​​​​​​​Quand les femmes arpentent les colonies : regards et écritures

Dans leur ouvrage La Femme au temps des colonies (1985), Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier déclarent : « La colonisation officielle se passait entre hommes, c'était une affaire d'hommes. » Les femmes, et plus précisément les écrivaines, n’ont-elles joué qu’un rôle mineur dans ces mouvements historiques démographiques et culturels ?

Depuis une trentaine d'années, la littérature viatique féminine est largement étudiée et permet une transversalité entre études de genre, études postcoloniales et recherches littéraires. L'ouvrage collectif dirigé par Évelyne Combeau-Mari, Les Voyageuses dans l'océan Indien, XIXe siècle - première moitié du XXe siècle, Identités et altérités (2019) s'inscrit dans cette recherche féconde et a contribué à combler un vide concernant le voyage dans l'Océan Indien[1].

Dans le prolongement de cette riche étude, les trois articles qui suivent entendent élargir l'horizon des destinations, tout en focalisant l'attention sur les ponts entre littérature viatique africaine et asiatique au féminin et les représentations du fait impérialiste pris dans son ensemble, de l’entreprise politique à l’état des sociétés rencontrées.

 

C’est le moment de faire émerger des figures méconnues afin de montrer dans quelle mesure les voix de ces voyageuses du XIXe au XXIe siècles permettent de relater une découverte singulière de territoires sous influence française (la Chine en 1860), de pays colonisé (Madagascar en 1935) ou ayant accédé à l'Indépendance (l'Algérie en 2017). Comment l'écriture viatique féminine est-elle conditionnée par l'esprit de conquête et la mission civilisatrice des XIXe et XXe siècles ? Comment ces voyageuses s'émancipent-elles des représentations faites par les hommes voyageurs ou les colonisateurs ? Pareillement, par le truchement de la voyageuse, apprend-on quelque chose de neuf de cette « affaire d'hommes » qu'est le temps colonial ? Après le mouvement des Indépendances, comment la vision de l'ancienne colonie évolue-t-elle ?

 

De même que les historiennes Yvonne Knibiehler et Régine Goutalier ont cherché à combler le vide laissé par l'histoire et la littérature coloniale qui ont « superbement ignoré le deuxième sexe », les trois articles de ce dossier cherchent à rendre visibles les points de vue féminins sur deux pays africains qui furent en proie au principe colonial, et même plus largement le point de vue féminin sur l'Orient où se déploya différemment le modèle civilisationnel occidental.

En effet, les trois écrivaines ici considérées couvrent trois siècles et un large espace géographique entre Maghreb et Asie. Tout d'abord au XIXe siècle, Catherine de Bourboulon a écrit un récit de voyage en Chine : en 1860, le pays est sous influence des concessions européennes. Ensuite au XXe siècle, Myriam Harry a écrit un récit de voyage à Madagascar : en 1935, le pays est encore colonisé par la France (depuis 1895). Enfin au XXIe siècle, Alice Zeniter écrit un roman dessinant la mise en abyme d'un voyage en Algérie : en 2017, le pays est indépendant depuis 1962 (colonisé en 1830).

Catherine de Bourboulon, en tant qu'épouse d'ambassadeur de France, est la première femme européenne à entrer dans la capitale impériale en 1862. Cette appartenance au monde diplomatique lui permet un regard singulier et une posture colonialiste sur la réalité chinoise. Myriam Harry, mandatée par le gouverneur français à Madagascar, nous offre une fresque épique où elle accorde une place particulière aux femmes autochtones, mais aussi aux femmes des colons. Son écriture est celle d'une reporter sous tutelle française, mais aussi une conteuse à la plume émancipée. Quant à Alice Zeniter, la romancière combine le récit de voyage et l'autofiction de la troisième génération des immigrés algériens, pour offrir un regard contemporain sur le rapport entre colonisation et indépendance.

 

 

 

Notes de pied de page

[1]

          On doit aussi mentionner de Jean Sevry, Quatre femmes écrivains dans l'aventure coloniale : Mary Kingsley, Karen Blixen, Elspeth Huxley, Gertrude Bell, Cahiers de la SIELEC n° 9, Paris, Kailash, 2013.

Référence électronique

Nirina RALANTOARITSIMBA, « ​​​​​​​Quand les femmes arpentent les colonies : regards et écritures », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Quand les femmes arpentent les colonies, mis en ligne le 03/02/2023, URL : https://www.crlv.org/articles/quand-femmes-arpentent-colonies-regards-ecritures