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Maupertuis, attaché de presse de lui-même !
Études et édition critique des relations de voyage de Maupertuis en Laponie
L’expédition guidée par Pierre-Louis Moreau de Maupertuis entre 1736 et 1737 en Laponie fut un des événements scientifiques les plus importants de l’époque des Lumières. La Figure de la Terre, publié par Maupertuis en 1738, a permis aux scientifiques de son temps de confirmer les études de Newton et d’affirmer que la Terre était bien écrasée aux pôles. Autour de La Figure de la Terre, d’autres textes ont été écrits et publiés par Maupertuis à différents moments à la suite du célèbre voyage, mais, étrangement, ils n’ont jamais été réunis en une seule publication. Voici ce travail accompli par Osmo Pekonen et Anouchka Vasak, dans une belle édition critique qui réunit la Relation de la Laponie (à l’origine une lettre adressée à D’Argenson), la fameuse lettre de Maupertuis à Mme de Verteillac, le Discours lu par le voyageur devant l’Académie royale des Sciences et la Relation d’un voyage fait dans la Lapponie septentrionale, pour trouver un ancien monument. Les textes sont introduits par deux études, l’une d’Osmo Pekonen sur l’aspect plus scientifique et climatique de l’expédition, l’autre par Anouchka Vasak sur la forme littéraire de la production de Maupertuis. L’ouvrage est complété par une préface d’Élisabeth Badinter et une postface de Jean-Pierre Martin, dont La Figure de la terre, publié en 1987, fait encore autorité dans le panorama de recherches autour de cette première expédition scientifique française. Dans sa postface, Martin évoque d’ailleurs les retombées scientifiques de ce périple sur les voyages de la Commission scientifique du Nord, en Laponie, un siècle plus tard, sous la direction de Paul Gaimard.
En 1735, l’Académie des sciences décida de d’envoyer deux expéditions pour établir le degré du méridien afin de mettre un point final à la célèbre querelle qui opposait les cartésiens guidés par la famille Cassini, soutenant que la Terre aurait été allongée aux pôles, aux newtoniens, convaincus de l’écrasement de la Terre aux pôles. Une première expédition, dirigée par La Condamine, fut envoyée au Pérou, pour mesurer le degré du méridien à l’équateur, la deuxième, dirigée par Maupertuis, se tourna vers la Laponie suédoise. Pourquoi ce choix ? Les bonnes relations diplomatiques entre la France et la Suède permettaient aux chercheurs de travailler dans les meilleures conditions, soutenus par le milieu scientifique local, représenté par l’astronome Anders Celsius, et dans le souvenir de l’accueil de Descartes à Stockholm par la reine Christine, souvenir qui ne devait pas déplaire au « clan Cassini ». Enfin, la Laponie aurait offert des cieux dégagés de nuages et des superficies glacées et lisses, idéales pour certaines mesures. Deux points d’observation furent choisis par les savants : le clocher de l’église de Tornio et un observatoire construit sur une colline près de Pello.
Le voyage de Maupertuis et des savants qui l’accompagnaient fut un succès qui fit la une des chroniques parisiennes dès leur retour en France, pas seulement grâce à la solidité des recherches scientifiques. Maupertuis mit en place un plan de communication digne d’un attaché de presse moderne. Il savait parler aux différents publics et aux différents niveaux culturels et sociaux. Il adapta ses discours et publications pour donner le maximum d’ampleur à son exploit et à ses résultats, avant et après son expédition.
Depuis la Laponie, le savant avait commencé son opération publicitaire avec une lettre adressée à Mme de Verteillac, dans ce style des lettres savantes si typiques de l’Âge des Lumières. Dans ce texte écrit depuis Pello, le voyageur montre une Laponie sauvage et barbare, en utilisant un langage galant et libertin pour se moquer non seulement du pays qui accueille son expédition, mais également de la mondanité des salons parisiens et de sa destinataire. L’ironie qui caractérise la lettre met quand même l’accent sur quelques détails de la vie quotidienne des savants et, surtout, se termine sur les premières allusions à ses conquêtes amoureuses. « L’affaire des deux Lapones » va bientôt exploser dans toute sa coquetterie : une jeune fille lapone, Christine, aurait été séduite par le savant et elle l’aurait suivi à Paris en compagnie de sa sœur. Voltaire s’en mêle, Mme de Graffigny s’en mêle et l’affaire non seulement fait du bruit dans les salons, mais contribue à médiatiser l’expédition, qui devient sujet courant pour tout le monde. Dans la réalité, on ne sait pas trop qui avait séduit la jeune fille en question, qui finira ses jours (tout comme sa sœur) dans un couvent français. Les sœurs « lapones » n’étaient pas lapones, mais deux demoiselles de la bourgeoisie de Tornio, mais leur aventure a contribué de manière très forte à confirmer, entre autres, le mythe de « l’hospitalité féminine lapone ».
Du point de vue scientifique, Maupertuis opéra un autre coup de maître à son retour : aucune information sur les résultats ne filtra à la presse entre l’arrivée à Paris des membres de l’expédition, le 20 août 1737, et les deux séances à l’Académie des sciences : la première, privée, le 28 août, et la deuxième et la plus importante, car publique, le 13 novembre. C’est là que Maupertuis lut son Discours officiel, relatant les conditions du voyage, les difficultés du travail dans un environnement hostile et surtout les résultats, si innovants et importants. La relation de Maupertuis présenta également les premières mesures sur les températures à l’aide de thermomètres modernes, qui furent pour la première fois introduits en Laponie. Dans son étude, Osmo Pekonen montre comment ces mesures sont crédibles et correctes, même si l’importance que Maupertuis leur donne vise aussi à impressionner le grand public parisien.
Le livre que nous présentent Osmo Pekonen et Anouchka Vasak est une très belle étude, du point de vue scientifique et littéraire. Le fait de réunir enfin en un seul volume les textes de Maupertuis sur le voyage en Laponie non seulement aide le chercheur, mais permet aussi une comparaison immédiate entre les différentes œuvres du grand savant de Saint-Malo, dont l’expédition lapone est un modèle dont on devrait s’inspirer aujourd’hui : « Pour une des premières fois dans l’histoire, une expédition coûteuse était financée par l’État pour résoudre une question scientifique, celle de la figure de la Terre, sans la moindre arrière-pensée de conquête militaire ni de mainmise coloniale. Mieux encore, pour une des premières fois également, plusieurs couronnes ont collaboré pour organiser et financer un projet scientifique international. […] C’est une belle histoire qui peut encore faire rêver » (Osmo, Pekonen, p. 57).
Quatrième de couverture
Une savante polémique divisa les scientifiques du Grand Siècle et se prolongea au siècle des Lumières. Quelle est la « figure » de la Terre ? Est-elle ronde comme une sphère parfaite, aplatie aux pôles comme une mandarine, ou oblongue comme un citron ? Newtoniens, qui s’appuient sur le principe de la gravitation universelle, et cartésiens, qui défendent la théorie des tourbillons, s’opposent… jusqu’à ce que l’Académie royale des Sciences décide d’envoyer deux expéditions pour mesurer in situ les degrés des méridiens les plus éloignés l’un de l’autre. La première expédition, conduite par La Condamine, gagne l’Équateur au Pérou en 1735. La seconde, l’expédition de Pierre Louis Moreau de Maupertuis, met le cap sur le Nord l’année suivante et se rend pour un hivernage scientifique en Laponie suédoise.
L’expédition de Maupertuis, qui réunit quatre autres académiciens français et l’astronome suédois Celsius, est un succès, même si ses résultats seront contestés. Maupertuis est désormais l’homme qui a aplati la Terre… Mais au prix de quelles aventures ! Dès son retour, il rend compte de son épopée devant l’Académie royale des Sciences et publie La Figure de la terre en 1738.
C’est le récit de cette épopée, avec les principaux textes de Maupertuis lui-même, que nous publions aujourd’hui.
Référence électronique
Alessandra ORLANDINI CARCREFF, « Maupertuis, attaché de presse de lui-même ! », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Septembre / Octobre 2016, mis en ligne le 16/07/2018, URL : https://www.crlv.org/articles/maupertuis-attache-presse-lui-meme