PORTRAIT DE L'EXPLORATEUR CAILLIÉ

PORTRAIT DE L'EXPLORATEUR CAILLÉ
Le Voyage à Tombouctou: portrait d'un explorateur

 

caillie.jpgMr Caillié méditant sur le Coran et prenant ses notes. Illustration de Voyage à Temboctou et à Jenné, dans l'Afrique Centrale, précédé d'observations faites chez les Maures Braknas, les Nalous et d'autres peuples, pendant les années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828] [Couché fils, gravure ; M. Jomard, René Caillié, auteur du texte]

 

Le Voyage à Tombouctou de René Caillié constitue à bien des égards un récit de voyage remarquable. D’abord et avant tout parce que le voyageur français a été le premier européen à atteindre la cité mythique de Tombouctou, obtenant ainsi le prix que la Société de Géographie avait promis pour un tel exploit. Le récit doit aussi sa grande longévité aux descriptions précises et abondantes que fait Caillié au long de son itinéraire de Saint-Louis jusqu’à Tanger. Bien que n’étant pas de formation scientifique, Caillié a contribué au développement explosif de sciences comme la géographie et l’ethnographie au cours du dix-neuvième siècle.

Le Voyage à Tombouctou marque cependant aussi le début de ce qui sera un véritable engouement pour les récits de voyages en Afrique subsaharienne pendant le dix-neuvième siècle. Une analyse de la mise en scène du voyageur dans l’illustration reproduite ci-dessus permet à cet égard de distiller certaines caractéristiques du voyageur pré-colonial. En premier lieu, le voyageur est seul. Cette remarque, qui semble évidente, gagne en pertinence en comparaison avec les mises en scène beaucoup plus collectives du colonialisme. Les récits de voyage de la fin du siècle, par exemple ceux de Savorgna da Brazza, présentent des clichés de groupes d’explorateurs ou bien de l’explorateur entouré d’Africains et mettent ainsi l’accent sur l’effort de colonisation. Alors que la représentation de l’individu René Caillié a pour fonction de renforcer l’héroïsme romantique de l’aventurier. Deux autres éléments de la gravure y contribuent également, à commencer par le déguisement de Caillié qui « médité sur le Coran ». La tenue vestimentaire du voyageur découle de sa peur d’être démasqué comme un Européen prenant des notes. C’est pourquoi il se présente comme un musulman en route pour la Mecque, avec tous les dangers qui s’en suivent. A nouveau, la différence avec la mise en scène du voyageur colonial est grande : Brazza et d’autres ne se déguiseront plus et s’affirmeront Européens. La plume et le papier que Caillié tient en main renforcent l’image du héros romantique. Comme le voyageur risque à ses dires de se faire tuer si ses notes sont découvertes, l’écriture, incarnation d’une recherche de vérité, devient une action dangereuse, quasi-religieuse. De cette façon, elle rapproche Caillié de l’imaginaire romantique qui émerge à ce moment-là dans le champ littéraire. Et une fois de plus, la différence avec la machine d’écriture que sera le colonialisme est grande.

L’illustration qui accompagne le récit de voyage visualise donc une image du voyageur en Afrique qui évoluera dans la période coloniale, mais servira aussi de base à des emplois fictionnels,  par exemples dans les romans de Jules Verne.  

Alex Demeulenaere

Référence électronique

Alex DEMEULENAERE, « PORTRAIT DE L'EXPLORATEUR CAILLIÉ », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Mai 2006, mis en ligne le 23/07/2018, URL : https://www.crlv.org/articles/portrait-lexplorateur-caillie