L’ORIENTALE DES ROMANTIQUES

L’ORIENTALE DES ROMANTIQUES
Entre voilement et dévoilement ou l’ambiguïté de l’identité

Le voyage en Orient a constitué, dans la première partie du XIXe siècle, un phénomène auquel ont pris part la majorité des auteurs romantiques. Certes, plusieurs raisons notamment d’ordre politique, esthétique… – ainsi que les dénombre Jean Claude Berchet dans son Anthologie des voyageurs français dans le Levant au XIXe siècle[1] – éclairent ce phénomène, mais les motivations personnelles avaient aussi une part importante dans l’explication de la ruée vers l’Orient à cette époque[2]. Contrairement aux siècles précédents, on ne parlera désormais d’Orient qu’après l’avoir visité. Ainsi, qu’il s’agisse de Chateaubriand, de Lamartine, de Nerval, de Flaubert ou de Gautier[3], le voyage en Orient a eu lieu à une époque critique de leur existence, et son empreinte est perceptible dans leur œuvre consécutive au voyage.

Ce qui a caractérisé les récits des voyageurs romantiques précités, c’est leur oscillation entre tradition et modernisme : les thématiques qu’ils développent, tout en s’inspirant des prédécesseurs[4] et en respectant l’horizon d’attente de leurs lecteurs, offrent, par moments, une vision se voulant moins stéréotypée et surtout exprimant le désir de rencontrer l’Autre et donc de le connaître. Ainsi en est-il de celle de la femme orientale. Celle-ci est un constituant important sinon le plus important de l’imaginaire oriental[5]. En effet, certains critiques pensent que le voyage en Orient a pour principal but la femme[6] – exception faite, bien entendu, de Chateaubriand[7] qui n’en parle qu’occasionnellement dans son Itinéraire. La Levantine concentrerait à elle seule toute la symbolique de l’Orient, comme dans les thèses saint-simoniennes qui étaient d’une grande influence au XIXe siècle[8]. La femme orientale canalise, en quelque sorte, la question de l’altérité ; d’abord, en raison de son sexe, ensuite, parce qu’elle appartient à l’autre monde ; de ce fait, elle se trouve doublement "autre" et donc doublement attirante. La femme, par ailleurs, concentre la dichotomie de la représentation de l’Orient, et permet de voir toute l’ambivalence qui a toujours empreint sa représentation.

Certes, la principale caractéristique de la femme orientale, c’est son voile. En principe, on s’attendrait à ce que cela constitue un obstacle pour les voyageurs. On se rend compte qu’il n’en est rien. Alain Buisine explique que c’est justement le voile qui rend l’Orient désirable pour l’Occident[9], et qu’il représente un leitmotiv qui scande les récits de voyage en Orient au XIXe siècle. Les relations des voyageurs romantiques, effectivement, offrent une place de choix à la femme ; celle-ci y est omniprésente, même si cela peut surprendre, si l’on se rappelle la nature et la structure de la société musulmane de l’époque : ces mêmes voyageurs affirment que les Orientales sont recluses dans leur harem. En principe, il serait quasi impossible de les voir et donc d’en parler ; pourtant, ils en parlent, et même beaucoup, dans leur récit. Dans certains d’entre eux, il en est question pratiquement à chaque page. Les relations de nos voyageurs nous font rencontrer des femmes de toutes classes sociales, âges, conditions : des petites filles aux vieilles dames, des esclaves aux cadines. Le récit de Flaubert présente toutefois une particularité qui le distingue des autres récits : la présence d’un nombre incalculable de prostituées[10].

Lorsqu’est évoquée la femme orientale, on a l’impression qu’il s’agit de la femme musulmane ; c’est elle seule qui peut concentrer justement la question de l’altérité, étant d’une confession différente, opposée même. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Les voyageurs, pour pallier cela, parlent de la femme orientale en général, ce qui permet de maintenir l’ambiguïté. On voit bien là que cet amalgame entre Orient et islam sert bien les desseins des voyageurs, et c’est pour cette raison qu’ils le maintiennent dans leur relation, alors que, par endroits, ils prennent généralement le temps de distinguer l’Arabe du Turc, le musulman du chrétien et du juif… C’est le cas de Lamartine qui, au début de la partie sur le Liban, raconte le déroulement de la fête de mariage, d’après le récit que lui en avait fait sa femme. Il ne juge pas nécessaire de préciser, dès le début, que le mariage décrit n’était pas musulman. Jusqu’au bout du passage en question – qui s’étend sur plusieurs pages – le mystère est maintenu, si ce n’est ce détail, vers la fin, qui précise l’identité de la mariée et de sa famille : « J’ai réussi à m’introduire par exception[11] jusque dans le divan des femmes, au moment où l’archevêque grec donnait la bénédiction nuptiale »[12]. Il est à remarquer que tout au long de sa relation, Lamartine parle de familles, d’enfants, de femmes arabes et les références aux différentes confessions demeurent assez exceptionnelles. Contrairement à ses successeurs – Nerval, Flaubert et même Gautier –, il ne se sépare jamais de son drogman ; il lui était donc facile de s’enquérir de l’identité religieuse de ses hôtes et de lever ainsi toute ambiguïté. Celle-ci est donc maintenue à dessein par le voyageur et peut être justifiée par son désir d’insister sur les points qui rapprochent les différentes communautés et non sur ceux qui les séparent, comme le faisait systématiquement Chateaubriand. De plus, taire l’identité de ses hôtes ne peut que valoriser le voyageur ; cela lui permet de mettre l’accent sur son ouverture à l’Autre, sur sa tolérance et donc de mettre en avant ses qualités d’homme et surtout d’homme d’État[13].

Notons que les voyageurs qui le suivront ne prendront pas la peine de préciser qu’ils assistent à une fête ou un mariage non musulman. Ils maintiendront le flou jusqu’au bout ; c’est le cas de Nerval, dans la célèbre« Noce aux flambeaux » qui ouvre la partie égyptienne de son Voyage en Orient[14]. Moenis Taha-Hussein[15] précise que le poète a assisté à un mariage copte, mais dans son récit, il parle de noce mahométane !Ce "mensonge" paraît d’autant plus "grave" que le voyageur laisse éclater sa surprise quand, lors de la cérémonie, on a procédé à la distribution des boissons :

J’avais dès ce moment [après avoir salué, par des gestes, son hôte, en guise de remerciements] le droit d’avaler ma tasse ; mais là ma surprise fut grande. C’était de l’eau-de-vie, ou plutôt de l’anisette. Comment comprendre que des mahométans fassent distribuer de telles liqueurs à leurs noces ?[16]

Ainsi, Nerval ne se contente pas de cacher l’identité de ses hôtes, il leur en attribue une autre, opposée, parce que sûrement représentant mieux l’altérité et par voie de conséquence, captivant plus le lecteur ! Les "dangers encourus" malgré le déguisement – du fait que l'épisode se passe en milieu en principe "hostile" car musulman – contribuent grandement à l’intérêt de cet épisode ! Avouer avoir assisté à un mariage cophte, malgré la curiosité qu’il peut susciter, ne peut avoir le même impact : tout le romanesque s’envolerait alors, ce qui risque de décevoir les lecteurs qui ont des attentes particulières par rapport au genre[17]. Gautier, dans Constantinople, discute, à maintes reprises, des attentes des lecteurs et surtout des lectrices, qu’il présente comme étant friands d’aventures de sérail où il est question de trahison, de portes dérobées, d’amants décapités…

C’est peut-être aussi pour cette raison qu’habituellement, les voyageurs précisent, à chaque fois, que les femmes aperçues sont voilées et musulmanes, sachant que ce seul détail – le voile – est capable d’orienter l’esprit vers la religion de ces femmes. Cela dit, ce n’est pas aussi évident que cela puisse paraître : certains auteurs expliquent pourquoi tandis que les autres s’abstiennent. Gautier, en effet, à titre d’exemple, précise que le voile est une spécificité orientale et non musulmane, comme le laissent entendre généralement les autres voyageurs. On retrouve la même information chez Chateaubriand qui se contente de signaler la vue « de jeunes Grecques non voilées, vives, jolies, accortes… »[18] tout en mettant l’accent sur la singularité de cet événement[19] qui ne se renouvellera plus dans l’Itinéraire. Il précise : « je vis ce que je n’avais point encore rencontré ailleurs », les femmes dévoilées. Par ailleurs, on se rappelle sa remarque sur « l’absence presque totale des femmes »[20], dès son arrivée Constantinople, alors qu’il accostait à Galata ; cette constatation est le prélude, on s’en doute un peu, d’un développement caustique sur le gouvernement turc[21] ; mais ce qu’il ne dit pas, c’est pourquoi les femmes non musulmanes ont déserté les rues de Constantinople[22]. Les voyageurs qui le suivront attesteront de l’inverse[23].

Contrairement à son devancier, Gautier explique[24] que beaucoup de femmes, appartenant à diverses populations,et par voie de conséquence, à d’autres confessions, ont adopté le voile, mais ce qui est étrange, c’est que, pire que le port du voile, elles ont choisi de vivre en "recluses", de leur propre gré:

Les mœurs turques ont déteint sur les mœurs européennes, et les femmes de Péra vivent très renfermées – réclusion volontaire, bien entendu – [s’empresse-t-il d’ajouter] ; elles ne sortent que pour aller faire un tour au Petit-Champ et respirer la fraîcheur nocturne ; encore en est-il beaucoup qui ne se permettent pas cette innocente distraction, ce qui ôte au voyageur l’occasion de passer en revue les types féminins du pays, comme aux Cascine, au Prado, à Hyde-Park, aux Champs-Élysées[25].

Et Gautier de conclure : « l’homme seul semble exister en Orient, la femme y passe à l’état de mythe, et les chrétiens y partagent sur ce point l’idée des musulmans »[26]. Ce qui est du moins étrange, c’est qu’il se soit contenté de constater ce fait sans chercher à y voir plus clair ; il est légitime de se demander pourquoi ces chrétiennes ont choisi la réclusion, surtout qu’à maintes reprises de son récit, il atteste de la présence des femmes musulmanes dans les rues des différentes villes parcourues, allant des promenades à pieds, dans les «arabas», dans les caïques sur le Bosphore, aux bazars, aux cimetières, aux « comédies de Kadi-Keuï »… les chrétiennes seraient-elles plus musulmanes que les musulmanes ?[27]

Lamartine constate par exemple que Mme Jorelle, l’épouse du « gérant du consulat et drogman de France en Syrie », « a conservé le riche et noble costume des femmes arabes »[28] mais il n’explique pas pourquoi. Il précise qu’elle est née à Alep, elle est donc, de par sa naissance, "arabe" ; mais sa remarque éveille la curiosité, surtout qu’il n’a pas pris le soin d’indiquer sa nationalité[29]. Et plus loin, il nous apprendra que sa propre femme et sa fille adoptent le même costume, sans préciser si le voile en faisait partie[30]. qu’elles vont garder tout au long de leur séjour oriental[31], comme les Françaises de « l’aventure au Besestain » qu’a vécue Nerval au Caire[32]: celui-ci, suivant le conseil de son ami peintre, poursuit deux Orientales voilées dans les rues du Caire ; mais, à la fin de l’aventure, il se rend compte qu’elles étaient françaises. Le voile, comme on le voit, loin de la symbolique qu’on lui attribue généralement, demeure attirant pour les femmes qui l’adoptent facilement – sûrement pour les commodités qu’il offre – en dehors de toute considération religieuse : d’ailleurs, les femmes chrétiennes, à titre d’exemple, sont présentées par les voyageurs comme étant voilées, qu’elles soient arméniennes, grecques…. 

Généralement, les voyageurs parlent de voile ou de femme complètement voilée[33] sans aller plus loin, surtout au début de leur relation, le voile constituant un obstacle à l’approche[34] et interdisant donc toute description ; Flaubert et Du Camp en offrent des exemples très éloquents. Le premier voit, en arrivant au Caire, des « femmes en voile noir (de face, c’est comme ces ronds de papier dans lesquels sautent les écuyers si ce n’est que c’est noir) »[35] tandis que le second parle de « gros paquets noirs et blancs que sont les femmes »[36]. En revanche, dans d’autres endroits de leur récit, on trouve des esquisses de descriptions qui demeurent assez sommaires, comme chez Lamartine ou encore Gautier.

Seul, Nerval prendra la peine de décrire, dans le détail, le costume des femmes[37] ; d’ailleurs, avant de décrire celui-ci, il dément ce qu’on colporte généralement sur le port du voile et sur la réclusion des femmes :

D’ailleurs n’est-il pas encourageant de voir qu’en pays où les femmes passent pour être prisonnières, les bazars, les rues et les jardins nous les présentent par milliers, marchant seules à l’aventure, ou deux ensemble, ou accompagnées d’un enfant ? Réellement, les Européennes n’ont pas autant de liberté…[38]

Ainsi, non seulement on rencontre des femmes[39] – remarquons que Nerval, lui, emploie l’article défini au pluriel – dans les rues des villes orientales, mais c’est par "milliers" : était-ce vrai ou est-ce là uniquement une autre affabulation qui s’ajoute à toutes celles qu’on retrouve dans le Voyage en Orient ? C’est peut-être aussi une manière de se démarquer de ses devanciers, principalement de Chateaubriand qui donnait l’impression de voyager dans un monde vide et surtout de ses femmes ! Par ailleurs, les idées "fausses" sur l’Orient sont l’apanage du voyageur frivole[40] qu’il n’est pas, lui, Nerval, qui va prendre le temps de découvrir la ville du Caire – elle-même perçue comme étant voilée – ; il propose également d’en dévoiler les secrets ainsi que ceux de ses habitantes. Il commence par l’aspect extérieur, donc le costume ; les autres sujets, de fond, trouveront naturellement leur place au fur et à mesure que le récit déroule sa trame.  

Concernant donc le costume des femmes, Nerval est pratiquement le seul voyageur à donner avec précision les éléments qui le constituent[41] ; de plus, il a pu voir dans le « voile » un signe distinctif de la classe sociale à laquelle appartient la femme[42]:

Les grandes dames voilent leur taille sous le habbarah de taffetas léger, tandis que les femmes du peuple se drapent gracieusement dans une simple tunique bleue de laine ou de coton (khamiss), comme des statues antiques… parfois les plis flottants du voile quadrillé de blanc et de bleu qui couvre la tête et les épaules se dérangent un peu, et l’éclaircie qui se manifeste entre ce vêtement et le masque allongé qu’on appelle borghot laisse voir une tempe…[43]

et comme on peut le constater, Nerval n’émet point de jugement dépréciatif ni de remarque négative concernant la question du voile. Bien au contraire, il lui trouve une fonction esthétique ; d’une part, « l’habit mystérieux des femmes donne à la foule qui remplit les rues l’aspect joyeux d’un bal masqué »[44]; d’autre part, il permet de cacher la laideur[45]. Ailleurs dans son récit, il précise que le voile des musulmanes est plus épais que celui des non musulmanes. On ne trouve point pareilles distinctions chez les autres voyageurs.

Ceux-ci parlent constamment de femmes voilées, dans leur relation : c’est un fait incontestable, vu qu’il est avéré, historiquement. Parallèlement à cela se rencontrent plusieurs occurrences où il est question de femmes non voilées, sans que cela semble surprendre le moins du monde nos voyageurs. Certes, par moments, une esquisse d’explication est donnée, mais généralement aussi, le silence règne. Ces femmes non voilées[46], les voyageurs les rencontrent surtout dans les cimetières, en train de pleurer un être cher : le dévoilement, lié à l’émotion, est passé pratiquement sous silence[47], ou plutôt ne donne pas lieu à des commentaires de quelque type que ce soit. On rencontre aussi des femmes non voilée dans les champs, ainsi que le relèvent Nerval, Du Camp et Flaubert mais ils n’insistent pas particulièrement là-dessus, comme si ces femmes n’étaient pas dignes d’intérêt, ou que le dévoilement n’intriguait pas dans un pays où les femmes ne sont pas censées le connaître, surtout en présence des étrangers et, pire encore, sur la place publique !

Par contre, Lamartine donne une version quelque peu différente : le dévoilement est, chez lui, une règle alors que chez les autres, c’est l’exception. En décrivant une scène où il est question de beaucoup de femmes aperçues près d’une fontaine, les unes en train de laver leur linge, de remplir les urnes, les autres, en train de danser… et après avoir décrit ce qu’elles portaient et constaté qu’elles étaient « vêtues exactement comme les femmes d’Abraham et d’Isaac »[48], c’est-à-dire « avec une tunique bleue nouée au milieu du corps, et les plis renflés d’une autre tunique blanche retombant gracieusement sur la tunique bleue […] leurs têtes [étaient] coiffées de turban bleus… », il annonce : « ces femmes arabes n’étaient pas voilées comme toutes[49] celles que nous avions vues jusque-là en Orient »[50]. Il ajoute plus loin : « elles continuèrent à danser et à chanter pendant tout le temps que dura notre halte, et ne parurent pas s’offenser de l’attention que nous donnâmes à leur danse, et à leur chant et à leur costume »[51]; ailleurs dans son texte, il parle aussi de femmes non voilées qui ne semblaient point gênées par les regards du voyageur et de ses compagnons de route :

Les femmes n’étaient ni renfermées ni voilées : [pire encore, nous permettons-nous d’ajouter] elles étaient même à demi nues, surtout les jeunes filles de dix à quinze ans. Tout leur vêtement consistait en un pantalon à larges plis, qui laissait les jambes et les pieds nus […] elles ne montraient aucun embarras de nos regards, aucune pudeur de leur presque nudité[52].

On ne peut qu’être surpris par le comportement de ces Levantines mais également par celui du poète qui n’a pas cherché une explication à l’attitude de toutes ces femmes non voilées et surtout sans aucune pudeur, dans un pays où les femmes sont censées être voilées, voire recluses[53]! Notons cependant que certains détails peuvent nous éclairer sur l’identité de ces dames "non voilées et surtout impudiques". Dans le premier cas, le voyageur rapporte que ces femmes qui dansaient attendaient les présents « de noce qu’un jeune Arabe était allé acheter à Nazareth pour une des filles de Séphora, sa fiancée »[54]; on peut avancer, sans trop se risquer, l’hypothèse qu’il s’agit là des ghawaze, ces gitanes qui professaient, entre autres, la danse et le chant. Plusieurs éléments confortent cette hypothèse, surtout si l’on rapproche le premier passage du second où Lamartine donne plus de détails sur le groupe qu'il présente comme étant « une de ces tribus kurdes qui viennent des provinces voisines de la Perse, passer l’hiver » dans différentes régions du Moyen Orient. De plus, les vêtements de ses membres n’annonçaient pas la pauvreté »[55]. En outre, Lamartine précise que son arrivée parmi eux s’est accompagnée des « sons de cette musique sauvage et aux cris de cette multitude qui [les] regardait avec une curiosité moitié rieuse, moitié féroce »[56]. S’ajoutent à ces éléments le fait que ces femmes n’étaient pas voilées et que « les hommes eux-mêmes ne paraissaient pas exercer d’autorité sur elles »[57]. Tous ces détails font penser aux tribus des ghawazee, dont les plus célèbres s’étaient installées en Égypte et qui sont explicitement nommées par Nerval et surtout par Flaubert qui les avait beaucoup fréquentées. Ce qui surprend chez Lamartine, c’est le glissement – voulu ou involontaire – sur l’identité de la troupe. Au départ, il dit explicitement qu’il s’agit d’une tribu kurde. Mais vite, il va parler du cheikh de la tribu et, en avançant dans sa description du lieu de campement et de ses occupants, il parle de « ces Arabes » qui ne possédaient que quelques coffres et quelques chevaux… Mais ce ne sera pas là la seule méprise de Lamartine ; en décrivant les femmes, il précisera que les yeux de celles-ci « étaient teints avec le henné sur le bord des paupières »[58]. On voit donc que Lamartine ne fait pas de distinction entre le khôl et le henné, de même qu’il confond Kurde et Arabe, Turc et musulman ; ainsi, quand il dit que toutes les femmes qu’il a vues en Orient étaient impudiques et dévoilées, ne s’agit-il pas là d’une autre erreur parmi les multiples que compte son récit de voyage[59]? Surtout qu’au début de son récit, il a donné une image différente des femmes du Liban[60]. Il précise qu’elles « se penchent aux fenêtres pour [les] voir [lui et les siens], et se cachent quand elles s’aperçoivent qu’[ils les regardent] »[61], chose que rapportent pratiquement tous les voyageurs[62]. Par ailleurs, il semble avoir oublié ce qu'il avait annoncé ailleurs dans sa relation[63], quand il a décrit le "superbe" costume des femmes – d’après le récit de sa femme – celui-ci était recouvert « en entier »[64] d’un « immense drap blanc », alors que dans le récit de sa femme, il n’était question que de femmes, les hommes n’étant pas admis à la cérémonie[65]! Ainsi, avancer que les femmes étaient non voilées en 1830 alors que les voyageurs qui le suivront attesteront du contraire ne peut que surprendre, sous la plume de Lamartine. Cela est peut-être lié à l’image « positive » qu’il cherchait à donner de l’islam et de ses adeptes, car justement la question de la femme était – et demeure même de nos jours – l’une des plus épineuses sources de reproches et de controverses.

Parallèlement au discours sur le voile, se rencontrent plusieurs occurrences où il est question de nudité[66]. Celle-ci est constamment relevée par les voyageurs, qu’elle concerne les hommes, les femmes ou les enfants. Les premières mentions de "nudité" dans les relations de voyage concernent les Arabes qui font office de porteurs des voyageurs, dès leur arrivée en Orient. Rappelons que ce "transport-là" se faisait dans l’eau : ces porteurs déplaçaient les voyageurs des bateaux qui les amenaient d’Europe soit directement sur le quai, soit sur les petites embarcations qui les y conduisaient. Les autres mentions de la nudité des Orientaux, de certains d’entre eux, en tous cas, intriguent, surtout qu’elles ne s’accompagnent généralement pas de commentaires, ainsi celle faite par Flaubert : « Rives plates et mortes de Mahmoûdîyeh ; sur le bord quelques Arabes tout nus qui courent »[67] et, une ligne plus loin, il parle de « voyageur qui passe, enveloppé de blanc ». C’est, comme on le voit, assez intriguant de voir juxtaposées deux réalités contradictoires : nudité d'un côté et enveloppement de l'autre...

Par ailleurs, on parle beaucoup de « petites filles nues »[68] qui se baignent ou qui courent dans les près, surtout chez Flaubert qui relève que les petits Nubiens sont nus tandis que les petites filles portent des caleçons en cuir[69], sans que cela donne lieu à des explications ou à des commentaires[70]. Toutefois, la seule mention de cette différence par Flaubert est significative, quand on sait que, d’après Alain Buisine, il fait montre de «rapacité visuelle». En revanche, on ne sait quel sens lui attribuer, surtout que pareil développement n’apparaît pas chez Du Camp, son compagnon de route. Lamartine, lui, décrit une scène où il fait montre de voyeurisme. Il parle de « deux jeunes filles syriennes, d’une beauté incomparable, [qui] s’habillent en plein air »[71], bien entendu chez elles, alors que lui se trouvait à la terrasse de sa maison. Et comme rattrapant l’imagination de ses lecteurs qui pourraient s’imaginer ou s’attendre à un tableau de nu comme ceux très en vogue à l’époque, il ajoute : « il y en a une dont les cheveux sont si longs et si touffus, qu’ils la couvrent entièrement, comme les rameaux d’un saule pleureur recouvrent le tronc de toutes parts »[72]. On est loin, en effet, des évocations érotiques des tableaux orientalistes de l’époque, le rapprochement avec le "saule pleureur" nous plaçant dans la symbolique de la chasteté[73]. Du Camp, quant à lui, décrit la jeune fille dont « les jambes et les bras [étaient] nus » et qui « faisait partie d’une petite troupe de saltimbanques »[74]; il précise : « elle était charmante et faisait longtemps rêver » mais la description finit en diminuendo, en raison de l’opposition animé/inanimé : à la fin du passage, il rapproche ladite jeune fille des « sphinx de granit accroupis immobiles et sérieux ».

Généralement, les voyageurs jouent à ce jeu du voilement-dévoilement. Le meilleur exemple demeure celui offert par Nerval et après lui par Gautier. L’un et l’autre parlent de femmes hermétiquement voilées mais dont le voile se dérange par moments, laissant voir « une tempe gracieuse ou les cheveux bruns… une petite oreille… »[75]. En fait, Colette Julliard caractérise cette manière de regarder la femme chez Gautier[76] – qu’elle rapproche de celle de Delacroix – par la sobriété et la pudeur qui en font la particularité ; ainsi, explique-t-elle :

loin de la démailloter, tous deux vont respecter ses voiles. Non qu’ils abandonnent leur désir omniscopique, mais si ce désir est toujours là, c’est leur regard qui a changé : confronté à l’Orient, il ne permet plus le recul dont se nourrissait leur imaginaire, et ils auront l’honnêteté de l’écrire ou le peindre[77].

et c’est peut-être pour cette raison que, chez Gautier et Nerval, rares, pour ne pas dire inexistantes, sont les évocations de la nudité. Par ailleurs, les auteurs voyageurs donnent l’impression d’osciller entre voile et nudité[78]; tantôt ils parlent de femmes voilées, tantôt de femmes dévoilées, pratiquement sans transition, avec plus ou moins de gêne. On constate cependant que, bien qu’ils parlent de nudité, ils évitent toujours que puisse s'égarer l’imagination de leur lecteur. Les exemples de Lamartine et Du Camp le démontrent bien.

En revanche, il est un lieu qui représente un poncif du récit de voyage, dont la visite est obligatoire, où parler de nudité semble ne gêner personne, ni les femmes qu’on dénude ni ceux qui les observent : il s’agit du marché aux esclaves[79]. La visite de celui-ci est généralement programmée dans le cours du voyage[80], même si certains voyageurs donnent l’impression que c’est le hasard qui les y a conduits : c’est surtout le cas de Gautier qui parle de cette visite à la fin du chapitre III de Constantinople. Il raconte ses pérégrinations, à pied, dans la ville de Smyrne, et il ajoute : « nous arrivâmes ainsi[81] au marché des Esclaves », comme si cette visite était fortuite[82]. Celle-ci va être courte, du fait de la présence de deux négresses uniquement[83]. Seule, l’une des deux va attirer son regard. Au début, il la compare à une « gazelle en captivité »[84]; vers la fin du passage, il la rapproche du singe. C’est peut-être la pudeur dont il a été question plus haut, ou encore le rapprochement avec les animaux qui a empêché Gautier de décrire ces femmes, surtout qu’il a failli acheter celle qui a attiré son regard. L’esclave étant considérée comme une marchandise, le marchand lui en a certainement montré les atouts, pour l’encourager à conclure la transaction[85], mais Gautier n’en dira rien, fidèle en cela à cette pudeur dans le regard porté sur l’Orient qui caractérise tout Constantinople. En revanche, les autres voyageurs donnent plus d’informations concernant leurs visites, sans soute en raison de la fréquences de celles-ci. En tous cas, ils ne se privent généralement pas de décrire les esclaves rencontrées[86].

Nerval a fait plusieurs visites au marché aux esclaves. Il y était, en quelque sorte, "forcé" étant donné que, pour résider dans le quartier cophte[87], il était obligé de prendre femme. Comme les tentatives de mariage n’ont pas abouti, il s’est résigné à acheter une esclave, ce qui expliquerait toute l’importance qu’il accorde à ces femmes dans son récit : il leur consacre le deuxième chapitre de la partie sur le Caire[88]. Mais on constate qu’il demeure très pudique dans ses descriptions ; il rapporte, par exemple, que « les marchands offraient de les faire déshabiller »[89]. On s’attend donc à une description de la scène. Cependant, celle-ci commence par un détail qui nous place dans un autre registre : « ils [les marchands] leur ouvraient les lèvres pour qu’on vît les dents, ils les faisaient marcher, et faisaient valoir surtout l’élasticité de leur poitrine… »[90] : le rapprochement avec les animaux est suggéré par la première phrase mais il sera net et sans équivoque une page plus loin. En effet, Nerval rapproche ces femmes du singe non seulement du point de vue physique mais aussi de celui du comportement[91], par des termes comme « ces pauvres créatures » qui avaient des « airs sauvages fort curieux », qui étaient « défigurées... ». Ces « jolis monstres »[92], comme il les appelle, ne l’ont point attiré, du fait qu’elles « forment un contraste parfait à la beauté telle que nous la comprenons »[93]. C’est la raison pour laquelle il a demandé à acheter une esclave « plus blanche ». C’est alors qu’il va finir par choisir la javanaise "Zeynab", qui « était fort belle du reste et d’une solidité de formes qu’on ne craignait pas de laisser admirer »[94]. Encore une fois, le regard porté sur cette « femme » demeure assez pudique ; Nerval n’essaiera pas d’enlever ses voiles à son esclave qui se comportera dorénavant comme une cadine capricieuse, voire autoritaire.

Ainsi, nous pouvons déduire de ce qui précède qu’encore une fois, le discours sur l’Autre vacille entre deux contraires : le marché aux esclaves permet d’évoquer la nudité, mais les voyageurs ne s’y attardent pas vraiment pour les diverses raisons que nous venons de voir. Et nous trouvons étrange que les esclaves dont parlent les voyageurs soient pratiquement tous de sexe féminin[95]; c’est à se demander où on se procurait ces eunuques gardiens de la vertu des harems, dont il est question dans tous les récits de voyage sans exception. Par ailleurs, le marché aux esclaves permet d’introduire des développements plus ou moins élaborés, selon les voyageurs, sur un autre sujet : les mœurs des musulmans, principalement concernant la condition des femmes. Constatons que la visite de ce lieu s’accompagne d’une gêne plus feinte que réelle[96]. La curiosité conduit – parfois même à plusieurs reprises – les voyageurs dans ce lieu ; et il est rare qu’ils émettent des jugements dépréciatifs le concernant. Certes, on peut rencontrer, comme sous la plume de Nerval[97], des expressions telles : lieu où on se livre à « un si triste commerce »[98], mais cela ne l’a pas empêché de s’y livrer lui-même en achetant Zeynab[99]. D’ailleurs, tous les voyageurs cités ont exprimé le vœu d’acheter des esclaves, lors de la visite de ce marché. Ainsi, condamner ce commerce relève de la contradiction pure et simple ! Lamartine, pour sa part, met son existence sur le compte des « législations immobiles »[100] et précise qu’il n’est pas le propre des Turcs. Les voyageurs relèvent le caractère humain de la relation liant les musulmans à leurs esclaves. Ils ne notent point de maltraitance ni de sévices ; bien au contraire, certains, comme Lamartine et Nerval, soulignent  le statut quelque peu "privilégié" des esclaves : Nerval ne cesse de le rappeler, surtout dans la partie caïrote de son récit ; il insiste sur les caprices de Zaynab qui donne plus d’ordre qu’elle n’en exécute.

Lamartine remarque la richesse de leur costume, lors de sa visite à l’émir Béschir : ses « esclaves noirs [étaient] vêtus magnifiquement [et] armés de pistolets argentés et de sabre de Damas étincelants d’or et de ciselures »[101]. La beauté des costumes des esclaves sera relevée pratiquement par tous les voyageurs, même par Chateaubriand. Cette richesse du costume concerne les esclaves aussi bien hommes que femmes, qu’ils soient âgés ou jeunes[102].

Mais l’humanisme des musulmans apparaît à d’autres niveaux. D’abord, les esclaves peuvent devenir des favorites, parfois même des épouses, et elles donnent naissance à des enfants reconnus par le maître, ainsi que le rapportent Lamartine et Nerval. Tous deux, en effet, reproduisent la même scène où on feint de vendre une esclave avec son fils ; dans les deux cas, le maître envoie son esclave au marché uniquement pour la corriger[103] d’une faute indéterminée, dans le cas de Nerval ; et dans celui de Lamartine, de son « humeur trop fière et trop indomptable dans le harem »[104].

Ensuite, le marché aux esclaves permet de mettre l’accent sur la charité légendaire des musulmans ; certains d’entre eux rachètent les « vieilles esclaves rejetées de la maison de leurs maîtres pour leur vieillesse et leurs infirmités, et les emmènent […] pour les nourrir par charité dans leurs maisons »[105], ajoute Lamartine, à l’issue de sa visite au dit marché, tandis que Nerval, quelques années plus tard, mettra l’accent sur l’attachement des esclaves à leur maîtres. Les seules esclaves qui paraissent tristes sont celles qui allaient être séparées de leur maître[106]; et Nerval de conclure : « Voilà qui parle, certes, en faveur du caractère du musulman. Comparez à cela le sort des esclaves dans les pays américains ! »[107]. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, les voyageurs ne notent point de tristesse dans les yeux ou le comportement des esclaves. Bien au contraire, celles-ci sont joyeuses, rient, chantent… même les enfants sont décrits par Lamartine comme étant insouciants, se remettant au jeu, une fois l’attention du marchand distraite par autre chose : essayaient-ils par là de donner à voir une image douce de l’esclavage chez les musulmans ?

De toutes les façons, on ne peut nier l’intérêt des voyageurs pour les Orientales en général – y compris les esclaves –, mêmes si on note la présence d’informations et de détails relevant plus de la fable que de la réalité. Mais on ne peut considérer avoir fait le tour de la question de la femme sans parler du harem ou sérail[108]. Celui-ci, comme on le sait, intéresse mais intrigue aussi les voyageurs. C’est pratiquement la première chose qu’ils évoquent, dès que se profile à l’horizon la terre orientale, parfois même avant de l’avoir foulée[109]. C’est le cas de Lamartine qui, à l’approche de Beyrouth, évoque « les femmes prisonnières dans les harems »[110]. Chateaubriand  remarque ceux-ci dès son arrivée à Constantinople. En les mentionnant, il attaque, comme d’habitude, le gouvernement turc ; mais là où on ne peut qu’admirer sa plume, c’est quand il place le sérail au milieu de « prisons et de bagnes » imaginaires, afin de condamner[111] une institution religieuse, sociale et politique dans la même phrase et surtout avec un minimum de mots :

Au milieu des prisons et des bagnes s’élève un sérail, Capitole de la servitude : c’est là qu’un gardien sacré conserve soigneusement les germes de la peste et les lois primitives de la tyrannie[112].

On retrouve généralement en filigrane – dans les récits de voyage – l’image stéréotypée du harem telle que l’a reproduite la peinture orientaliste ; au détour de la description d’une procession du sultan, à Constantinople, Gautier s’écrie, dans une longue tirade contre l’institution du harem :

Le silence de midi régnait autour de ce palais mystérieux, qui, derrière ses fenêtres treillissées, renferme tant d’ennuis et de langueurs, et je ne pouvais m’empêcher de penser à tous ces trésors de beautés perdus pour le regard humain, à tous ces types merveilleux de la Grèce, de la Circassie, de la Géorgie, de l’Inde et de l’Afrique, qui s’évanouissent sans avoir été reproduits par le marbre ou la toile, sans que l’art les ait éternisés et légués à l’amoureuse admiration des siècles : Vénus qui n’auront jamais leur Praxitèle, Violantes dénuées de Titien, Fornarines que ne verra pas Raphaël[113].

Mais son cri, comme on le voit, est plus littéraire et esthétique que moral et humain ! Ce n’est point le sort de ces "malheureuses" qui le préoccupe mais uniquement le fait de les immortaliser comme les Violante, Fornarine… F. Berenguer, qui a étudié « Les arcanes du féminin oriental dans Constantinople », confirme cela :

Gautier, quasiment obsédé par l’aspect physique des êtres qu’il croise sur son chemin, se trouve pour la première fois sans doute dépourvu de matière à visualiser : pas de "type" féminin à enregistrer, disparus l’esthétisme et l’épicurisme qui en découle[114].

Le seul regret donc de Gautier est d’ordre plastique, en rapport avec ses préoccupations de « collectionneur » de genres ou de types féminins. C’est pour cela que les critiques de ce système demeurent assez discrètes dans sa relation de voyage.

Ce qui est surprenant, c’est que les voyageurs affirment tous[115] qu’il s’agit là d’un espace réservé aux femmes, qui en sont les prisonnières et où elles passent leur vie à rêvasser et à ne s’occuper que de leur beauté ou encore de choses futiles, mais il est surprenant de trouver, dans tous les récits de voyage, une description de visu de ce lieu frappé d’interdit. Certaines visites se déroulent en l’absence ou pendant l’absence des occupantes, comme c’est le cas du harem du sultan à Istanbul, ou encore de celui du vice-roi, au Caire ; cependant, il en est d’autres qui ne peuvent que surprendre. Ainsi, les visites dont parle Lamartine dans sa relation de voyage. À plusieurs reprises, il dit avoir pénétré dans le harem d’un pacha, dignitaire ou encore colonel turc. Mais il ne se contente pas d’affirmer cela, il indique qu’il a vu les femmes du harem. Certes, cela pourrait avoir eu lieu, mais il est étonnant que le poète ne se rende pas compte que cela jure avec l’image négative qu’il a essayé de donner du Turc en général. Où serait passée sa jalousie légendaire, pour qu’il ne s’offusque pas de la présence de ses femmes dans le harem alors qu’il avait donné l’ordre de l’évacuer pour la visite de Lamartine ?[116]. Ce qui surprend surtout, c’est le caractère répétitif et non plus singulier de cet événement. Parallèlement, Gautier, Flaubert et Du Camp attestent avoir été reçus par des dignitaires turcs, mais on ne note point pareilles assertions dans leur récit[117]. En effet, ils décrivent généralement l’hospitalité des dignitaires qui les reçoivent, sans jamais rien dire sur le harem ni ses femmes. Cela peut sembler curieux, surtout sous la plume de Flaubert qui parle beaucoup de femmes ; il est vrai que celles-ci appartiennent à des catégories un peu particulières. Il ne s’agit jamais de «cadines» mais de danseuses, d’almées, de prostituées.

Notons enfin que Gautier, à l’instar de Nerval, offre une image du harem qui s’éloigne beaucoup de l’image stéréotypée de l’époque, qu’ils rapportent, comme on l’a constaté, mais pour la réfuter[118]. Tous deux, en effet, infirment la réclusion des femmes et surtout la possibilité, à un étranger, d’avoir une « intrigue d’amour avec une musulmane»[119]. Nerval le dit d’une manière encore plus subtile, grâce à son « aventure au Besestain », ou doit-on plutôt dire "mésaventure", vu que le « héros » de cette équipée se rendra compte à la fin que les Orientales qu’il a suivies étaient en fait des compatriotes : la femme d’un ancien soldat de l’armée de Napoléon, entré au service du gouvernement turc et sa sœur.

 La particularité de Nerval et de Gautier concerne surtout le fait qu’ils aient introduit des développements qu’on ne retrouve pas chez Lamartine, qu’on taxe généralement d’islamophilie. Les plus importants concernent le fait que la musulmane possède une âme, a des droits importants, comme celui d’hériter, de disposer comme elle veut de sa fortune, d’exiger la monogamie de son futur époux… Les deux auteurs  insistent surtout sur le fait que le harem, bien qu’il soit autorisé comme institution sociale, demeure assez exceptionnel dans la réalité, étant l’apanage d’une élite, le commun des musulmans se contentant d’une seule épouse, vu toutes les complications que la tenue du harem implique[120]. Mais, ce qu’on peut considérer comme assez surprenant sous la plume de Nerval, c’est sa tentative de corriger l’image stéréotypée du harem qui était ancrée dans l’imaginaire occidental : le harem, selon lui, n’est un lieu ni de luxure ni de permissivités de toutes sortes. Nerval, en fait, réduit à tel point "la toute puissance " supposée du maître des lieux qu’il en fait presque "l’esclave de ses esclaves". Et le poète des Chimères de conclure :

Voilà donc une illusion qu’il faut perdre encore, les délices du harem, la toute puissance du mari ou du maître, des femmes charmantes s’unissant pour faire le bonheur d’un seul : la religion ou les coutumes tempèrent singulièrement cet idéal, qui a séduit tant les Européens[121].

Ainsi donc, encore une fois, on se rend compte que la question de la femme passionne au plus haut point les voyageurs, car intéressant par ailleurs leurs lecteurs. Mais on constate que, comme pour le reste, elle se caractérise par sa dualité : les voyageurs affirment que les femmes sont recluses dans les harems mais à chaque page ils en parlent, en précisant qu’ils les ont vues, rencontrées, qu’ils leur ont parlé. Ces femmes sont représentées comme hermétiquement voilées, mais il n’est pas exclu que les voyageurs les décrivent comme ne l’étant pas ; certains même parlent de nudité les concernant… Le harem lui-même est source de contradictions, comme nous venons de le voir. Si son existence ne peut être contestée, toute sa symbolique est mise en question par Nerval et Gautier. Cependant, les voyageurs qui cherchent à corriger « les images » fausses que se font les Occidentaux des réalités orientales se rattrapent autrement.De toutes les façons, cette représentation qui admet la chose et son opposé intrigue le lecteur ; on ne sait s’il s’agit là d’erreurs qui se sont immiscées, à leur insu, dans leurs relations ou s’il s’agit d’un travail conscient cherchant à suggérer l’existence d’une dimension supplémentaire à l’Orient : la dimension symbolique.

Notes de pied de page

  1. ^ Jean-Claude Berchet, Le Voyage en Orient, Paris, Robert Laffont, 1985.
  2. ^ Pour plus de détails sur ce point, voir Asmaa EL Meknassi, L’Orient des voyageurs français du XIXe siècle, thèse soutenue à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Dhar El Mehraz, Fès, 2012, p. 61-69. En cours de publication, elle est actuellement consultable à la bibliothèque de la faculté de Fès.
  3. ^ François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Paris, GF, 1968 ; Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, Paris, Furne, Jouvet & Cie, L. Hachette & Cie, Pagnerre, éditeurs, 1969, 4 vol. ; Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Paris, G.F-Flammarion, 1980, 2 vol. ; Gustave Flaubert, Voyage en Orient, in Œuvres complètes, Paris, Seuil, « l’Intégrale », 1964 ; Théophile Gautier, Constantinople, Paris, Michel Lévy frères, 1856 ; Maxime Du Camp, Le Nil, l’Égypte et la Nubie, Paris, Michel Lévy frères, sd.
  4. ^ Voire en  incorporant, par moments, des chapitres de leurs relations sans le mentionner.
  5. ^ Il n’y a qu’à voir les thématiques de la peinture orientaliste. Voir, entre autres, les deux ouvrages de Lynne Thornton, Les Orientalistes, peintres voyageurs ainsi que La Femme dans la peinture orientaliste, ACR Édition, Poche Couleur, 1993.
  6. ^ Entre autres, parce qu’elle est voilée, d’après Alain Buisine, L’Orient voilé, Calmann-Lévy, Zulma, 1993, p. 13.
  7. ^ Qui était dans une logique complètement différente : il était le dernier croisé et la seule femme qui l’intéressait se trouvait en Espagne, à l’attendre, comme une récompense à sa grande entreprise !
  8. ^ Rappelons que, pour les saint-simoniens, l'Orient représentait la "terre promise" pour l’application de leurs théories aussi bien spirituelle qu’industrielle. Notons par ailleurs que Le Voyage en Orient de Nerval s’intitulait « Les Femmes du Caire ». D’ailleurs, le récit nervalien, dans sa totalité, tourne autour de la femme.
  9. ^ « L’Occident désire l’Orient comme voilé », Buisine, op. cit., p. 23. Mais également au XXe siècle.
  10. ^ C’est peut être pour cette raison que Buisine dit que Flaubert a fait de l’Orient un lieu de permissivité sexuelle. Flaubert, op. cit., p. 567, 615, 626, 649.
  11. ^ On se demande pourquoi. C’est nous qui soulignons. On voit bien que, jusque-là, le doute est maintenu surtout avec la présence du terme « exception »  dans la phrase.Lamartine, op. cit., p. 159.
  12. ^ Idem, p. 159.
  13. ^ Au début de son séjour au Liban, Lamartine dit passer son temps entre les visites qu’il effectuait chez les dignitaires de la ville et les réceptions qu’il offrait chez lui. Rappelons que Lamartine brosse de lui-même un tableau plus que flatteur dans Le Voyage en Orient : il s’y présente comme le Sauveur de l’Orient.
  14. ^ Nerval, op. cit., p. 153-159.
  15. ^ Moenis Taha-Hussein, Le Romantisme français et l’Islam, Beyrouth, Dar El Maarif, 1962, p. 346.
  16. ^ C’est nous qui soulignons. Nerval, op. cit., p. 155-156.
  17. ^ En effet, l’horizon d’attente des lecteurs des romantiques est respecté, les voyageurs ne cherchant pas à bousculer l’idée qu’on se faisait de l’Orient, à l’époque. Voir infra notes 119-120.
  18. ^ Chateaubriand, op. cit., p. 197.
  19. ^ On peut se permettre ce terme vu le caractère exceptionnel de cette rencontre. Ibid.
  20. ^ Id., p. 204-205.
  21. ^ « Ce qu’on voit n’est pas un peuple, mais un troupeau qu’un iman conduit et qu’un janissaire égorge ». Id., p. 205.
  22. ^ Mais également celles de toutes les régions qu’il a visitées. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’est pratiquement jamais question de femmes vues ou aperçues dans l’Itinéraire ! Celui-ci donne l’impression que le voyage se déroule dans un monde presque vide, pas uniquement de ses femmes mais, par moments, de toute présence humaine quelle qu’elle soit.
  23. ^ Nerval et Gautier, pour ne citer que ceux-là, distinguent les musulmanes des autres femmes, selon leur voile justement (épais pour les musulmanes, et moins pour les Arméniennes et les Grecques). Ils précisent que les lieux qu’elles fréquentent le plus sont les promenades très répandues à Constantinople et au Caire. Nerval, op. cit., t. I, première partie, p. 162,188, t. II. ; Gautier, op. cit., chap. XVI, intitulé « Les femmes », et chap. XVII et XXVII.
  24. ^ Tandis que Flaubert, qui assistait à une messe de minuit « latine », se contente de signaler la présence de « quelques voiles de femmes [qui] paraissaient » à travers le gynécée, op. cit., p. 566.
  25. ^ Gautier, op. cit., p. 90-91.
  26. ^ Id.
  27. ^ Notons qu’ailleurs, dans sa relation, il affirme : « contrairement à l’idée qu’on en a, les dames turques, loin de rester claquemurées dans les harems, sortent quand elles veulent, à la condition de rester voilées », Constantinople, p. 189. Et quelques pages plus loin, il énumère tous les endroits où elles vont librement, id., p. 197.
  28. ^ M. Jorelle était le gérant du consulat en attendant l’arrivée à Beyrouth de M. Guys, le consul de France, à cette époque. Lamartine, op. cit., p. 132 et 133.
  29. ^ On ne sait pas si elle était française comme son mari ou pas.
  30. ^ À Damas, il prend toutefois la peine de préciser que sa femme était complètement voilée pour des raisons de sécurité, op. cit., t. 3, p. 59.
  31. ^ Mais lors de la visite d’un pacha turc, il nous apprend que les femmes de celui-ci ont réclamé voir et discuter avec Mme Lamartine, par curiosité pour sa toilette européenne.
  32. ^ Nerval, op. cit., p. 173-182.
  33. ^ Gautier parle, par exemple, de « femmes soigneusement voilées », op. cit., p. 53, alors que Nerval, lui, parle de femmes « hermétiquement voilées », op. cit., p. 149.
  34. ^ Fromentin conseillait aux voyageurs d’observer les femmes de loin !
  35. ^ Flaubert, op. cit., p. 561.
  36. ^ Le Nil, p. 45.
  37. ^ Dans Le Nil, Du Camp donne l’impression de reproduire les mêmes détails qu’on retrouve chez Nerval. Voir Voyage en Orient, p. 46 & suiv.
  38. ^ Nerval, op. cit., p. 149.
  39. ^ On constate ici, mais aussi dans d’autres endroits du Voyage en Orient, que Nerval, en mettant en parallèle les femmes orientales et occidentales, présente ces dernières sont toujours plus à plaindre que les premières.
  40. ^ Nerval – selon Bony – cherchait à se distinguer des autres voyageurs, même de ses illustres devanciers Chateaubriand et Lamartine qui, selon lui, ne s’intéressaient pas au voyage lui-même, mais voyageaient uniquement pour collecter des matériaux. Bony, Le Récit nervalien, Paris, Corti, 1990, p. 204.
  41. ^ Les autres voyageurs restent dans les généralités ; Flaubert, par exemple, se contente de préciser que les femmes vues dans la « rue des almées » portaient des « vêtements clairs, les uns par-dessus les autres qui flott[ai]ent au vent chaud », op. cit., p. 572.
  42. ^ Ces mêmes remarques seront reprises par Flaubert et Du Camp.
  43. ^ Id., Flaubert, op.cit., p. 150.
  44. ^ Nerval, op. cit., p. 150.
  45. ^ Id., p. 151.
  46. ^ Ou dont le voile s’est dérangé sous l’effet des lamentations et des pleurs, mais on ne sait pas jusqu’à quel degré : on voit bien là encore que l’ambiguïté est maintenue à dessein.
  47. ^ Lamartine en parle à plusieurs endroits de son récit, notamment aux p. 246, 255, 383, son voyage coïncidant avec la peste qui sévissait au Moyen Orient !
  48. ^ Id., p. 246.
  49. ^ C’est nous qui soulignons. La généralisation ne peut que déranger ici le lecteur, vu qu’ailleurs il a parlé de femmes voilées. En Syrie, par exemple, il précise que sa femme était complètement voilée. Le serait-elle là où les locales ne l’étaient pas ? Cela semble illogique ! Voir supra note 28.
  50. ^ Id. À Constantinople par contre, il atteste à maints endroits, notamment t. 4, p. 247, que les « femmes turques en sortent voilées ». Le pronom ici réfère au moyen de transport emprunté par ces femmes.
  51. ^ Id.
  52. ^ Lamartine, op. cit., p. 442-443.
  53. ^ Cela nous paraît d’autant plus surprenant que, quelques années plus tard, Nerval confirmera les dires de Chateaubriand concernant les Grecques voilées, rencontrées en Grèce ; on ne peut donc que s’étonner du fait qu’au Liban, les femmes ne l’étaient pas : « dans les îles grecques, toutes les femmes qui sortent sont voilées comme si l’on était en pays turc », op. cit., p. 144.
  54. ^ Lamartine, op. cit., p. 246.
  55. ^ Lamartine parle de « vestes de soie mêlée de fils d’or ou d’argent, et de pelisses de soie bleue doublée de riches fourrures », p. 442.
  56. ^ Id., p. 441.
  57. ^ Étant donné que ces tribus avaient un régime matriarcal. Id., 443. L'article de Wikipédia d'où cette information a été extraite semble avoir été retiré de la toile.
  58. ^ Id.
  59. ^ Nous avons relevé plusieurs erreurs notamment concernant la prière, voir A. El Meknassi, IIème partie, p. 155-167. D’autres erreurs encore ont été répertoriées par Moenis Taha-Hussein et par Hassan El Nouty,Le Proche-Orient dans la littérature française de Nerval à Barrès, Paris, Librairie Nizet, 1958.
  60. ^ Celles décrites dans les deux passages cités plus haut le sont aussi.
  61. ^ Id., p. 142.
  62. ^ Et qui reste une des particularités du monde oriental, il suffit de se rappeler la fonctionnalité des moucharabiehs (qui permettent de voir sans être vu) pour s’en convaincre, si besoin est !
  63. ^ Dès les premières pages consacrées à Beyrouth.
  64. ^ Lamartine, op. cit., p. 152.
  65. ^ Rappelons que la cérémonie en question concernait un mariage grec. Voir supra note 11.
  66. ^ Cela rappelle la peinture orientaliste du début du siècle !
  67. ^ Flaubert, op. cit., p. 560.
  68. ^ Id., p. 577.
  69. ^ Surtout chez Flaubert, op. cit., p. 577, mais aussi chez ses collègues.
  70. ^ Alain Buisine explique que Flaubert a abandonné l’écriture car c’est là une activité incompatible avec la vie de voyage, op. cit., p. 110. Constatons que la majorité de ces remarques ne paraissent pas chez son compagnon de voyage Du Camp.
  71. ^ Lamartine, op. cit., p. 142.
  72. ^ Id.
  73. ^ Voir http://www.magie-et-fantasy.com et http://www.arfe.fr/mythes/mythes_arbres_europe.htm
  74. ^ Du Camp, op. cit., p. 56-57. Ce rapprochement avec le sphinx, éloigne la scène de toute évocation érotique.
  75. ^ Nerval, op. cit., p. 150. On est alors dans ce qu’explique Buisine, « la fermeture du voile redoublant la clôture du harem, entretient le mystère, excite la curiosité et l’imagination, avive le désir et la moindre partie dévoilée du corps devient récompense pour le voyageur », op. cit., p. 23-24.
  76. ^ On observe la même chose chez Nerval.
  77. ^ Colette Julliard, Imaginaire et Orient, L'écriture du désir, Paris, l’Harmattan, 1996, p. 88.
  78. ^ Flaubert parle de femmes qui se voilent le visage mais se découvrent la poitrine.
  79. ^ Généralement, les voyageurs parlent du marché aux esclaves, alors que Nerval précise qu’il existe plusieurs lieux (dont les Okel, Khan) où se pratique ce commerce. Nerval, op. cit., p. 218.
  80. ^ Selon le drogman de Nerval, Abdallah, les voyageurs visitent le marché aux esclaves par curiosité. Et certaines esclaves, les Abyssiniennes qui coûtent très cher, sont préservées de leurs regards. Seuls, les acheteurs sérieux peuvent s’en approcher. Nerval, op. cit., p. 218.
  81. ^ C’est nous qui soulignons.
  82. ^ C’est le cas de Flaubert aussi pour l’occurrence de la p. 566.
  83. ^ Lamartine par contre, quelques années plus tôt, décrit un bazar bondé d’esclaves. Gautier tente-t-il par là préciser le déclin de cet indigne commerce ?
  84. ^ Constantinople, p. 61. Lamartine, lui, compare l’œil d’une des esclaves vues au marché à celui de « la chèvre ou de l’agneau que la paysanne tient par la corde et marchande à la foire de nos villages », op. cit., p. 253.
  85. ^ Qu’il voulait conclure surtout que « le marchand [n’] en voulait que deux cent cinquante francs à peu près, ce qui n’était pas très cher », précise-t-il, mais comme il ne savait pas quoi en faire – l’option de lui rendre sa liberté ne semble même pas avoir effleuré son esprit – il s’est contenté « de lui donner quelques piastres et des sucreries », Constantinople, p. 61.
  86. ^ Un des plus longs passages sur le marché aux esclaves se trouve dans le Voyage en Orient de Lamartine; il s’étend sur presque 10 pages.
  87. ^ Et non musulman, comme on pourrait l’imaginer !
  88. ^ Nerval consacre « aux esclaves » le deuxième chapitre des « Femmes du Caire », ce qui en prouve l’importance à ses yeux, p. 193-238.
  89. ^ Nerval, op. cit., p. 217.
  90. ^ Id. Chez Lamartine, on ne note point la présence de pareils détails concernant les femmes. Seuls, les enfants mâles sont examinés « de la tête au pied », ces enfants s’en souciant peu, comme nous l’avons mentionné.
  91. ^ Vu la longueur du passage en question, nous ne le citons pas. Voir Nerval, op. cit., p. 219.
  92. ^ Dont les caractéristiques raciales « classent ces pauvres créatures dans une catégorie presque bestiale », Nerval, id., p. 216.
  93. ^ Id., p. 217.
  94. ^ Id., p. 236.
  95. ^ Lamartine, lors de sa visite au Bazar des esclaves à Constantinople, évoque à peine la présence des esclaves hommes, mais ses descriptions concernent surtout les femmes et les enfants, op. cit., p. 251-259.
  96. ^ Le commerce triangulaire continuait à exister malgré les tentatives des États de l’interdire. C’est ainsi que l’abolition définitive de l’esclavage, en France, ne sera décrétée qu’en 1848. Par ailleurs, les voyageurs eux-mêmes ne semblent pas choqués que, par exemple, les esclaves des autres leur baisent la main. Ils ne s’en défendent même pas.
  97. ^ Ou encore de Lamartine. Voir supra note 91.
  98. ^ Nerval, op. cit., p. 232.
  99. ^ En fait, c’est son compagnon de voyage, Fonfrède qui l’a achetée, mais dans son récit, Nerval s’approprie cet acte. Même Lamartine raconte qu’il a voulu acheter la belle esclave qui était accompagnée de son petit garçon qui « avait les traits les plus nobles… », op. cit., t. 3, p. 255. Mais ces phrases prononcées alors qu’il quitte le bazar sonnent faux, d’une part parce qu’il vient de dire qu’il a négocié l’achat de l’esclave : « nous sortîmes le cœur flétri et les yeux humides de cette scène qui se renouvelle tous les jours et toutes les heures dans les villes d’Orient », et d’autre part parce qu’il semble oublier qu’à la même époque, la traite négrière avait toujours lieu dans beaucoup de villes occidentales et même françaises !
  100. ^ Le Voyage en Orient, t. 3, p. 258.
  101. ^ Lamartine, op. cit., p. 191. C’est de lors de la visite de l’émir "Béshir" qu’il constate cela.
  102. ^ Il s’agit des jeunes esclaves qui ont déjà un maître musulman ; ceux du marché aux esclaves sont généralement mal habillés. Id., p. 253.
  103. ^ «Cette femme est l’esclave favorite d’un effendi qui, pour la punir d’une faute, l’envoie au marché, où l’on fait semblant de la vendre avec son enfant. Quand elle aura passé ici quelques heures, son maître viendra la reprendre et lui pardonnera sans doute », Nerval, op. cit., p. 234. La scène rapportée par Lamartine est plus détaillée et plus longue, c’est pour cela que nous ne la citons pas. Voir op. cit., t. 3, p. 254-25.
  104. ^ Id. Lamartine ne cache pas l’émotion que lui a inspirée la vue de l’esclave et surtout de son petit garçon, au point qu’il a formulé le souhait de les acheter.
  105. ^ « Nous fûmes témoins, précise-t-il, de deux ou trois actes de miséricorde que la charité chrétienne envierait à celle des bons musulmans… » Id., p. 255-256.
  106. ^ Comme si l’esclavage pouvait être doux ! Même Du Camp qui raconte sa rencontre avec les esclaves qu’on transportait vers le Caire à bord d’une cange sur le Nil (et non au marché aux esclaves) dit, en les quittant, qu’il rêvassait des contes nègres, après avoir précisé qu’il pensait qu’on avait enlevé ces femmes ; pourtant, il ne note point de tristesse ni de pleurs, même chez les plus jeunes, malgré le rapt qu’elles viennent de subir. Du Camp, op. cit., p. 132.
  107. ^ Nerval, op. cit., p. 234.
  108. ^ Les deux mots sont interchangeables dans les récits des voyageurs, même si on note une prédominance du substantif harem.
  109. ^ Flaubert : « j’étais monté dans les haubans et j’avais aperçu le toit du sérail de Méhémet-Ali qui brillait au soleil, dôme noir, au milieu d’une grande lumière d’argent fondue sur la mer », op. cit., p. 588.
  110. ^ Voyage en Orient, p. 131.
  111. ^ Et faire d’une pierre trois coups, au lieu de deux selon l’expression consacrée.
  112. ^ On ne peut trouver mieux comme expression exprimant davantage la haine, le ressentiment et la malveillance de l’auteur des Mémoires d’Outre tombe vis-à-vis des musulmans ! Op. cit., p. 205. Parallèlement, voyons comment Lamartine en parle : « après une demi-heure de navigation à travers une multitude de navires à l’ancre, nous touchons aux murs du sérail, qui font suite à ceux de la ville […] c’est là que Dieu et l’homme, la nature et l’art, ont placé ou créé de concert le point de vue le plus merveilleux que le regard humain puisse contempler sur terre », op. cit., t. 3, p. 190. Les visites du même sérail par Flaubert n’engendrent de développements ni sur les femmes, ni sur le gouvernement, op. cit., p. 645-646 et 648.
  113. ^ Constantinople, p. 186-187. Dans la suite du passage, le sultan est opposé à Don Juan.
  114. ^ Françoise Berenguer, « Les arcanes du féminin oriental dans Constantinople », Bulletin de la Société Théophile Gautier, N° 12, t. 2, p. 303-316.
  115. ^ Excepté Flaubert dont le récit ne présente aucune description du harem ou de ses femmes. Certes, à plusieurs reprises dans sa relation, il dit avoir vu un Turc avec ses femmes et ses domestiques, mais il ne s’en approche pas ni n’émet de commentaires de quelque type que ce soit. Voir par ex. Voyage en Orient, p. 597. Notons qu’il dit avoir été reçu par le sheikh d’Ahdan, mais il ne fait aucune mention du harem ni ses occupantes, comme le faisait systématiquement Lamartine, op. cit., p. 637 ; il aussi question du « sérail du gouverneur » mais sans plus.
  116. ^ Voyage en Orient, t. 3, p. 230.
  117. ^ Voir Constantinople, p. 194-217 ; Flaubert, op. cit., p. 628 ; Du Camp, op. cit., p. 95, 99.
  118. ^ Voir la note 37 concernant Nerval et la note 26 concernant Gautier.
  119. ^ Gautier, op. cit., p. 196. Il bat en brèche toutes les utopies liées à cela en disant que ces soi-disant aventures qu’ont les étrangers avec les Turques le sont en fait avec des Arméniennes qui se font passer pour des musulmanes.
  120. ^ Voir Nerval, op. cit., chap. VII et VIII.
  121. ^ Id., p. 268. Quelques lignes plus haut, il s’était écrié : « Pauvres Turcs ! Comme on les calomnie ! Mais s’il s’agit simplement d’avoir çà et là des maîtresses, tout homme riche en Europe a les mêmes facilités ».

Référence électronique

Asmaa EL MEKNASSI, « L’ORIENTALE DES ROMANTIQUES », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Mai / Juin 2014, mis en ligne le 13/08/2018, URL : https://www.crlv.org/articles/lorientale-romantiques