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Calèches et voiliers, locomotives et paquebots : l’urbanisation, le capitalisme et la Révolution industrielle voient les rythmes des transports s’accélérer et la mondialisation s’accroître au XIXe siècle. Amélioration des routes, vitesse et confort font peu à peu disparaître certaines formes de voyage et en naître de nouvelles, ces déplacements devenant en outre planétaires du fait de la colonisation et des grands mouvements migratoires.
Occupant désormais une place centrale au sein de la constellation des médiums qui peuvent véhiculer des représentations fictionnelles du passé, les séries télévisées constituent ipso facto l’un des principaux passeurs de l’imaginaire historique du XIXe siècle à l’heure actuelle. Certes, le XIXe siècle n’a pas l’exclusivité d’être mis en scène par les séries, lesquelles nous emmènent visiter toutes sortes d’époques, de l’Antiquité avec Rome (BBC/HBO/Rai 2, 2005-2007) au futur avec la franchise Star Trek en passant par les années 1960 avec Mad Men (AMC, 2007-2015). Il faut cependant constater que de la toute fin des années 1790 d’un côté – Beecham House (ITV, 2019) ; La Révolution (Netflix, 2020-) ou encore tous les téléfilms qui inscrivent leur action dans une France post-napoléonienne comme Ardéchois, cœur fidèle (ORTF, 1974) – au tournant du XXe siècle de l’autre – pensons à toutes les séries relevant d’une forme de science-fiction néo-victorienne, par exemple The Nevers (HBO, 2022) ou 1899 (Netflix, 2022) – , le XIXe siècle se déploie de manière massive, et surtout dans tous les genres, du thriller au mélodrame en passant par le fantastique. Plusieurs facteurs expliquent cette profusion des formes de la dix-neuviémité à l’écran ainsi que sa plasticité générique.
Tout d’abord, les séries ne font que poursuivre les tendances au recyclage postmoderne et à la « rétromanie[1] » de la culture populaire auxquelles on assiste depuis les années 1960, particulièrement avides de revisiter le XIXe siècle, d’abord avec le roman néo-victorien[2], puis avec les comics métafictionnels de type steampunk[3]. L’époque victorienne est en effet particulièrement malléable aux effets d’anachronisme et de créativité (trans)fictionnelle. Les séries, faisant preuve d'un solide appétit pour l’absorption et la création de contenus toujours plus abondants – notamment par la multiplication de leurs canaux de diffusion –, constituent ainsi de bons moyens de perpétuer les archétypes et les personnages emblématiques du XIXe siècle, qu’ils soient historiques ou littéraires. Envisagée comme la matrice des genres fictionnels modernes, l’époque victorienne peut ainsi apparaître comme un réservoir infini de figures à réactualiser grâce à l'amplitude des séries, aussi bien sous forme d’adaptations que d’expansions et d’extrapolations. Le voyage compose souvent l’une des modalités de renouvellement d’un récit déjà largement repris et adapté, s’engouffrant dans les brèches textuelles d’un récit, comme c’est le cas du refuge que trouve la créature de Frankenstein dans le Grand Nord, détourné par la série Penny Dreadful (ITV/Showtime, 2014-2017).
Deuxièmement, les séries, avec leurs formats longs et leurs structures feuilletonnantes, renouent avec l’art du récit des roman d’aventures, phénomène éprouvé dès les feuilletons produits par l’ORTF dans les années 1960 comme Rocambole (1963-1964), Les Compagnons de Jéhu (1966) ou Les Habits noirs (1967). Récits emboîtés, retours en arrière, cliffhangers, ajout constant de personnages : les séries sont friandes de ces constructions fournies par les romans du XIXe siècle, ceux de Féval, Ponson du Terrail ou Dumas. Architectures chorales, incursions dans les backstories des personnages, épisodes standalone : les séries télévisées usent ainsi de tous leurs ressorts pour donner un souffle contemporain aux caractéristiques d’une culture sérielle dont elles sont les héritières. Les possibilités matérielles qu’offre chaque décennie pour filmer un certain nombre de séquences archétypales et spectaculaires, comme des chevauchées, des duels ou des scènes de bal, constituent autant de défis aux producteurs pour réaliser de nouveaux tours de forces techniques ; parmi ces topoï, les scènes de transport ou de voyage sont tout à fait attendues. À l’heure où chaque expérience peut être partagée de manière instantanée à travers le globe, ce sont aussi certains durées longues que peut faire ressentir, en particulier, la mise en scène des voyages dans les séries. Le format sériel peut ainsi renouer avec tout un imaginaire et une culture médiatique du XIXe siècle, ceux du roman-feuilleton, du carnet de voyage, du journalisme de grand reporter.
Enfin, les séries s’intéressent peut-être particulièrement au XIXe siècle en tant qu'ère des bouleversements de la maîtrise du temps. Elles se conçoivent comme des loupes, dilatant nos regards vers le passé, lequel fait l’objet d’un examen contemporain à l’aune d’une histoire des échanges mondialisés[4]. Les séries trouvent dans cette période de multiples représentations possibles d’une modernité en train de se faire, ainsi qu’un métadiscours sur les grandes transformations historiques, car si le temps est « la matière vive de l’histoire, […] les historiens n’en ont jamais eu le monopole[5] ». C’est notamment dans la réinvention perpétuelle des chrononymes, comme « Régence », « époque victorienne » ou encore « Belle époque » que les représentations fictionnelles du passé font œuvre, et parmi ces dernières, celles qui mettent en images les mobilités sont sans doute particulièrement vitales. C’est que les projections sur toutes ces formes de voyage du XIXe siècle que perpétuent les séries, pour certaines devenues quasi mythiques (quête de la source du Nil, premiers trajets sur les lignes de l’Orient-Express, croisières transatlantiques, ruées vers l’or et traversées du Sahara), en disent long sur la manière dont nous « faisons époque ».
Un exemple de cette dynamique est la récente adaptation du Tour du monde en 80 jours de Jules Verne en série (BBC One, 2021-), car elle illustre le renouvellement des fictions de type « drame historique » auquel on assiste depuis quelques années. Les personnages sont à la fois plus divers que dans le roman (une jeune journaliste se joint à l’expédition [Leonie Benesch]) et dotés de psychologies plus complexes, y compris le flegmatique Phileas Fogg (David Tennant) dont on nous dévoile, à coups de structures analeptiques, le passé sentimental trouble, et Passepartout (Ibrahim Koma) dont le récit personnel est marqué par une forte dimension (post)coloniale. La série se présente ainsi moins comme une histoire sur le voyage que sur le temps : l’impératif du « contre la montre » est redoublé par des motifs tout à fait cinématographiques de jeu avec la chronologie linéaire des images d’aventures (slow-motion, séquences « en temps réel ») et celle des souvenirs traumatiques des personnages, tout en inscrivant de nombreux symboles visuels du temps industriel : le générique, dont la bande-son est signée Hans Zimmer, martèle des sons de cloche réguliers, et figure des silhouettes évoluant parmi de multiples rouages et pistons d’horlogerie qui célèbrent ce temps mécanique imposé à la marche du monde.
L’horloge du générique du Tour du monde en 80 jours évoque celle de Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985), qui elle-même fait écho à l’un des voyages mythifiés par la littérature du XIXe siècle, celle dans le temps (H.G. Welles). Il est vrai qu’en tout premier lieu, ce sont bien des périples dans le passé qui nous sont donnés par les séries, de la Régence au tout début du XXe siècle. On peut d’ailleurs opérer des parallèles entre escapade dans le passé et découverte érudite d’un ailleurs géographique. Les séries, ainsi que leur paratexte, nous offrent parfois de véritables « mini-documentaires », façon Discovery Channel ou National Geographic. Dans son édition en DVD, la série Penny Dreadful contient de nombreux bonus qui visent à documenter différents aspects, sur un mode à la fois ethnologique et sensationnaliste, du Londres des années 1880, tout en jouant avec les codes qui constituent la figure de l’explorateur professionnel, ce nouveau profil de voyageur venu du XIXe siècle, muni de ses outils et correspondant avec des sociétés savantes[6].
Le rapport entre temps et espace peut aussi s’observer dans la manière dont les séries font parfois œuvre d'« uchronie », nous faisant par exemple déplacer dans un XIXe siècle alternatif ou contrefactuel. Tel est le cas de Bridgerton (Netflix, 2021-), qui nous montre une Régence dans laquelle les Noirs sont parvenus au sommet de l’aristocratie anglaise, ou bien Carnival Row (Amazon, 2019-) qui oscille entre un monde de type tolkénien – avec créatures magiques et territoires prétechnologiques – et un univers urbain inspiré du Londres de l’époque victorienne : dans cette dernière série, le voyage (expédition guerrière, exil) est ainsi ce qui permet de naviguer entre les deux.
Du trajet hippomobile au paquebot, ce sont les modalités mêmes de déplacement qui impriment des dispositifs narratifs, entre huis clos favorisés par des voyages en train dans certains épisodes de séries policières comme Les Enquêtes de Murdoch (CBC, 2008-) et rythmes accélérés, course contre la montre ou arrivée de la jeune fille dans une grande ville (toujours semée d’obstacles et d’imprévus) dans des séries de formation comme Dickinson (Apple TV, 2019-2021) ou The Gilded Age (HBO, 2021). Cliché télévisuel, le trajet en calèche permet aussi le développement de nombreuses intrigues – confidences, érotisme, chutes à la descente donnant lieu à des gags et des gimmicks – tout en contribuant à un important effet de recyclage de tropes et de motifs littéraires. C’est ainsi que l’article d’Hélène Dubail analyse cet archétype de la mobilité dans les séries « Austenmania » que sont Orgueil et préjugés (BBC, 1995) et Bridgerton, ainsi que dans Poldark (BBC, 2015), en établissant plusieurs fonctions de ces riches scènes narratives et sémiotiques. Comme elle le souligne, si de la densité informative au cliché, il n’y a souvent que très peu de différences, c’est bien parce que la scène de transport contient une dimension intrinsèquement efficace : il s’agit de dépayser le spectateur, tout en lui donnant une impression de familiarité pour ne pas le perdre ; il s’agit de donner un maximum d’informations, tout en allant vite dans la conduite des évolutions émotionnelles des personnages et sans noyer le champ visuel de détails.
Le voilier aussi peut être interprété à l’aune de cette collaboration entre archétype visuel et élaboration de dispositifs narratifs et génériques singuliers. Ce dernier peut se transformer en véritable navire de l’horreur : la macabre traversée de la Manche par un Dracula hautement métafictionnel est ainsi examinée par l’article de Stella Louis portant sur la minisérie en trois parties Dracula (Netflix, 2020). Elle montre comment l’épisode intermédiaire (intitulé avec brio « Vaisseau sanguin » [« Blood Vessel »]), qui prend part dans le huis clos terrifiant du Déméter, vient combler une lacune dans la matière fictionnelle vampirique, puisque le voyage de Dracula en Angleterre fait l’objet d’une ellipse chez Bram Stoker, logique tout à fait en phase avec le projet souvent transfictionnel de ces séries dites « Brit Lit Spin-Off ». La figure de Dracula, dans cet épisode, se nourrit (c’est le cas de le dire) de tous ses nombreux apports médiatiques et culturels, le voyage en bateau devenant également une traversée des intertextes vampiriques. Ces deux articles traitent ainsi cette dimension à la fois très intertextuelle et pourvoyeuse de multiples ressorts narratifs du moyen de transport.
Le voyage peut aussi être thématisé sous la forme d’un retour initial, permettant de construire un héros (ou une héroïne) à la personnalité complexe. Le personnage de ces séries revient souvent d’ailleurs, qu’il soit un ancien explorateur, un colon ou un vétéran : c’est le cas de Taboo (BBC, 2017) et de Poldark qui montrent comment l’altérité géographique ressurgit sans cesse dans la série via la mise en scène d'un passé traumatique. Les séries steampunk emploient des figures de mercenaires et de globe-trotteurs, non sans référents historiques précis, comme celle à l’expédition pour trouver la source du Nil dans Penny Dreadful ou à l’aventurier Joseph-Elzéard Bernier dans Les Enquêtes de Murdoch. Quant à l’héroïne, elle peut, de la même manière que cela a été rappelé, arriver en ville en tant que jeune fille, mais c’est aussi tout un apprentissage que la femme s’installant à la campagne va devoir accomplir, se heurtant à un monde de préjugés et devant composer avec un nouvel environnement social (Gentleman Jack, BBC One, 2019-2022). Plus rarement, une femme seule s’embarque pour des contrées lointaines, en quête d’aventures et de réussite : dans The Luminaries (TVNZ, 2020), une orpheline part pour la Nouvelle-Zélande alors en pleine ruée vers l’or.
Même lorsque les séries situées au XIXe siècle ne présentent pas à proprement parler de voyage, elles évoquent l’altérité culturelle, parce que des villes comme Londres ou New York sont dès cette époque des villes cosmopolites, où des quartiers comme l’East End et Five Points avec leurs immigrés irlandais et est-européens, ou Chinatown, fournissent une infinie matière d’exploration pour les personnages. L’incursion dans les bas-fonds relève de la véritable expédition ethnographique doublée de la nécessité d’enquêter sur des actes abominables : c’est ce que met en scène la série L’Aliéniste (TNT, 2015-2018), analysée par l’article de Sophie Le Hiress, qui décrit également la manière dont cette production offre un « voyage » dans les débuts de la psychiatrie et de la criminologie, alors que le thème du voyage « spirite » avec Allan Kardec, Victor Hugo et Arthur Conan Doyle ne cesse de parcourir toutes ces séries néo-victoriennes via des épisodes reproduisant des séances et des visions de l'au-delà. Les mystères du psychisme humain fournissent un éventail de figures spatiales et géographiques, ce que Sophie Le Hiress examine surtout du point de vue d’une mise en scène de l’urbanité dans cette série : les labyrinthes obscurs des rues de New York sont anthropomorphisés, et les méandres qui composent les cerveaux des criminels sont envisagés comme des terrae incognitae pour le personnage de psychiatre-détective.
Les motifs associés au voyage qui sont à l’étude dans ce numéro sont utilisés par les séries pour circuler dans un imaginaire ouvert et mondialisé du XIXe siècle. Les séries peuvent en effet attacher davantage d’importance aux colonies, aux personnages venus d’autres sphères géographiques que l’Europe occidentale, ou bien à diverses communautés culturelles au sein même de l’hémisphère septentrional : Tsiganes et peuples autochtones d’Amérique, régions rurales ou minorités linguistiques sont ainsi représentées par les séries qui récupèrent certains lieux communs de la littérature du XIXe siècle. Les séries peuvent aussi s’intéresser, de façon plus ou moins stéréotypée, à des groupes marginalisés, comme avec Dr Quinn, femme médecin (CBS, 1993-1998), analysée par l’article de Karine Bertrand. La série, de type western, donne en effet à l'héroïne éponyme (Jane Seymour) la capacité d’arpenter un territoire américain (abondamment construit par l’imaginaire cinématographique) et d’aller à la rencontre de multiples groupes ethniques. Bien qu’une certaine naïveté infuse souvent ces représentations, la série contribue, dans les années 1990, à échafauder l’image d’une femme mobile et en quête de sens individuel dans les grands espaces américains, en récupérant notamment certains imaginaires du road movie. Cette série, ainsi que d’autres, plus anciennes, ont pu proposer des visions de certains espaces géographiques de manière à la fois riche et archétypale en se nourrissant d’imaginaires très importants dans une culture nationale déjà fortement établie par la littérature et certains impératifs médiatiques. Ces mêmes dimensions peuvent parfois expliquer, à l’inverse, des perspectives de voyage sans cesse esquivé : l’article d’Isabelle-Rachel Casta montre ainsi la manière dont la série Les Habits noirs (ORTF, 1967), adaptation du roman de Paul Féval (1875), possède pour horizon une Corse mériméenne, mais escamote finalement la plupart des visualisations concrètes du voyage par effet de conformité aux modèles télévisuels de l’époque, alors marqués par les péripéties de Rocambole. Ce sont plutôt des « signes du voyage » de l’époque de la Restauration, surtout entre Paris et Caen, à l’intérieur de la capitale et entre divers châteaux et autres lieux où la lutte contre une société secrète se poursuit, que le feuilleton exhibe, dans un art télévisuel que la critique a pu récemment redécouvrir et saluer.
Coproductions internationales, diversité géographique des lieux de tournage, réappropriations étrangères d’œuvres littéraires d’une nation donnée : beaucoup de séries sont elles-mêmes des produits de l’accélération des échanges, visant à conquérir des publics toujours plus mondiaux. D’une manière tout à fait massive, les séries anglophones situées dans le XIXe siècle relèvent très souvent d’un imaginaire transatlantique : Copper est ainsi l’une des premières séries réalisées par BBC America (2012-2013), la chaîne britannique ayant mis son savoir-faire en matière de drames historiques au service d’un récit policier situé dans le New York des années post-guerre de Sécession ; et l’incontournable Sir Jullian Fellowes, créateur de Downton Abbey (ITV, 2011-2015) a été invité à exporter son art du soap opera costumé en créant une production pour HBO située à New York en 1882, The Gilded Age.
Dagmar Schmelzer et Melanie Schneider analysent les diverses formes de voyage dans La Templenza (Amazon Prime, 2021), série espagnole qui retrace une sorte d’archéologie de la mondialisation capitaliste et des rapports entre Europe (Angleterre, Espagne) et Amérique (Mexique, Cuba) via une insistance portée aux significations économiques du train et du bateau, mais qui, là aussi, relèvent finalement plutôt d’impulsions contre-narratives. Encore une fois, si les personnages des séries situées au XIXe siècle voyagent, ce ne sont pas tant les séquences de transport qui se révèlent intéressantes à l’examen que les affects contemporains attachés à la vision d’un passé mobile, quoique attaché à l’image du retour au pays natal. De même, c’est bien au niveau de la production que La Templanza fait œuvre de cosmopolitisme, sans nul doute accéléré par la diffusion sur les plateformes de streaming.
Matteo Watzky nous présente la manière dont Sanzenri, une série animée japonaise de 1976, s’empare d’un matériau littéraire européen, dans la tradition des meisaku (adaptations, en animés japonais, de classiques de la littérature de jeunesse occidentale) en l’occurrence d’après un récit issu du roman Cuore (1886) d’Edmondo de Amicias qui raconte le grand mouvement de migration depuis l’Italie jusqu’à l’Amérique latine. Le fait que la série soit une série d’animation revêt toute son importance, et c’est de fait également en termes de contraintes (mais aussi de liberté) de production que Matteo Watzky analyse le travail de représentation d’aires géographiques lointaines (une triade Italie-Amérique-Japon), qui plus est situées à une époque distante, notamment en étudiant certaines traces de ce travail de médiation, et en élucidant certains recours à des esthétiques plurielles comme le cinéma néoréaliste italien.
Une série comme Le Tour du monde en 80 jours met, elle aussi, cette dimension mondiale des séries au premier plan. Coproduction italo-germano-française, mais d’abord diffusée par les chaînes britannique et américaine BBC et PBS, avec un casting très européen, elle a été filmée dans de nombreux endroits pendant l’année 2020, principalement en Afrique du Sud et en Roumanie, et ce au gré des aléas de la pandémie de Covid-19. On peut ainsi noter une symétrie intéressante entre la situation des producteurs essayant de boucler le tournage de la série malgré les nombreux problèmes posés aux voyageurs, entre fermetures des frontières et raréfaction des moyens de transport disponibles, et la course entreprise par Phileas Fogg et ses acolytes pour achever leur tour du monde.
La série a ensuite été diffusée pour la première fois fin décembre 2021, alors que de nombreux pays du globe amorçaient une nouvelle vague de restrictions des déplacements : dès lors, les spectateurs qui n’auront pas pu voyager pendant cette période auront pu, grâce au Tour du monde en 80 jours, se rendre de Londres à Calais en ferry, puis franchir les Alpes en montgolfière et le Canal de Suez en voilier, traverser des déserts à dos de chameau puis des villages indiens à dos d’éléphant, être tirés par un pousse-pousse à Hong Kong, se retrouver dans la mer du Japon sur un radeau de fortune, être ramenés sur les côtes pacifiques des États-Unis par un cargo britannique, puis parcourir l’Amérique en diligence et enfin courir à pieds jusqu’au Reform Club de Londres pour célébrer l’accomplissement de cette épopée.
Les lecteurs de ce numéro d’Astrolabe pourront donc, encore une fois, voyager grâce à la géographie et aux modalités du voyage du XIXe siècle : certes, vus par la télévision, mais tout de même riches d’une variété inédite d’espaces, des Apennins jusqu’aux Andes, en passant par le maquis corse et des châteaux normands, la Manche, les bas-fonds de Manhattan, les beaux quartiers de Londres, la campagne anglaise ainsi que les communautés minières du Mexique et La Havane.
Bonne lecture, et bon voyage.
Jessy NEAU
Centre universitaire de Mayotte / RIRRA21
Notes de pied de page
Simon Reynolds, Retromania : Pop culture’s Addiction to Its Own Past, Londres, Faber & Faber, 2010.
Par exemple, La Prisonnière des Sargasses de Jean Rhys (1966) et La Femme du lieutenant français de John Fowles (1969).
Uchronie d’un XIXe siècle alternatif dominé par la vapeur, le steampunk est une mouvance « rétrofuturiste » : l’époque victorienne et ses machines ont survécu dans la contemporanéité des écrans et des nouvelles technologies. Les comics métafictionnels auxquels il est fait référence sont surtout ceux d’Alan Moore et de Kevin O’Neill, à savoir la série de La Ligue des Gentlemen extraordinaires, parus entre 1989 et 2019.
Voir Bruno Marnot, La Mondialisation au XIXe siècle (1850-1914), Paris, Armand Colin, coll. « Armand U », 2012 ; et Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre : Histoire du Monde au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2017.
Dominique Kalifa, « Introduction : Dénommer le siècle : ‘chrononymes’ du XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, n° 52, Chrononymes. Dénommer le siècle, 2016, p. 9.
Voir Sylvain Venayre, Panorama du voyage (1780-1920). Mots, figures, pratiques, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 241.
Référence électronique
Jessy NEAU, « Voyager dans le XIXe siècle avec les séries. Introduction par Jessy NEAU », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Voyager dans le XIXe siècle avec les séries, mis en ligne le 30/08/2023, URL : https://www.crlv.org/articles/voyager-dans-xixe-siecle-series-introduction-jessy-neau
Table des matières
Voyager dans le XIXe siècle avec les séries. Introduction par Jessy NEAU
Transports et clichés : Voyager dans l’Angleterre du premier XIXe siècle
Sur le « vaisseau sanguin » de Dracula (Netflix, 2020) : Déplacements du vampire et voyage du spectateur entre les mondes de la fiction vampirique
« We set out to find a monster, but all we found was a wounded child » : Voyage dans le psychisme des criminels dans The Alienist
Mobilité et féminismes dans la série télévisée Dr. Quinn, Medicine Woman
Fuir pour revenir : le voyage esquivé dans Les Habits noirs (Jacques Siclier)
Le monde marche. Voyage, mondialisation et splendeurs cosmopolites de la haute société dans la série La Templanza
3000 Lieues à la Recherche de Marco Transferts et déplacements de Cuore à Haha wo Tazunete Sanzenri