LE CLÉZIO ET LA QUÊTE D’HARMONIE

LE CLÉZIO ET LA QUÊTE D’HARMONIE

Quelle harmonie cherche-t-il ?

Âgé de sept ans, JMG Le Clézio part rejoindre au Nigéria un père qu’il n’a jamais vu. Il écrit alors à bord du bateau deux petits romans. Cette aventure est une expérience fondatrice, faisant naître chez l’enfant un double désir d’écrire et de voyager. Après l’Afrique, il multiplie les voyages et vit de sa plume. Mais est-il vraiment un voyageur au sens habituel du terme ? Il se définit ainsi : « Aujourd’hui, je ne me considère pas du tout comme un voyageur, mais plutôt comme quelqu’un qui nomadise ». Ce nomadisme, cette errance sont orientés vers un but : il cherche certes une image de lui-même, mais avant tout, il poursuit, de livre en livre, la quête d’un ailleurs où il découvrira, entre autres, l’harmonie. Harmonie de l’être et du monde. Harmonie de l’univers. Et l’écrivain ressent la nécessité d’inventer une « écriture nouvelle », qui soit en adéquation avec son rêve de fusion dans le monde. L’artiste, lui, poursuit une longue quête de la beauté, « celle qu’on peut découvrir dans la vision d’une harmonie simple ». Il décrit ainsi son rêve : « Écrire seulement sur les choses qu’on aime. Écrire […] et reconstruire [la beauté] »[1] et « comprendre la beauté, c’est parvenir à faire coïncider son rythme avec celui de la nature »[2]. Cette conception de l’Art implique une appréhension du rythme universel.

Ambivalence de la ville Nice, ville fascinante et agressive

C’est à Nice que JMG Le Clézio naît et passe son enfance. Ce Nice des toutes premières années est celui des premières errances, source de bonheur. L’enfant est pris sous le charme de l’architecture et de l’atmosphère de cette ville dont il fait une description stylisée dans Poisson d’or : « Une belle ville blanche avec des coupoles et des bulbes »[3]. Ce Nice des premières errances est aussi celui des jardins plantés de palmiers, des massifs d’orangers, des haies de cyprès, des lauriers à l’odeur chaude. Ses romans et nouvelles, en particulier « Villa Aurore », nouvelle extraite de La Ronde et autres faits divers[4], seront baignés de ce Nice dont l’enfant aime l’exotisme, la vaste lumière et avec lequel il se sent en harmonie. Cette ville « pour rêver, pour se promener » du petit Jean-Marie-Gustave restera pour l’adulte le paradis nostalgique de son enfance.

Revenu à Nice au début des années 60, JMG Le Clézio redécouvre la ville de son enfance sur laquelle il porte alors un autre regard ; elle fascine et agresse. Cette dualité, il la définit ainsi « [elle] était vraiment un enfer sartrien, décoré de palmiers, de bâtiments rococos, aux façades roses »[5]. Nice, ville gigantesque, mécanique, est, pour l’adulte, un univers oppressant, bruyant, déshumanisé. Telles sont les sensations qu’éprouvent Mondo et Lullaby, les deux protagonistes des contes éponymes du recueil Mondo et autres histoires.

C’est ainsi que Mondo, en montant sur une colline, découvre l’urbanisme géométrique, sans âme, de la ville moderne :

« Plus on montait, plus [elle] devenait plate avec tous les rectangles des immeubles et les lignes droites des rues »[6]. JMG Le Clézio peint aussi l’effervescence, le bruit qui règnent le matin dans les rues, quand les gens vont travailler : « On entendait la ville qui commençait à gronder. C’était un bruit lointain […] un bruit sourd. Les vélomoteurs couraient dans les rues en faisant un bruit de bourdon, emportant les hommes et les femmes ».

De même, à Lullaby, le centre ville paraît, à son retour de fugue, un lieu de déshumanisation : c’est ainsi qu’elle prend « un grand mannequin de matière plastique, vêtu d’une cape de loden vert[7] pour une femme. Ainsi Mondo et Lullaby se sentent-ils étrangers à cet univers urbain. Si le Nice de l’enfance et de l’âge adulte de l’écrivain est présent dans nombre de ses œuvres, il n’est pas un livre qui, comme Le Livre des fuites, n’invite le lecteur, de quelque façon, à traverser les villes du globe, ou à les explorer, telle Marseille.

Marseille, antithèse de Nice

Si Nice évoque surtout, dans notre imaginaire,

« [ces] grandes villes blanches au bord de la mer, avec toutes ces allées de palmiers, ces jardins qui vont jusqu’en haut des collines, pleins de fleurs »

que décrit le vieux pêcheur Naman, Marseille est d’abord pour JMG Le Clézio, une ville cosmopolite où l’on côtoie en particulier

« ceux que la pauvreté a conduits ici, les Noirs […] les Nord-Africains […] des Turcs, des Espagnols, des Grecs »[8].

Lalla, héroïne de Désert, fascinée par le mythe des « grandes villes blanches » et poussée par la nécessité, quitte un jour « la Cité des planches et de papier goudronné », le Maroc, et embarque pour la cité phocéenne. Mais à peine entrée dans la rade du port de Marseille, « elle ne voit pas la ville blanche dont parlait Naman le pêcheur, ni les palais, ni les tours des églises »[9]. Et, au cours de ses errances à travers la ville, elle découvre son vrai visage et rapidement l’illusion du mythe fait place à une profonde déception. Elle porte alors un regard critique, distancié, sur Marseille, regard d’une fille du désert, univers de la pureté et de la lumière.

La vision de la jeune fille est, en fait, celle de l’auteur pour qui cette ville illustre bien la contradiction néfaste de la modernité et de l’humain, thème cher à l’écrivain pour qui la ville moderne distille une inhumanité manifeste.

Elle est d’abord frappée par le gigantisme de Marseille :

cette ville est vraiment très grande. [Elle] n’avait jamais pensé qu’il pouvait y avoir tant de gens vivant au même endroit […]. Il y a tellement de maisons, de magasins, de fenêtres, d’autos.

Elle éprouve alors une sensation physique de malaise :

« Cela fait tourner la tête, et le bruit et l’odeur de l’essence brûlée enivrent et donnent mal à la tête »[10].

Les immeubles d’une cité nouvelle sont, eux aussi, gigantesques, comme cette ville :

« Des immeubles grands comme des falaises […] avec des milliers de petites fenêtres »[11]. Lalla se sent alors écrasée. Marseille est aussi une ville cruelle à ses yeux.

Et, au cours de déambulations nocturnes, gagnée par la peur, elle métamorphose les immeubles qui, dans son imaginaire, deviennent des « géants immobiles, aux yeux sanglants, aux yeux cruels, géants dévoreurs d’hommes et de femmes »[12]. Ainsi la cité d’aujourd’hui, en particulier Marseille, est l’incarnation moderne de l’ogre légendaire.

Lalla remarque aussi l’indifférence du flot continu des passants à la misère humaine qui s’étale dans les rues. Seule, la jeune fille porte un regard compatissant sur tous ces gens pauvres « qui ont l’air égaré » :

Elle voit des femmes en haillons, […]. Elle voit des hommes vêtus de longs manteaux rapiécés […]. Elle voit des enfants seuls, le visage sale, les cheveux hérissés, vêtus de vêtements trop grands pour leurs corps maigres »[13].

L’univers urbain lui apparaît alors comme l’espace de la dureté, ce qu’elle ressent encore plus dans la gare de Marseille, lieu de passage de ces pauvres venus d’ailleurs. Dans cette ville déshumanisée, comme par un effet de mimétisme, elle se déshumanise à son tour, à l’image de la cité et de ses habitants, ce que JMG Le Clézio traduit par une comparaison « pareille à un mannequin désarticulé »[14]. Au cours d’une longue errance nocturne à travers les quartiers pauvres de Marseille, Lalla a l’impression de « [descendre] sans fin à travers tous les degrés de l’enfer », là où l’humain et la beauté ont totalement disparu : « Peut-être qu’il n’y a pas d’amour, nulle part, pas de pitié, pas de douceur. Peut-être que la taie blanche qui sépare la terre du ciel […] a fait mourir […] toute la beauté ». Lalla « sent [alors] le vertige continu du vide qui entre en elle »[15], comme « le vide entre par les fenêtres béantes ». Elle voudrait crier, mais « [l]e vide et la peur ont fermé étroitement sa gorge »[16]. C’est un sentiment angoissant de solitude, d’abandon qui l’envahit dans ce silence de l’indifférence. L’enfer, c’est aussi celui des hommes prisonniers du Panier, quartier où habite Lalla, transformés en esclave, enfermés dans un espace clos, sans issue ; leur sort est inéluctable : « Peut-être qu’ils croient qu’ils pourront s’en aller un jour […]. Mais c’est impossible […]. Tout les tient, les enserre, les fait prisonniers, et ils ne pourront pas se libérer[17]. Ainsi, la ville est présentée dans Désert comme un espace dans lequel l’homme ne peut pas trouver d’échappatoire. Seule, Lalla, qui a conservé l’empreinte ineffaçable du désert, peut échapper à l’emprise de la ville. C’est ainsi qu’un jour, elle décide de fuir pour rentrer dans son pays aux portes du désert, dernier refuge de la liberté, selon JMG Le Clézio. Ainsi, ni Lalla ni Mondo ne se sentent en harmonie avec l’univers urbain qu’ils perçoivent comme un espace inhumain, aliénant, où leur identité est menacée. Ils n’ont donc d’autre issue que la fuite. Fuir est aussi le credo de nombre de personnages le cléziens. Fuir la civilisation occidentale déshumanisée et ses villes de béton et de fer foncièrement inhumaines. La ville moderne n’apparaît donc pas à l’écrivain comme le lieu où les êtres réalisent leur rêve d’harmonie.

Quête d’un nouveau langage, source d’harmonie

Dès 1967, JMG Le Clézio souligne, dans L’Extase Matérielle, sa volonté de retrouver, par l’écriture, les forces élémentaires de la vie et d’appréhender « la matière multiple ». Et tout au long de son voyage au-dedans de lui-même, il est à la recherche d’un nouveau langage qui pourrait associer l’homme et l’univers et serait source d’harmonie. C’est cette quête qu’il entreprend lorsqu’il part à la rencontre des Indiens. De 1970 à 1974, au cours de séjours de six à huit mois, il partage la vie de peuples indiens du Darien panaméen, les Emboras, les Chocos. Immergé, en pleine forêt panaméenne, dans le quotidien de ces peuplades, il ne vit plus cérébralement et intellectuellement, mais sensoriellement : ses sens sont constamment en éveil, lui permettant d’entrer, pour la première fois, en communication directe avec l’universel. Il est ainsi initié au langage du monde visible : « la sensibilité de l’eau […], la pensée du ciel et des arbres, l’être des feuillages » précise G. de Cortanze. Cette approche du monde indien est une nouvelle expérience fondatrice, une véritable révolution pour un intellectuel occidental. Il nous en décrit lui-même les effets sur son œuvre future : « Par la suite, j’ai nourri mes livres de cette non-réalité, de ce grand changement »[18]. Il fait, en outre, une grande découverte : ici, l’être humain communique en dehors du langage. Mais, très vite il prend conscience que c’est un rêve insensé de vouloir fuir les mots comme Naja, Naja qui, dans Voyages de l’autre côté, a réussi à pénétrer de l’autre côté du langage. Au contact des Indiens, il va poursuivre sa quête de ce langage magique qui associerait l’homme et l’univers. Ce rêve, il le décrit dans L’Inconnu sur la terre : « Je voudrais qu’il n’y ait pas de différence entre les éléments et les hommes, entre la terre, la mer et les hommes »[19]. Cet essai traduit le souci constant de JMG Le Clézio de retrouver ce langage magique. Dès la première phrase, l’écrivain nous décrit son projet, son désir profond :

Je voudrais vous parler loin, longtemps, avec les mots qui ne seraient pas seulement des mots, mais qui conduiraient jusqu’au ciel, jusqu’à l’espace, jusqu’à la mer.

Par touches successives, il précise, au fil des pages de l’essai, sa conception de l’art littéraire. Il sait, bien sûr, les limites du langage humain « [il] n’est jamais satisfaisant. Ce qui se créé aussitôt se défait »[20]. C’est dans la peinture de la lumière qu’il voudrait concrétiser son rêve de langage magique, parce que, selon lui, elle révèle l’harmonie du monde, d’où son désir de la célébrer qu’il explique ainsi : « le miracle de cette rencontre de l’eau, de la pierre et de la lumière, voilà la seule connaissance, la première morale […]. Je ressens la nécessité de la parole ». Et la lumière est aussi « la perfection, la force, la beauté ». Donc ce langage magique associerait les mots et la lumière : « Éclairer, illuminer, révéler les mots de la lumière, ce sont donc ceux de la magie ». Il lui permettrait aussi de « peindre la lumière pure, seule, sans objet »[21]. Dans cette quête, il découvre que, dans la lumière, il y a les mots de la lumière, ils ont une force qui ébranle le langage humain. Pour JMG Le Clézio, la lumière est le signe de la présence du divin, « le verbe suprême ». Lalla dans Désert est initiée au langage d’un être invisible qui se nomme Es Ser, le Secret :

Il ne parle pas le même langage que les hommes. Mais [elle] entend sa voix (…). Peut-être qu’il parle avec les mots de la lumière, avec les mots qui explosent en gerbes d’étincelles[22].

S’il a le souffle créateur, « un jour peut-être… Un jour la lumière sera tendue comme un drap éblouissant, et sur elle, les mots magiques apparaîtront »[23]. Le travail de création de l’écrivain sur la beauté consiste, selon lui, à « lier ensemble, […], assembler les morceaux de la beauté, et ensuite recomposer, reconstruire cette beauté ». Alors, la magie des mots opère : « Les arbres qui sont dans les mots […], les étincelles de lumière qui sont dans les mots, ils s’allument, ils brillent à nouveau, ils sont purs, ils s’élancent, ils dansent »[24]. Le langage ainsi est la lumière qui fait briller la réalité des choses cachée derrière les mots.

Ce que veut JMG Le Clézio, c’est retrouver, à travers les mots, la présence des choses. Le langage a alors la capacité de réaliser cette étonnante unité de l’homme et du cosmos. Pour l’écrivain, le langage est dans la matière : « le mot arbre est dans l’arbre, le mot mer est dans la mer », affirme-t-il dans Mydriases[25]. Et il ajoute dans L’Inconnu sur la terre : « une lumière, et d’un seul coup il n’y a plus de mots : il y a seulement l’étendue muette de la réalité, où le langage est déposé »[26]. Le langage n’est pas, pour lui, un simple système de signes figés. L’écrivain libère ainsi la création littéraire grâce à la magie de l’écriture qui épouse « la nudité et la beauté des choses […], la transparence des êtres, des choses et du monde »[27].

Harmonie de l’univers

JMG Le Clézio se situe dans la tradition philosophique pour laquelle l’essence du monde est l’harmonie, ce que les Grecs désignaient par le terme cosmos.

Harmonie et lumière

Selon l’écrivain, la lumière révèle l’harmonie à qui l’attend et la cherche. Dans L’Inconnu sur la terre il affirme : « le miracle de cette rencontre de l’eau, de la terre et de la lumière, voilà la seule connaissance, la première morale. Cette harmonie n’est pas illusoire. Elle est réelle »[28]. Jaurès, qui a réfléchi sur la lumière, éclaire notre étude quand il écrit :

la lumière est l’effort de l’infini pour se saisir et s’affirmer dans son unité […]. En créant la lumière, l’infini a voulu prendre possession de lui-même, il a voulu non pas être vu du dehors, mais se voir.

Elle est ainsi le miroir de l’infini ; elle a une dimension cosmique.

Dimension cosmique de la lumière      

Dans L’Inconnu sur la terre, JMG Le Clézio décrit le pouvoir de la lumière : « [Elle] emplit tout l’espace. Il n’y a rien d’autre qu’elle ». Il précise : « Blanche, éblouissante, elle vient du centre de l’espace »[29]. Cette lumière céleste investit l’espace, elle ouvre sur l’infini. Jon, dans le conte intitulé « La Montagne du dieu vivant »[30], a la révélation de la dimension cosmique de la lumière. Au terme de son escalade du mont Reydarbarmur, il découvre la relation étroite qu’entretient la montagne avec la lumière : elle est au centre de la lumière qui règne ici, tourbillonne, complètement libre. « Sans cesse elle jailli[t] de l’espace […] puis rebondi[t] jusqu’aux nuages ». Et cette lumière est celle des espaces intersidéraux, de l’infini : « C’[est] une lumière sans chaleur […], la lumière de tous les soleils et de tous les astres invisibles ». Le pluriel « les soleils » suggère l’idée d’univers. Ainsi ce sommet désolé, « Nu, sans une herbe, sans un creux »[31], royaume de la lumière, apparaît ici comme l’image de l’infini et de l’espace cosmique.

Conscience cosmique de la vie une 

À l’heure crépusculaire, Jon, assis sur le rebord de la montagne, poursuit son initiation à l’espace cosmique : il découvre que dans le cosmos coexistent les contraires, donnant le sentiment de la vie une :

La lumière du jour ba[t] tout près de l’horizon, répondant aux palpitations du ciel nocturne. Les deux couleurs, l’une sombre et profonde, l’autre claire et chaude [sont] unies au zénith et boug[ent] d’un même mouvement de balancier[32]

Ainsi, cette unité se révèle dans le frémissement de la lumière et les palpitations nocturnes, c'est-à-dire dans les manifestations de la vie de l’univers. Jon, qui a plongé au cœur de l’univers est désormais initié au mystère du cosmos.

« La Grande symphonie cosmique »

Maintenant, Jon écoute « la grande symphonie cosmique ». C’est une nouvelle étape de son initiation, de sa montée vers la connaissance. Cette initiation, qui a commencé avec l’ascension, physique et spirituelle, du mont Reydarbarmur, se poursuit quand l’adolescent acquiert alors la capacité d’entendre et de comprendre « le bruit, le grand bruit qui venait de tous les coins de l’espace et se réunissait autour de lui » ; comme si c’étaient des mots, des phrases, il écoute cette musique de la création : « il enten[d] la mer, le ciel, le soleil, la vallée qui cri[ent] comme des animaux. Il enten[d] les sons lourds prisonniers des gouffres […], le bruit continu des glaciers ». Il a même accès à ce que l’ouïe humaine ne peut capter, à l’infiniment petit : « les vibrations des racines, le goutte-à-goutte de la sève dans les troncs des arbres, le chant éolien des herbes coupantes ». Cette musique – final de la symphonie – est, à la fois, révélation de l’harmonie du monde et manifestation de la vie profonde de la nature. Tous ces bruits de l’univers pénètrent Jon désormais initié à son langage, immergé dans le grand Tout : « Tous les bruits emport[ent] Jon, son corps flott[e] au-dessus de la dalle de lave, gliss[e] tandis que […] les étoiles brill[ent] de leur éclat fixe »[33].

Dimension cosmique du désert

Le désert entretient avec la lumière une relation encore plus intime que la montagne. Manifestement, dans Désert, il est le lieu de la lumière. Sa réalité se situe non seulement hors du temps, mais aussi hors de l’espace : telle est sa dimension cosmique. L’être humain y a la sensation de l’infini et de l’éternité.

Ce pays hors du temps, « loin de l’histoire des hommes […], [ce] pays où plus rien ne peut apparaître ou mourir, comme s’il était déjà séparé des autres, au sommet de l’existence terrestre » est un lieu absolu, qui a l’immobilité de la perfection. C’est l’ultime révélation du Hartani à Lalla prête à partir pour Marseille : « C’est lui qui montre à Lalla la route du désert, celle où l’on se perd, celle d’où jamais personne ne revient, et le ciel, si pur et si beau là-bas »[34]. Quant à l’auteur, il découvre l’absolu du désert : « Ici, près du Rocher, on est entré dans un autre monde où rien ne bouge, comme arrêté entre la vie et la mort, un poste d’observation sur l’espace, l’éternité »[35]. Ce sont les étoiles qui concrétisent le mieux cette dimension, ce lien entre la terre et le ciel qu’établit le désert et dont les nomades de Désert, dans leur longue marche monotone, ont conscience : « Les hommes regard[ent] souvent les étoiles, la grande voie blanche qui fait comme un pont de sable au-dessus de la terre » et « Ils [ont] suivi les routes du ciel entre les vagues des dunes ». La fusion entre la terre et le ciel est alors totale. Ces nomades, comme leurs ancêtres, se guident en observant les constellations comme une carte du ciel : « [Le guide] montr[e] à Nour la route qu’ils suivr[ont] le jour, comme si les lumières qui s’allum[ent] dans le ciel traçaient les chemins que doivent parcourir les hommes sur la terre »[36].

Cette vision cosmique du désert de JMG Le Clézio est celle d’un homme qui croit que l’univers recèle des exemples d’harmonie.

Harmonie de l’être et du monde

Dans L’Extase matérielle, JMG Le Clézio traite en particulier de la place de l’homme – plus précisément du « moi » – dans l’univers. Il rejoint, selon Teresa Di Scanno, les philosophes pour qui « la réalité primordiale de l’homme, c’est d’être un vivant dans un ensemble cosmique ». Dans cette vision cosmique, l’écrivain pense que certains êtres ont le privilège d’être immergés dans le grand Tout.

Pendant son séjour dans le Darien panaméen, il participe à une fête locale. En écoutant chanter les Indiens, il découvre que leur chant a, lui aussi, la vertu d’associer l’homme et l’univers. Dans le chapitre de Haï intitulé « BEKA la fête chantée », il fait une longue description du chant indien. Nous n’en retiendrons que les principales caractéristiques. Il n’est pas musical, selon le critère occidental de la musique, n’est pas conquête de l’harmonie sonore des sons. Mais il est magique et, en cela, plus vrai que la musicalité. Seulement, son langage est inintelligible aux humains, parce qu’il est un « autre langage qui s’adresse aux Dieux »[37].

Comment ce chant, selon J.M.G Le Clézio, permet-il ce lien de l’homme avec l’univers ? C’est que la voix suraiguë du chanteur « transperce l’écran du réel ». Alors, l’inaccessible est proche. Et celui-ci atteint un équilibre avec l’univers que rien ne semble pouvoir rompre. D’autre part, par ce langage pour les dieux, il tente de communiquer avec le monde extra-terrestre, invisible. « [Il] fait basculer quelque chose dans l’équilibre de l’univers. Sa voix est entendue par les forces secrètes qui entourent l’homme »[38]. Telle est la magie du chant indien.

Si, adulte, l’écrivain découvre la magie du chant indien, dès l’enfance, il se laisse prendre par celle de la lumière, par sa beauté. Dans L’Inconnu sur la terre, il nous décrit cet attrait de la lumière, son désir de se fondre en elle. Il fait même le rêve fou d’être lumière : « quelque chose brûle en moi […], cette lumière qui m’éclaire en moi […] me montre […] ce que je pourrais être un jour, ce que je devrais être. Pareil au feu, à l’étoile, au soleil »[39].

Il souligne une autre vertu de la lumière : « elle vous unit au monde ». C’est ainsi que la lumière qui règne au sommet du mont Reydarbarmur met Jon en communication avec l’infini de l’espace cosmique : contemplant le ciel à l’heure crépusculaire, il « sen[t] l’espace entrer en lui et gonfler son corps » comme s’il était immatériel, puis il « sen[t] […] la pulsation régulière dans sa poitrine et dans les artères de son cou, car cela vien[t] du centre du ciel à travers lui et résonn[e] dans toute la montagne »[40]. Il est alors au centre de l’univers. Cette pulsation que nous qualifions de « cosmique » est la manifestation physique d’une fusion avec le cosmos. L’entrée de Jon dans le royaume de la lumière est un temps fort de son initiation : il a la révélation « de la lumière cosmique triomphant jusqu’au moi le plus profond »[41] et accède ainsi au monde de la transcendance.  

Union de l’être et du cosmos au désert

Telle est  la dimension cosmique du désert qui permet cette fusion de l’homme et de l’univers. C’est au contact des éléments que certains êtres – des élus – peuvent s’unir au cosmos. Dans le roman Désert, nous avons choisi deux passages particulièrement suggestifs pour illustrer nos propos. Tout d’abord, JMG Le Clézio nous décrit en détails les étapes de l’aventure intérieure vécue par le guide des nomades, père de Nour qui, parvenu dans la vallée de la Saguia el Hamra, a pénétré, en compagnie de son fils, dans le tombeau du saint Ma el Aïnine. Étendu sur la terre battue, les bras allongés devant lui pour prier, il ne fait qu’un avec le sol. Puis il cesse de prier, respire la bouche contre la terre. Il sent alors quelque chose de mystérieux pénétrer son corps :

C’[est] comme si quelque chose d’étrange entrait en lui, par sa bouche, par son front, par les paumes de ses mains et par son ventre, quelque chose qui allait au fond de lui et le changeait imperceptiblement. 

    Il tente d’expliquer ce changement qui saisit l’être tout entier : selon lui, ce serait peut-être le silence qui règne, le silence du désert, de la lumière du soleil, de l’eau, du ciel, c’est-à-dire des trois éléments terre, eau, air. Le guide a alors conscience de la dimension cosmique du désert. Puis, toujours allongé sur le sol, il sent une onde parcourir son corps : « une énergie nouvelle entr[e] par son ventre, par ses mains, rayonn[e] dans chacun de ses muscles ». Cette énergie nouvelle qui irradie en lui n’est-elle pas une lumière intérieure ? Le rayonnement le métamorphose intimement : il entre dans une sorte d’extase à le fois matérielle et spirituelle : « En lui, tout se chang[e], s’accompli[t]. Il n’y [a] plus de souffrance, plus de désir, plus de vengeance. Il oubli[e] cela, comme l’eau de la prière avait lavé son esprit ». Puis le guide a l’impression de n’être plus sur terre, de vivre une expérience unique de fusion avec le cosmos :

C’[est] un pouvoir direct, sans pensée, qui v[ient] du fond de la terre et s’en [va] vers le fond de l’espace, comme si un lien invisible unissait le corps de l’homme allongé et le reste du monde.

Au pouvoir d’une force irrésistible, il se sent alors incapable de se lever ; il reste ainsi longtemps allongé sur la terre. Quand tout est fini, il se sent spirituellement transformé : « Au fond, il y [a] une force nouvelle, un bonheur qui éclair[e] son regard […] comme s’il connaissait d’avance le chemin qu’il d[oit] parcourir »[42]. Quant à Lalla, en compagnie du Hartani, elle aperçoit dans le ciel un épervier « qui glisse sur les courants du vent, silencieusement, comme une ombre ». Vivement émue par sa beauté irréelle, elle contemple longtemps cet oiseau « qui trace des cercles lents dans le ciel, très haut au-dessus de la terre rouge, seul et silencieux dans le vent, dans la lumière du soleil et qui bascule par moments vers le désert ». Bien qu’effrayée par le silence de l’épervier, la jeune fille le fixe jusqu’au vertige, prélude à l’extase qu’elle va connaître. C’est quand elle s’aperçoit que le Hartani ressemble à cet oiseau rapace, qu’elle « n’a plus peur d’entrer dans le silence » et qu’elle s’envole avec lui, accrochée à son bras et qu’elle devient l’oiseau :

Elle ferme les yeux, elle se laisse glisser dans l’air, au milieu du ciel […], lentement, ensemble, ils tracent de grands cercles au-dessus de la terre, si loin qu’on n’entend plus aucun bruit. 

Ce n’est pas seulement par un détachement de soi que Lalla se métamorphose en oiseau, élément animal de la nature ; c’est aussi par le truchement du Hartani, maître des airs, qui l’entraîne dans cette aventure surnaturelle et l’initie au monde. Rappelons enfin que, dans l’instant qui précède la vision de l’épervier, elle éprouve une émotion forte à apercevoir, du fond du gouffre, le ciel, – émotion que JMG Le Clézio décrit ainsi : « ici, il n’y a plus que le ciel, si clair qu’on croit être un oiseau en train de voler ». À cet instant, elle rêve inconsciemment de cette métamorphose. Après avoir longtemps volé, le Hartani et Lalla sont au comble de l’extase : « Ils sont tout ivres de vent, de lumière et de bleu du ciel »[43]. C’est alors le retour sur terre. Cette extase de la jeune fille est bien une expérience de fusion avec les forces vives, les éléments de l’univers, le vent, la lumière, le ciel. Ce désir de s’identifier avec la nature, cette aptitude à devenir l’oiseau que contemplent les deux jeunes gens, S. Domange en fournit une explication philosophique : « L’homme, être séparé, s’incorpore au grand tout »[44]. Il établit alors une relation harmonieuse avec le monde, comme le Hartani qui, avant sa disparition définitive, vit en symbiose avec la terre et le ciel. Si le jeune berger disparaît, retourne dans le désert, s’enfonce littéralement dans le sable, « c’est pour y rejoindre, selon l’héroïne, le centre mythique des sables, c’est-à-dire le nombril du monde »[45], lieu d’où la vie a jailli. Il se confondra avec le dieu-Désert dont il est l’enfant – sorte de divinité chtonienne.

Quête de l’ailleurs et « extase matérielle »

Les personnages du recueil de nouvelles Mondo et autres histoires sont, eux aussi, en quête d’un territoire réel ou mental où ils pourront vivre en harmonie avec le monde. Et à la fin de leur quête de « l’ailleurs », ils connaîtront aussi l’extase. Ainsi Lullaby fuit la ville pour communier avec les éléments naturels – soleil, vent, mer –. Le début de son escapade se présente comme une révélation de la mer qu’elle voit avec un regard neuf ; sa magie opère, provoquant un véritable vide, lui faisant oublier tout ce qui la rattache au monde terrestre : « la mer est comme cela ; elle efface les choses de la terre ». Toute à sa contemplation, toute à son bien-être, « elle ne pens[e] plus à l’école, elle ne pens[e] plus du tout aux rues, aux maisons, aux voitures ». La jeune fille, pour ainsi dire, se dénude pour vivre dans la nudité des éléments, se fondre dans la matière ; le bain qu’elle prend en renforce le symbole. Cette communion avec l’élément marin, première étape de sa quête d’ailleurs, de sa quête d’harmonie la prédispose à vivre un instant unique. C’est la maison grecque, temple en miniature, et le mot charisma – la grâce au sens chrétien – gravé sur le péristyle, qui favorisent la contemplation, prélude à la rêverie. Le mot magique semble engendrer la paix et la lumière intérieure. « Le mot rayonn[e] à l’intérieur de son corps, comme s’il était écrit aussi en elle ». Et la lumière solaire plonge Lullaby dans l’extase ; curieusement, elle sécrète les rayons du soleil : « Les rayons de lumière sort[ent] d’elle par ses doigts, par ses yeux, par sa bouche, ses cheveux ». Cette extase a une dimension mystique : l’adolescente, par le regard, communie avec le cosmos : « Son regard […] s’élargi[t], […] se mêl[e] à l’espace comme un faisceau de lumière ». Et dans cette communion avec le cosmos, elle se fond dans la lumière, sent les vibrations lumineuses pénétrer son corps : « la lumière continu[e] à entrer jusqu’au fond des organes, jusqu’à l’intérieur des os ». Et une force extraordinaire l’entraîne hors d’elle : « Lullaby sen[t] son corps s’ouvrir très doucement comme une porte ». Alors, le rayonnement de la lumière solaire à travers son corps devenu diaphane la transcende et favorise la fusion avec la vie universelle, que JMG Le Clézio nomme « extase matérielle ». Une parfaite osmose s’établit entre son corps et la matière : celle-ci se mélange à ce qui l’entoure, devient « un nuage, un gaz […] l’embrun des vagues […], le vent […], le sel de la mer ». Libérée du poids de son corps, la jeune fille s’affranchit des lois qui régissent l’espace et le temps humains, épouse le rythme du cosmos ; elle se multiplie à l’infini : « Il n’y [a] plus une seule Lullaby […]. Elles [sont] aussi nombreuses que les étincelles de lumière sur les vagues ». Par une sorte d’ubiquité, qui est celle de la lumière et de l’air, toutes ses perceptions sont alors simultanées : « [Elle] voi[t] avec tous ses yeux, de toutes parts […]. Elle voi[t] […] des choses très petites […], très grandes […]. Elle voi[t] tout cela au même instant ». Qui plus est, l’ «extase matérielle »lui procure une grande vision cosmique : ainsi, elle a la révélation « [des] lois qui forment le monde […], la loi de la mer […], la loi du ciel, la loi du vent, la loi du soleil »[46], lois que les humains ne peuvent comprendre de leur vivant. Si le dénudement de Lullaby, sa rupture momentanée avec le monde humain traduisent l’aspiration inconsciente de se rapprocher de l’existence à l’état pur, trois éléments jouent un rôle majeur dans cet instant unique de communion, de fusion avec le cosmos. Tout d’abord opère la magie du lieu, miracle de beauté né de l’union de la maison grecque et de la mer. Le corps aussi joue un rôle important : « il est, selon Teresa Di Scanno, matière comme la matière elle-même […] [qui] est une force cachée qu’il faut rejoindre avec le corps »[47]. C’est surtout la lumière qui est le medium de l’élévation physique et spirituelle de la jeune fille.      Nous l’avons dit, la vision cosmique qu’a JMG Le Clézio du monde rejoint celle des philosophes antiques qui pensaient que le cosmos est essentiellement harmonieux. Ainsi, il découvre non seulement l’harmonie du monde, mais aussi celle de l’être et du monde. Il en a la révélation quand il est initié à la magie de la lumière, en particulier sur la montagne et au désert. Dans son imaginaire, ces deux lieux sont au centre de la lumière qui, soit permet la communion de l’être avec le cosmos, soit l’inscrit – tel Jon – dans le temps de la création universelle, temps mythique dont l’auteur a la nostalgie. Rêve et retour aux origines Dans sa longue quête d’harmonie, JMG Le Clézio rêve en effet de retour aux origines. Ce retour au début des temps, où le monde sort du chaos, est un thème cher à l’auteur ; son œuvre reflète ce désir profond. Le spectacle du lever du jour réveille chez lui la nostalgie du premier matin du monde, de la beauté première, de la pureté de la création qu’il voudrait traduire par les mots :

Je voudrais dire la très grande paix, la très grande clarté de la lumière belle du matin, pure, douce, lisse comme l’eau […], la lumière toute neuve et pleine de forces. Cet instant est sans doute immortel, c’est lui seul qui commande au temps. On regarde, on respire, et tout est comme au jour de la naissance, sans danger, sans haine, sans souffrance, mais seulement avec cette lumière […][48].

Il éprouve, à l’aube, un sentiment de paix profonde et il jouit d’un bonheur intense ; le temps semble s’arrêter. En cet instant, il ressent donc une double sensation d’harmonie ; harmonie parfaite, absolue, du monde comme au jour de la création, quand la lumière a jailli ; harmonie de ses émotions suscitées par la lumière du matin : « C’est une émotion calme et sûre qui bat lentement »[49]. Plus particulièrement, le désert acquiert dans la lumière et le vent une beauté éblouissante qui permet l’accès à une réalité plus pure ; la lumière du désert garde la puissance qu’elle détenait le premier jour de la création. Telles sont les impressions du lecteur du roman Désert. JMG Le Clézio, dès l’enfance, explore intérieurement le désert, grâce aux récits de son père qui lui-même l’a traversé ; il sait alors « qu’il y [a] un lieu […] où l’histoire pren[d] sa source »[50]. Puis il poursuit, par paliers, sa découverte du désert. Son expérience est d’abord livresque et littéraire : attiré par ce que les autres disent du désert, il lit différents ouvrages, dont les récits de Charles de Foucauld ; et il écrit Désert en 1980. Mais, pour l’écrivain, le désert traverse l’idée de voyage ; de voyage dans le temps : « L’idée de retour au point de départ est une idée très importante pour moi »[51], dit-il. Aussi, après la rencontre des sociétés de l’Amérique désertique qui nomadisent dans un espace comparable à celui du Sahara, il accomplit en compagnie de son épouse Jémia un voyage dans ce désert qu’il approche réellement pour la première fois ; il nous raconte cette expérience dans un journal de voyage intitulé Gens des Nuages. C’est donc un long cheminement intérieur qu’il entreprend depuis l’enfance. Ces explorations du désert, intérieures et physiques, traduisent sa tentative de donner réalité à son rêve de retour aux Origines. Lorsque, au cours de son voyage au Sahara, il atteint la vallée de la Saguia El Hamra, d’où la famille de Jémia est issue, cette prescience, cette intuition de son enfance se confirme, se révèle exacte : « [Elle] est bien la source de l’histoire, pour ainsi dire contemporaine des origines. N’est-ce pas cela que nous sommes venus chercher : le signe de l’origine ? ». D’atteindre le but de sa quête, il ressent une émotion forte dont il précise la cause : « On entre dans un monde plus ancien et plus neuf à la fois, vierge, comme éternellement jeune », sur « une terre que l’âge des hommes n’a pas marquée »[52]. Cette sensation de l’éternelle jeunesse du désert, le personnage du Hartani dans Désert, l’éprouve aussi : lorsqu’il initie Lalla à la beauté du monde, il a un regard neuf, comme s’il participait visuellement à l’acte créateur initial : « [les] choses étaient plus belles quand il les regardait, plus neuves, comme si personne ne les avait regardées avant lui, comme au commencement du monde »[53]. Ainsi la beauté du désert est éternelle, telle qu’aux origines.      Ce lieu d’éternelle naissance fascine JMG Le Clézio et les hommes épris d’absolu : il est bien un pays hors du temps et « Se rendre au désert, c’est être en présence des paysages immémoriaux, de formes antédiluviennes »[54].

Harmonie absolue au désert Triomphe de l’unité au désert

Simone Domange a identifié une autre dimension du désert : « Il représente l’endroit magique où l’unité triomphe »[55], c’est-à-dire l’harmonie. Dans le désert, les éléments ne sont pas séparés : ainsi le vent et la lumière s’accordent avec le sable, autre forme morcelée de la pierre. C’est l’expérience que fait Lalla lorsqu’elle va vers la mer : 

Le vent brûlant sèche ses lèvres et ses narines, elle sent le feu qui descend en elle. C’est peut-être le feu de la lumière du ciel […] que le vent enfonce dans son corps […]. Elle résiste, accrochée des deux mains au sable de la dune[56].

Plus, les contraires se fondent ; ce triomphe de l’unité est illustré dans ce roman par l’association de l’élément liquide, l’eau, à l’élément solide, le sable. L’eau, c’est celle des puits que les nomades exténués, brûlés par le soleil, assoiffés boivent longuement. JMG Le Clézio la décrit ainsi : « c’était comme cela les yeux de l’eau au milieu du désert […]. L’eau tiède contenait encore la force du vent, du sable… »[57]. Ainsi les contraires ne font qu’un, l’eau de vie symbolisée par l’œil et la stérilité du sable, car c’est du rocher, du sable inanimés, arides, que sort le liquide vital. Autre association évocatrice des deux éléments : le désert, qui pourrait sembler l’espace le plus radicalement opposé à la mer, est identifié à celle-ci dans l’imaginaire de l’écrivain. Cette identité entre ces deux lieux poétiques est un thème important de son œuvre ; elle est inscrite dans sa mémoire depuis l’enfance : c’est la mer qu’il a traversée pour rejoindre son père en Afrique et qui constitue chez lui l’espace, l’élément fondamental ; c’est le désert qu’il a exploré en écoutant les récits de son père qui l’a traversé et qui exerce sur lui sa fascination. Cette unité, l’écrivain l’affirme dans Le Chercheur d’or : « Comme j’ai hâte de retrouver le désert de la mer »[58]. Et Lalla, dans Désert, assimile elle aussi dans son imaginaire le désert à la mer. Souvent, elle monte jusqu’au grand plateau de pierre blanche, proche du royaume des sables. Elle regarde alors le désert immense qui s’étend devant elle, et le métamorphose dans une vision quasi onirique : 

Elle voit l’étendue de sable, couleur d’or et de soufre, immense, pareille à la mer, aux grandes vagues immobiles. Sur cette étendue de sable, il n’y a personne, pas un arbre, pas une herbe, rien que les ombres des dunes qui s’allongent, qui se touchent, qui font des lacs au crépuscule […]. Il y a des ruisseaux qui coulent sur place, au fond des vallées torrides. Il y a des vaguelettes dures, cuites par la chaleur terrible du soleil, et des grandes plages blanches, à la courbe parfaite, immobiles devant la mer de sable rouge[59].

Dans cette longue description poétique du Sahara, JMG Le Clézio use de la métaphore et associe étroitement les champs lexicaux antithétiques de l’immobilité du désert et du mouvement de la mer.

Les enfants du désert

Pour JMG Le Clézio, non seulement les éléments sable et eau s’associent dans le désert, mais aussi les nomades apparaissent indissociables des éléments qui composent ce milieu. Ils sont les enfants du désert, ce père qui les engendre, les façonne à son image : « Le vent pass[e] sur eux […] », « Ils [sont] devenus muets depuis longtemps comme le désert, pleins de lumière quand le soleil brûl[e] au centre du ciel vide, et glacés de la nuit » ; « Ils portent en eux le silence dur où luit le soleil »[60]. Cette filiation lui est confirmée au cours de son voyage au Sahara : « les hommes [sont] semblables aux pierres : coupants, usés, brûlés […]. Les femmes [ont] la douceur des dunes, la couleur des grès érodés par le vent […] »[61]. Quant aux yeux noirs des nomades, ils sont « pareils à des gouttes de métal »[62]. Ou ils semblent avoir la dureté du silex du sable. Ainsi, par une sorte de mise en abyme ou de jeu de miroirs, les nomades nous renvoient une image redondante du désert. Ces nomades, dans les pages consacrées au récit de leur voyage vers le nord du Sahara, JMG Le Clézio les désigne la plupart du temps par le pronom « ils » qui englobe les guerriers, les femmes, les enfants, les vieillards, membres d’une communauté constituée de tribus nommées dans le cours du récit ; émergent parfois quelques individus. Ces hommes des sables enveloppés dans leurs grands manteaux, se ressemblent, se confondent comme s’ils avaient perdu leur identité propre, effacée par le vent, comme l’affirme l’auteur à la page 13. Et s’ils paraissent si semblables au désert, leur père, c’est que « dès la première minute de leur vie, [ils] appartiennent à l’étendue sans limites, au sable, aux chardons, aux serpents, aux rats, au vent surtout, car c’est leur véritable famille »[63]. Ils seraient donc plus une émanation du désert que les descendants de l’ancêtre de leur tribu. Ces enfants ont acquis de leur géniteur une connaissance parfaite du désert, égale à celle des serpents, des rats et autres animaux sauvages qui y vivent. Grâce à leur acuité visuelle, rien ne leur échappe : « Leur regard a développé une acuité qui leur permet de discerner le moindre changement des pierres ou du sable »[64], affirme-t-il. Comme le désert, ces hommes ont aussi une dimension cosmique, attestée dès le début du roman : « apparus, comme dans un rêve, en haut d’une dune, ils semblent [être] nés du ciel sans nuages » et avoir « dans leurs membres la dureté de l’espace »[65]. Ainsi, cette identification des nomades au milieu naturel réalise l’union parfaite du désert et de l’être humain.

Vie des nomades en harmonie avec le désert

Lorsque JMG Le Clézio décide d’entreprendre ce voyage dans la Saguia El Hamra en compagnie de son épouse, il désire savoir si « cette vallée […] n’[est] qu’un lieu de mythe […] et plong[e] au cœur du temps » ; il désire « faire passer la Saguia El Hamra des limbes de la conjecture à la réalité ». Nous savons que parvenu dans cette vallée, il acquiert la certitude qu’« elle est bien la source de l’histoire, contemporaine des origines »[66]. Il voudrait aussi savoir si la vie harmonieuse est possible pour ces nomades façonnés à l’image du désert. Au cours de leur séjour, l’auteur et Jémia veulent trouver des réponses aux questions qu’ils se posent à propos des Aroussiyin, ethnie saharienne de son épouse. Ils sont très curieux de savoir comment ils se sont adaptés au changement. Mais une question fondamentale hante le voyageur : « viv[ent]-ils encore en harmonie avec le désert, malgré les nouveaux besoins de la vie moderne ? ». Peuvent-ils donc concilier, au désert, le respect des traditions, du milieu naturel, avec l’adaptation au monde actuel ? Son séjour au milieu des hommes du désert – qu’il nous narre dans ce livre – lui fournira des réponses intéressantes, enrichissantes pour un Occidental, en particulier à ce non-dit : le contact avec le réel est-il conforme à sa vision littéraire de l’univers du désert ? Dès qu’il pénètre dans cette vallée, JMG Le Clézio sent qu’il est dans une autre dimension, « dimension nouvelle […]. Ici, le passé n’est pas le passé, il se mêle au présent comme une image se surimpose à une autre »[67]. Il a la confirmation de « cette nouvelle dimension », lorsqu’ils sont reçus dans un village de la famille de Jémia par des hommes de la même tribu, puis par des femmes. Les nomades ne vivent plus sous la tente comme le fondateur de la tribu il y a cinq cents ans, mais dans des maisons jouissant d’un certain confort, construites avec les matériaux actuels : dans la chambre qui fait office de salon, il fait frais, une odeur de parfum s’exhale, on s’assoit sur un tapis, appuyé sur un coussin. « La porte d’entrée est masquée par un rideau rouge. Le pasillo qui sépare les deux ailes de la maison est cimenté ». Et pourtant, rien ne semble avoir changé depuis cinq cents ans : ses hôtes accomplissent les mêmes gestes séculaires : « gestes […] longs, doux et coupants » des femmes ; rituel du thé dont « [la] musique […] fait rêver, […] abolit le mur du temps ». JMG Le Clézio croit alors côtoyer « [des] hommes d’un autre âge, d’un autre monde […]»[68]. Mais, au cours de son séjour, il découvre leur étonnante faculté d’adaptation au monde moderne :

l’illustration la plus frappante […] est celle de nomades se déplaçant pour rejoindre leurs troupeaux de chameaux en roulant à travers le désert à bord de leurs Land-Rover sur lesquels sont montés des capteurs solaires qui leur fournissent, à l’étape, la lumière électrique sous leur tente. 

Ainsi ces nomades du désert qui « ont pris du progrès ce qui leur convenait, [mais qui] pour le reste, ont choisi de continuer à vivre selon leurs traditions »[69], possèdent un art de vivre équilibré.      Fidèles aux traditions, ils sont guidés, dans la vie quotidienne, par un sentiment religieux : « c’est-à-dire par le respect scrupuleux des règles imposées par le lieu où ils vivent et par la foi en leur ancêtre Sidi Ahmed el Aroussi, [un saint, descendant du Prophète] ». Il est « la lumière […] [qui] continue sa route de génération en génération ». « La bénédiction qu’[il] a donnée à son peuple […] est en cela semblable au désert : un langage éternel, une perfection sans temps, une vérité sans corps ». Ainsi, pour JMG Le Clézio, le désert a une dimension spirituelle. Sidi Ahmed a imprimé dans le cœur de tous les descendants de la tribu Aroussi cette foi en la présence de Dieu auprès d’eux dans la Saguia El Hamra. Cette présence du divin, cette dimension spirituelle, il la ressent lorsqu’il est près du Rocher : « Lorsqu’on vient du désert – et de ce désert plus terrible encore qui est celui des villes modernes, on entre ici dans une ère de recueillement », et « Ce qui brille dans la Saguia El Hamra […] c’est la nudité et le silence admirables d’une vallée, où parce qu’il n’y a rien qui vienne troubler les sens, l’homme peut se sentir plus près de Dieu […] », nous confie-t-il. Il comprend maintenant que c’est Sidi Ahmed qui, par son regard qui brille partout dans la vallée et par sa bénédiction éternelle, a tissé dans l’âme de ses descendants cette union parfaite entre Dieu et le désert à qui ils confèrent les traits du divin – éternité du verbe, perfection absolue, vérité immatérielle –. Ainsi l’auteur suggère au lecteur l’idée de « Dieu-désert »[70], déjà présente dans le roman Désert. Dans sa quête d’harmonie, JMG Le Clézio, parvenu au terme de son séjour dans la Saguia el Hamra, a une révélation importante : « Ce qui caractérise la vie [des derniers nomades de la Terre], ce n’est pas la dureté ni le dénuement, c’est l’harmonie », précise-t-il. Ainsi, selon lui, ces êtres, nés sur cette terre stérile, semblent oublier leur dure condition de vie, pour certains, leur pauvreté, comme si la magie du désert – beauté de ce pays de pierres et de vent – opérait. C’est aussi, pense-t-il, « leur connaissance et leur maîtrise de la terre qui les porte » qui engendrent l’union étroite avec le désert : ainsi, ils sont toujours prêts à lever le camp pour aller plus loin à la recherche de la pluie, « liés au vent, au ciel, à la sécheresse ». Il comprend maintenant pourquoi ces nomades qu’il a côtoyés dans la Saguia El Hamra [n’]ont [pas] quitté [comme les parents de Jemia] […] l’abri de leur vallée, le domaine autour du tombeau […] de leur ancêtre, [refusant de] se jeter vers le nord si brutal si effrayant et [de] s’aventurer dans ce monde civilisé dont ils ne connaiss[ent] rien et dont ils [ont] tout à craindre[71]

Plus tard, il confiera à Gérard de Cortanze l’influence primordiale de cette expérience du désert sur sa vision du monde : 

On sort transformé d’une telle aventure. Ce qui m’a le plus changé, c’est un peu comme ce que j’ai vécu quand j’étais au Panama : la conviction fondée sur la réalité, que la vie harmonieuse est possible »[72], affirme-t-il – si bien sûr, selon lui, on fuit la civilisation occidentale et ses villes inhumaines –. Telle est la leçon du désert. Ce voyage, accompli à la rencontre de son futur – et non vers son passé comme son épouse Jemia –, aura sûrement des résonances profondes dans la vie et l’œuvre de l’auteur. En cela, on peut dire qu’il est, lui aussi, fondateur (cf. Infra, p. 1). La vie et l’œuvre de JMG Le Clézio constituent un long cheminement vers soi. Le nomade – comme il se définit – est en quête d’une image de lui-même, de sa place dans l’univers. Mais le monde occidental dans lequel vit l’écrivain ne satisfait pas cette quête ; alors, il voyage. Au cours de ses séjours au Darien panaméen, et au Sahara, il rencontre des peuples améridiens et des Touaregs, découvre d’autres cultures. Mais il fait aussi un long voyage au-dedans de lui-même, en quête d’un équilibre philosophique. Il confie à Gérard de Cortanze qu’il l’a trouvé auprès de ces peuples qui ont gardé ces voix venues du seuil de l’humanité et dont on a tout à apprendre – ils ont élaboré, au fil des générations, une philosophi[73]. Ses deux séjours modifient sa perception du monde : il a la vision d’une harmonie simple et ressent encore plus la déshumanisation de l’Occident. L’œuvre de l’écrivain reflète cette vision du monde moderne. Ainsi dans l’essai Haï, dans les fictions Mondo et autres histoires et Désert, dans le journal de voyage Gens des Nuages, il peint des êtres humains qui fuient la ville, espace inhumain, ou la civilisation pour communier avec les éléments naturels ou communiquer avec l’invisible et vivent des expériences de fusion avec le cosmos, ou d’union avec l’univers. C’est alors qu’opère la magie de l’écriture le clézienne. L’artiste rejoint l’homme dans sa quête d’harmonie.

Notes de pied de page

  1. ^ L’Inconnu sur la terre, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », [1978] 2008, p. 12.
  2. ^ L’Extase matérielle, Paris, Gallimard, 1996, p. 130-131.
  3. ^ Poisson d’or, Paris, Gallimard, coll. « Folio » n°3192, [1999] 2010, p. 227.
  4. ^ La ronde et autres faits divers, Paris, Gallimard, coll. « Folio » n° 2148, 1991.
  5. ^ Gérard de Cortanze, Le Clézio, le nomade immobile, Paris, éd. du Chêne, 1999, p. 22.
  6. ^ Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, coll. « Folio » n° 1365, 1983, p.40.
  7. ^ Ibid., p. 111.
  8. ^ Désert, Paris, Gallimard, coll. « Folio »  n° 1670, 1986, p. 103 et 272-273.
  9. ^ Ibid., p. 261.
  10. ^ Ibid., p. 266.
  11. ^ Ibid., p. 207.
  12. ^ Ibid., p. 315.
  13. ^ Ibid., p. 269-270.
  14. ^ Ibid., p. 357.
  15. ^ Ibid., p. 314-307.
  16. ^ Ibid., p. 315.
  17. ^ Ibid., p. 289.
  18. ^ Le Clézio, op. cit., p. 110 et 108.
  19. ^ L’Inconnu sur la terre, p.112.
  20. ^ Ibid., p. 169, 32, 44, 137.
  21. ^ Ibid., p. 169, 32, 44, 137.
  22. ^ Désert, p. 96.
  23. ^ L’Inconnu sur la terre, p. 43.
  24. ^ Ibid., p.12.
  25. ^ Gérard de Cortanze, Mydriases, p. 169.
  26. ^ L’Inconnu sur la terre, p. 12
  27. ^ Frank Évrard, Mondo, Paris, éd. Bertrand-Lacoste, 2003, p. 100.
  28. ^ L’Inconnu sur la terre, p. 169.
  29. ^ Ibid., p. 32-33.
  30. ^ Mondo et autres histoires.
  31. ^ Ibid., p. 131, 143.
  32. ^ Ibid., p. 143.
  33. ^ Ibid., p. 143-144.
  34. ^ Désert, p. 11 et 212.
  35. ^ Gens des nuages, Paris, Gallimard, coll. « Folio » n° 3284, 2000, p. 114.
  36. ^ Désert, p. 11-12.
  37. ^ Haï, Paris, Skira, 1971, p. 77.
  38. ^ Ibid., p. 82 et 90.
  39. ^ L’Inconnu sur la terre, p. 121.
  40. ^ Mondo et autres histoires, p. 143.
  41. ^ François Marotin, Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, coll. « Foliothèque » n° 47, 1995, p. 56.
  42. ^ Désert, p. 29-30 et 30-31.
  43. ^ Ibid, p. 127-128.
  44. ^ Simone Domange, Le Clézio ou la quête du désert, Paris, éd. Imago, 1993, p. 70.
  45. ^ Ibid., p. 94.
  46. ^ Ibid., p. 98, 99, 100.
  47. ^ La Vision du Monde, Napoli/Liguori/ Paris, Nizet, 1983, p. 26.
  48. ^ L’Inconnu sur la terre, p. 100.
  49. ^ Ibid.
  50. ^ Gens des nuages, p. 57.
  51. ^ Gérard de Cortanze, op. cit., p. 137.
  52. ^ Gens des nuages, p. 69, 63, 40.
  53. ^ Désert, p. 129.
  54. ^ Bruno Doucey, Paris, Nathan, Nouvelle Revue Pédagogique n° 6, 1999, p. 16.
  55. ^ Simone Domange, op. cit., p. 38.
  56. ^ Désert, p. 117.
  57. ^ Ibid., p. 18.
  58. ^ Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard, coll. « Folio » n° 2000, 1990, p. 155.
  59. ^ Désert, p. 97.
  60. ^ Ibid., p. 8-9.
  61. ^ Gens des nuages, p. 105.
  62. ^ Désert, p. 8.
  63. ^ Ibid., p. 25.
  64. ^ Gens des nuages, p. 148.
  65. ^ Désert, p. 9.
  66. ^ Gens des nuages, p. 20, 63.
  67. ^ Ibid., p. 21, 74-75.
  68. ^ Ibid., p. 101, 106, 93.
  69. ^ Ibid., p. 146-147.
  70. ^ Ibid., p. 147, 141, 65, 139.
  71. ^ Ibid., p. 147-148, 42-43.
  72. ^ Gérard de Cortanze, op. cit., p. 139.
  73. ^ Ibid., p. 121.

Référence électronique

Georges BOLLE, « LE CLÉZIO ET LA QUÊTE D’HARMONIE », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Novembre / Décembre 2014, mis en ligne le 13/08/2018, URL : https://www.crlv.org/articles/clezio-quete-dharmonie