crlv.org/articles/moeurs-sikhes-vues-voyageurs-francais