L’insularité sous l’œil du pouvoir : Le voyage en Corse au regard de la cartographie insulaire (1531-1634)

 

« À Genova quest’Isola è cagione
Ch’ogn’uno estima ch’ella sieda, e stanzi
Nel Ligustico mar come Bastione
E che formò Natura il corso lito
Per guardar di Liguria ogni bel sito »

Giulio Vertunno, Viaggio et possesso di Corsica, 1558

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le voyage en Corse tel qu’il est vécu par nos contemporains, est d’une facture relativement récente tant dans sa réalité géographique, culturelle ou humaine, que dans les formes d’expression littéraire qu’il a pu susciter. Cela est d’autant plus vérifiable si l’on donne au « voyage en Corse » l’acception qu’on lui prête aujourd’hui, assez proche d’un dilettantisme, d’un déplacement d’agrément voire d’une activité touristique supposée satisfaire un goût pour la nature, pour la découverte. Cette maturité tardive du voyage dans l’Ile – ou plutôt immaturité devrait-on dire, du fait qu’il perde un peu de sa noblesse –, a été largement atermoyée par l’influence d’une histoire régionale très chaotique.

Si l’on remonte d’abord au XIXe siècle, la Corse généralement perçue comme une terre pittoresque, peuplée de bandits d’honneur, de vendette et de brigands[1], est sillonnée par de « grands » voyageurs. L’adage selon lequel le voyage sert à former les élites se vérifie pleinement : grâce au romantisme et au goût de l’Orient, il n'est pas un lieu plus fréquenté que la Corse, tant il est vrai par exemple que de 1801 à 1901, période que l’on peut considérer comme étant l'âge d'or du voyage dans l’île, plus de 300 voyageurs de nationalités diverses, des historiens, des géographes, des écrivains, des essayistes, des romanciers, jouent les aventuriers de bibliothèque ou bien posent réellement leur pied dans l’un de ses ports, généralement Ajaccio ou Bastia.

Autant cela est-il vrai pour Gustave Flaubert, qui embarque à Toulon pour Ajaccio le 5 octobre 1840 afin de découvrir un Orient à la mode, qui le fascine à travers ses nombreuses lectures – on songe à Prosper Mérimée, mais aussi Hubert Lauvergne, ou à des revues en vogue comme la Revue des Deux Mondes, la Revue de Paris, et la revue du Globe qui faisaient la part belle à de nombreux récits sur la Corse et ont contribué à ancrer tout un imaginaire encore présent de nos jours dans l'inconscient collectif.

Autant cet adage se vérifie un peu moins chez Honoré de Balzac, qui dans sa correspondance avec Ewelina Hanska, du 26 mars 1838, lui écrit avec enthousiasme qu’il se rend « aux affaires » dans le sud, avec l'espoir de faire fortune grâce à la découverte de gisements miniers en Corse. Si Balzac lorsqu’il arrive sur place, n’est pas ébloui par la pauvre baraque où naquit Napoléon Bonaparte, ni d’ailleurs par la sécheresse intellectuelle des salons ajacciens, il est ému en revanche par les intérêts pécuniaires, très conscient des revenus qui découleraient de l’exploitation forestière d’une île pourvue d’« immenses richesses [naturelles], comme le sol tout à fait ignoré, où il peut y avoir les plus belles mines du monde[2] ».

 

Si l’on remonte la chronologie de l’histoire bien avant le XIXe siècle où la Corse évoquait pour les uns l’orientalisme et le dépaysement romantique, ou bien pour les autres la voracité face à un tel éden inexploité, on constate que cette île, aussi loin que l’on aille, est le siège d’un monde complexe aux révolutions historiques rapides et fortes, et que son histoire relève plutôt d’un rapport permanent à l’économie et au pouvoir. Ceci se vérifie depuis les pages des tous premiers récits de voyage en Corse, comme par exemple en 1531 le Dialogo nominato Corsica de monseigneur Agostino Giustiniani évêque du Nebbiu, jusqu’à des textes récents comme celui d’Ernst Jünger publié en 1984, Soixante-dix s’efface, où l’auteur émet la crainte que la Corse ne devienne une grande véranda estivale faussement épanouie par un tourisme de masse[3].

La première raison principale est que depuis la création des comptoirs phocéens en plaine orientale, comme Alalia (Aleria) en 565 av. J. C., auxquels firent suite les Étrusques, les Romains, les Sarrasins, les Génois, etc. la Corse est d’abord victime, avant d’être maîtresse, de sa situation géographique : elle constitue un avant-poste incontournable pour les puissances maritimes désireuses d'asseoir leur pouvoir en Méditerranée, au même titre – et c’est la seconde raison principale – que ses ressources naturelles sont perçues comme des réserves économiques à exploiter, qui se voient soupesées et estimées dans une pure tradition à la fois martiale et mercantile.

Il semble que ce soit dans un tel contexte d’ambitions méditerranéennes, et plus particulièrement à compter de la fin du XVe siècle et au XVIe siècle, que l’on voit s’affiner les représentations cartographiques de l’île, ou plus précisément chorographiques, que l’on pourrait définir comme étant le « portrait au vif[4] », l’instantané d’une région particulière, capable d’en montrer la spécificité et les ressources. D'abord pour la maîtrise de territoires d’influence : les cartes nautiques ou portulans[5] de la Corse sont destinés principalement à la pratique des navigateurs en Méditerranée. Mais la cartographie évolue rapidement à l’intérieur des terres, à cause de ses diverses fonctions, de ses motivations, de ses modalités. Dans le sillage d’Henricus Martellus, géographe nurembourgeois installé à Florence,à qui l’on attribue[6] la première carte moderne datée de 1447 et qui inaugure le goût des premiers Humanistes pour les Isolarii, les cartographes commencent à mettre à jour les informations de la Corse antique de Ptolémée avec leurs propres relevés littoraux, afin de dresser les premières cartes modernes, qui donnent des informations de plus en plus fidèles sur le tracé des côtes. On ressent clairement un effet de rupture : les cartes nautiques ne suffisent plus, et c’est alors l’intérieur de l’île et non plus le littoral, dont on décrit de mieux en mieux les aspects : ses reliefs, ses cours d’eau, ses forêts, ses lieux d’habitation, ses ports et ses cités, et aussi le nombre d’habitants (les case ou feux). À cette période de l’histoire, la Corse est sous l’influence de l'une des plus grandes puissances navale et financière de Méditerranée : la république de Gênes exerce son ascendant à travers une magistrature appelée Magistrato di Corsica. C’est seulement en 1768 que la Corse est cédée à la France par l’entremise du traité de Versailles[7], après 400 ans d’influence génoise.

L’« objectif du retour »

La possession de la Corse est indissociable d’une stratégie qui la dépasse largement, et qui l’inscrit au sein d’un échiquier méditerranéen. Afin de gouverner les principales voies maritimes de Méditerranée, il faut que Gênes gouverne la Corse. Il faut donc que Gênes repense un monde « sauvage » dans le sens où ce monde doit porter la marque de sa société. Il faut qu’elle y trace des cartes afin de ne pas se perdre dans le labyrinthe du maquis[8]. La cartographie contribue pleinement à la mise en place du pouvoir dans les cercles génois, lesquels ont une vision de conquête et de rationalisation du territoire. Mais pour cerner la Corse, la mise en cartographie ne doit pas être seulement celle des frontières, la mer Ligure, la Tyrrhénienne et la Méditerranée, qui la bordent naturellement. C’est la raison pour laquelle Gênes s'engage dans un processus d’inventaire des biens et des ressources afin de pouvoir l'exploiter d’une part à sa juste valeur, et d’autre part à ses justes attentes.

C’est ainsi que survient une évolution dans la perception du territoire insulaire, perception que résume assez bien une lettre de Louis de Requesens adressée à Gonzalo Peres en 1565, alors que ce dernier est ministre de Philippe II, roi d’Espagne[9]. C’est en fait une corne d’abondance que dessine le littoral corse et l’intérieur mal connu de ses reliefs : Gênes alliée de l’Espagne[10] est empêchée dans tous ses projets de développement agricole ou urbain, par l’étroit bout de terre ligure où elle parvient de moins en moins à assurer ses besoins. La Corse est quant à elle un territoire quasi vide d’hommes, aux ressources inexploitées et qui sont à valoriser, un peu dans le sens où l’on pourrait y établir un ordre social de la République génoise.

La valorisation de ce territoire va s’opérer sous certaines conditions[11] ou plutôt sous certaines contraintes, qui ressemblent fort à l’implantation d’un projet agricole, sylvicole et politique au détriment des intérêts propres de l’île ou de ses habitants. Que peut faire d’ailleurs l’opinion publique des Corses puisqu’elle n’est au départ pas au courant des desseins projetés par l’élite génoise de remplacer une civilisation agro-pastorale par une civilisation urbaine, dominée par l’esprit mercantile et par les lois du commerce ? Fondamentalement, une incompatibilité d'humeur sépare en outre les Corses des Génois, et Jean Du Bellay nous la livre à travers ces propos : « Les Corses  estiment marcadants et canailles les Gênois auprès d’eux qui se disent nobles[12] ». Dans sa gestion de la chose publique, Gênes vient ainsi à œuvrer en défaveur du peuple insulaire en imposant une sévère ligne de conduite. Le prétendu maintien de l'ordre social s’établit d’une part avec la répression populaire, et d’autre part avec la collecte d’impôts très lourds.

 

À cela s’ajoute le fait que la Corse devient un lieu d’expéditions militaires, nouvel argument en faveur du développement de la cartographie. Lorsqu’éclate la conquête franco-ottomane de la Corse en 1553, François 1er et Soliman le magnifique ont signé un traité d’alliance contre les Habsbourg et contre l’Espagne. Les troupes françaises débarquent alors à Bastia, appuyées par les troupes ottomanes et par des exilés corses afin de reprendre l’île à Gênes : car affaiblir cette dernière revient en effet à porter un coup à la rivale espagnole. Ainsi on progresse depuis le XVIe siècle où la Corse se trouve dans un état de guerre quasi permanent du fait des concurrences géostratégiques entre la république de Gênes et la France, mais aussi en raison des pillages barbaresques et des luttes internes qui la déchirent, jusqu'au début du XVIIIe siècle où nous assistons à une évolution franche dans la façon d’appréhender le microcosme insulaire, et tout particulièrement dans la signification même de ce qu’est un voyage en Corse.

Dans quel contexte prend place cette cartographie naissante de la Corse, et surtout qu’émerge-t-il au carrefour des pratiques d’expression narratives de la connaissance – les récits de voyage, les chroniques – et des pratiques d’expression picturales ? C’est une question que l’on peut légitimement poser.

De la dimension narrative à la dimension descriptive : ébauche d’une littérature géographique

Au XVIe siècle, le voyageur en Corse se fait très rare, en fait les principaux voyageurs sont les pirates nord-africains, les barbaresques, qui pillent, qui tuent et ramènent en esclavage jusqu’en Algérie, en Turquie ou au Maroc, les populations autochtones. On les nomme les Turchi di Barbaria (les « Turcs de Barbarie ») depuis 1516, date de l’intervention ottomane au Maghreb central. Cette période particulièrement trouble est en outre émaillée d’affrontements pour le pouvoir territorial, de guérillas ou de confrontations sanglantes qui scandent le quotidien insulaire : le brigandage maritime et l’acte de piraterie établissent une zone constante d’insécurité, à laquelle Gênes, en situation d’urgence, répond par le développement de sa flotte et la construction d’un grand nombre de tours de guet le long du littoral (on en dénombre encore 120 en 1730). Les programmes de fortifications et d’implantation de garnisons militaires, surtout dans le nord de l’île, vont eux aussi stimuler et avoir des répercussions sur la production cartographique.

Les témoignages de l’époque signalent une baisse de la population sur les rivages, liée aux pillages de ces « Turchi[13] », lesquels s’inscrivent dans la continuité d’une tradition séculaire puisque par exemple, jusqu’au XIXe siècle on retrouve les traces d’enfants corses qui se font enlever et réduire en esclavage par des pirates algérois, ce qui est le cas d’Abdallah Montera près d’Ajaccio en 1823[14]. La carte de l’amiral turc Piri Reis, qui s’illustre notamment au cours de la guerre en Méditerranée contre Venise, est tracée vers 1525-1526, à l’époque des incursions en Corse, en Sardaigne et en Sicile. Ce routier, guerrier et géographe dresse non seulement la cartographie nautique la plus précise de son époque, qui s’apparente aux portulans italiens, mais encore il précise clairement quel en est l’objectif et l’usage dans la partie introductive de son ouvrage Le Livre de la mer : il "comprend toutes les côtes, les îles peuplées ou désertes, les rivières, les roches à fleur d'eau ou sous l'eau, les bancs de sables ; j'y ai marqué [écrit-il] exactement la situation de tous les ports [...] et les lieux propres à faire des descentes sur les côtes des chrétiens[15] ». À tel point que du côté génois, cette insécurité maritime et littorale qui règne en Corse entraîne une polyvalence de compétences : ce ne sont pas des cartographes génois qui se déplacent dans l’île mais des militaires, des ingénieurs et quand il n’y en a pas, des « maçons, maîtres d'œuvre, menuisiers, artilleurs […][16] » venus faire le tracé et l’inventaire des ressources[17], ce qui porte à dire que le métier de cartographe est « confronté à une réalité multiforme » plutôt artisanale, du fait que « bien peu de ces opérateurs apparaissent à nos yeux comme de vrais topographes ou cartographes[18] ».

Une question se pose alors : à en juger par la relative richesse toponymique qui décrit l’intérieur de l’île dans certaines reproductions du corpus cartographique de la Corse, il faut donc que l’information vienne d’ailleurs. S’agit-il d’informateurs issus de la population locale ? S’agit-il de la littérature de l’époque ?

Que nous parvient-il de l’expression littéraire ? Il apparaît que le contexte historique en Corse contraint fortement la connaissance du territoire insulaire en retardant le passage du savoir de sa dimension narrative à sa dimension descriptive. Tournons-nous d’abord vers les relations historiques sur la Corse aux XVe et XVIe siècle, qui se présentent sous le genre de la chronique, autrement dit la compilation de faits historiques ou sociaux qui marquent la société corse en ce temps. Bien entendu, la langue d’expression écrite reste le latin ou bien le toscan, utilisés dans tous les aspects officiels de la vie quotidienne, puisqu’il est bon de rappeler que la Corse se trouve au sein d’un espace culturel qui englobe l’actuelle Italie, même si cette dernière n’est alors qu’une notion géographique et culturelle.

Il n’apparaît pas que l’exercice d’écriture de la chronique se soit prêté à un travail de description cartographique de la Corse, ni en remontant au XVe siècle à Giovanni della Grossa, ni plus tard chez Monteggiani : leur écriture est généralement faite de notes entreprises au gré de leurs déplacements, de faits qui sont estimés dignes de mention par l’auteur, auxquels s’ajoutent des documents compilés qui présentent des sources d’importance. Les chroniqueurs soulèvent le défi de comprendre l’histoire très trouble de la Corse, pour en jeter sur le papier les événements historiques plus ou moins marquants, les traits de mœurs, les particularismes linguistiques, mais pas la rationalisation territoriale de chaque pieve, susceptible de mieux faire exploiter l’île.

En revanche, l’un des textes fondateurs du récit de voyage en Corse intitulé le Dialogo nominato Corsica, en français le « Dialogue appelé Corse », est écrit par un Génois, l’évêque Agostino Giustiniani. Ce récit prend, au contraire des précédentes chroniques, une dimension géographique voire géostratégique qui le situe de plain-pied dans le contexte de la présence de la République de Gênes sur l’île[19]. Il sera d’ailleurs réécrit et remanié par deux chroniqueurs : Marc'Antonio Ceccaldi, dans son Historia di Corsica, laquelle sera elle-même augmentée et réutilisée par Anton Pietro Filippini, qui s’attribue la totalité des travaux de ses devanciers.

On ne trouve pas dans les autres récits de voyage en Corse au XVIe siècle de considérations versées dans le domaine cartographique, ni chez le Florentin Gabriello Simeoni et ses Illustres Observations antiques (1558), ni chez le Padouan Giulio Vertunno, auteur du Viaggio et possesso di Corsica (1560). Quant au premier récit de voyage en Corse écrit en français, il est assez tardif : Les voyages et observations du sieur de La Boullaye Le Gouz datent de 1653.

Agostino Giustiniani fait partie de la génération d’humanistes versés dans les lettres mais aussi férus de géographie et de sciences naturelles. Il est issu d’une famille patricienne de Gênes, se fait connaître par ses travaux de traduction sur les langues orientales et pour avoir selon ses propres dires, visité presque toute l’Europe. On lui donne en 1518 la chaire de langues orientales au Collège de France à Paris. Puis sur la recommandation de son cousin Bendinello Sauli auprès du pape Léon X, il obtient l’évêché du Nebbio entre 1522 et 1536, privilège réservé exclusivement aux Génois.

Sans que l’on puisse identifier l’original, huit manuscrits différents et différemment nommés du Dialogo nominato Corsica sont aujourd’hui connus, recensés et précisément comparés dans l’étude qu’en donne Antoine-Marie Graziani[20]. Ces copies présentent entre elles des variantes textuelles dues à des passages manquants ou mal transcrits, ainsi que des erreurs de copistes.

Le Dialogo nominato Corsica se présente sous la forme d’un dialogue naturel entre trois interlocuteurs : Silvano, le neveu de l’évêque, Furnio, le chancelier de l’évêché, et Pino un habitant du Cap Corse. Tous trois se répondent dans un style enjoué qui fait quelque peu écho au modèle des Conversations d’Horace[21], du fait qu’ils adressent des critiques ouvertes et font ponctuellement usage de la satire.

Des historiens et chroniqueurs par exemple, les premières lignes du Dialogo nominato Corsica se démarquent clairement, non sans une satire piquante. Elles agissent comme un repoussoir ou selon le terme consacré, un « paratonnerre ». Pino déclare que si l’évêque Giustiniani veut suivre « le style de nombreux historiens modernes, [il] doute qu’il ne dise toute la vérité, parce que l’on ne trouve pas pour notre période beaucoup d’historiens impartiaux. Tous parlent au contraire suivant leurs passions et leurs attachements[22] ». Silvano renchérit en affirmant que l’évêque ne veut pas écrire « l’histoire de la Corse, ni parler de l’ancienneté des Corses, ni dire quels ont été les premiers habitants de l’île, ni faire mention de comment ils ont été dominés par les Païens, par les Romains, par les Mores, les Chrétiens ; l’église romaine, par les Génois, par les Pisans, par le Duc de Milan, par de nombreux tyrans[23] ». Cette énumération fait bien entendu référence aux premières chroniques de la Corse, dont celle de Giovanni della Grossa, que nous citions plus haut[24].

Ainsi Silvano affirme qu’il va transcrire la description de la Corse que son oncle, Agostino Giustiniani, lui a récitée de mémoire (« recitata di mente ») à peu à la manière des aèdes antiques. Et que celui-ci a visité toute l’île, ce qui pour l’époque est assez inédit… nous en avons évoqué plus haut les motifs. L’évêque parle donc « de ce qu’il a vu, et non à partir de relations d’autres[25] ». On note ici combien est importante l’expérience qui consiste à fonder son jugement cartographique in situ, à travers son propre regard, une forme d’interaction visuo-spatiale garante de la domination du territoire, second coup de griffe infligé aux voyageurs de bibliothèque à l’adresse desquels il livre un peu plus loin ces mots. Le second personnage, Furnio, présente Agostino Giustiniani comme un bon cosmographe, qui parlera « de la position de l’île et de tous les lieux particuliers intelligemment[26] ». Ce à quoi répond Pino, afin de souligner le caractère sans doute novateur d’une description cartographique de la Corse au sein d’un récit : « quels sont ces discours que je vous entends tenir [...] au sujet de notre Corse et de je ne sais quels mots étranges et à moi inconnus : cosmographie, chorographie et nésographie ?[27] ».

C’est ainsi que commence le « portrait » de la Corse : divisée selon l’usage médiéval en deux côtés, intérieur et extérieur (dans le texte la banda di dentro qui regarde Rome, et la banda di fuori qui regarde l’Océan), la Corse se trouve scindée dans sa largeur en deux parties inégales, « par une succession de très hautes montagnes[28] » : le Deçà-des-Monts (au nord de la Corse) et le Delà-des-Monts (au sud). Le nord avec ses grandes étendues exploitables vers les pays de Balagne, d’Aleria et de Mariana, est beaucoup plus détaillé et mieux décrit que le sud, espace montagnard et enclavé, qui justifie moins que les Génois y prêtent un intérêt.

 

Pour fixer les différents points de progression de son circuit insulaire (dans le texte circuito), Agostino Giustiniani recense 218 noms de lieux principaux dont la liste, nous dit-il, provient des registres des percepteurs d’impôts, c’est-à-dire des tailles génoises (les taglie), associés au nombre de ducats que chaque feu de village rapporte. Giustiniani nous apprend que ces impôts sont de vingt sous par feu et par an[29], soit une lire.

Les noms de lieux se répartissent en 66 pievi, 45 dans le Deçà-des-Monts et 21 dans le Delà-des-Monts. Les pievi apparaissent dans le texte comme étant des divisions administratives dirigées par un évêché. Il y a 6 évêchés en tout, mentionnés dans cet ordre : Mariana, Nebbio, Sagone, Ampugnani, Aleria et Ajaccio.

Silvano décrit ensuite chacune des parties extérieures et intérieures de la Corse, auxquelles on accède « par mer et par terre » : le littoral de l’île d’une extrémité à l’autre compte 73 lieux remarquables, autrement dit du Cap Corse à Bonifacio, qui sont séparés de soixante-dix miglie de distance. Silvano mentionne, toutes les fois que cela est possible, les miglie qui séparent ces lieux d’un point remarquable du relief, ou encore du bord de la mer. Puis c’est du sud vers le nord que sont recensés 50 principaux noms de lieux, accompagnés eux aussi de leurs noms connexes, des villages, des lieux-dits, rivières ou étangs. La topographie particulière de la Corse fait avancer la description, d’une frontière naturelle à une autre, soit par exemple d’un fleuve à un autre (Golo-Tavignano) ou d’un fleuve à une rivière (Golo-Lavasina).

Dans cette géographie détaillée de l’île, à partir de laquelle on peut établir au fil de la lecture une carte de la Corse, on remarque l’absence des habituels passages narratifs à portée mythifiante[30] que l’on trouve traditionnellement chez des chroniqueurs comme Giovanni della Grossa ou Marc Antonio Ceccaldi. Le passage inaugural reproduit par exemple chez Ceccaldi, où l’on dit que la Corse porte le nom de l’un des deux fils d’Hercule ou bien d’une femme prénommée Corsica dont le taureau se serait échappé de Ligurie en nageant jusqu’à l’île, est totalement absent de la description de Giustiniani. Le poids des lectures des Chroniques corses, celle aussi du De Rebus Corsicis de Pietro Cirneo, que l’auteur a faites sans aucun doute, en tant qu’humaniste et fin lettré, n’infléchit pas la vision résolument moderne que Giustiniani veut donner à son récit. Si la Corse était par tradition d’aventure mystérieuse dans les précédents écrits, il faut qu’elle ne le soit plus.

Parmi les autres textes aujourd’hui connus de voyage en Corse rédigés à cette époque, et réalisés par des voyageurs florentins ou padouans, on constate l’absence d’inventaire à l’arithmétique savamment comptable, tel que le consignent les lignes du Dialogo nominato Corsica.

Gabriello Simeoni, auteur des Illustres Observations antiques datées de 1557, décrit son arrivée sur l’île dans un passage qu’il intitule « Satyre avec la description de Corsegue[31] », en versifiant en langue toscane des leitmotive sur le voyage en Corse encore présents au XIXe siècle et même plus tard[32]. Une traversée tempétueuse rend l’arrivage périlleux (« Inconstanza del mare ») en même temps que l’insécurité maritime lui fait redouter les embarcations de Corsaires écumant sans cesse les lieux (« Timore nel mare »). Depuis Toulon, il débarque à Ajaccio, « héritière du grand nom d’Ajax ». Ici réside l’administrateur royal au service de la France depuis 1551, le lieutenant général Giordano Orsini, chargé par Henri II de reprendre la Corse à la république de Gênes. Autour de la ville d’Ajaccio et en guise de relief environnant, se dressent dans l’esprit du voyageur, les montagnes hostiles et les vallées abandonnées de toute présence hospitalière, infestées de chiens féroces, de populations pauvres au visage cruel, de bandits. Terre d’exil pour les Romains ainsi qu’il le rappelle, où l’on ne trouve hormis un bon vin, « ni beurre, ni miel, ni herbe, ni fleur, ni arbre pour porter de doux fruits », la Corse est pour Gabriello Simeoni un pays stérile, improductif, incessamment disputé aux Espagnols ou aux Turcs. A son arrivée à Ajaccio des brigands lui font un tel accueil, qu’il en vient à se flanquer d’une escorte militaire. Depuis Ajaccio, il traverse la Corse jusqu’au Cap, d’où il gagne Rome.

Giulio Vertunno, dans son Viaggio et possesso di Corsica nel mese di settembre del MDLVIII[33] écrit qu’il accoste en 1558 à Calvi, ville d’occupation génoise, encore debout à la suite de la tentative franco-turque de siège terrestre et maritime[34]. Après avoir essuyé (encore !) les caprices d’une mer très perturbée – l’équipage ne doit sa vie sauve qu’à la protection de Neptune –, le voyageur est le témoin navré de la guerre qui y court alors. La campagne de conquête de la Corse que les troupes françaises ont organisée contre la république de Gênes a profité de la révolte locale menée par Sampiero Corso : la citadelle génoise de Saint Florent intra muros ainsi que ses alentours sont dévastés[35], après que Giordano Orsini en a finalement repris le contrôle aux Génois. Le regard du voyageur opère dans un heureux rapprochement du familier vers l’étranger et l’inconnu : il assimile les microrégions insulaires à des contrées de la Terre Ferme, plus coutumières : le Nebbiu lui rappelle Pistoia et Florence, la Balagne Milan et la plaine lombarde, Aleria la région des Pouilles... Avec une certaine recherche dans le style poétique, beaucoup plus sensible à ces beautés que ne l’est Gabriello Simeoni, le poète en lieu et place de l’indifférence maussade, loue la richesse des terres cultivables, fécondes, boisées, inondées de torrents et de fontaines, enchevêtrées dans une géographie insulaire luxuriante et riche de toutes les promesses de développement humain et social possible, quand bien même elle ne serait, pour l’heure, qu’infiniment peu valorisée, quand bien même les corsaires et autres brigands établiraient leurs campements dans le maquis ou sur les côtes. Giulio Vertunno regagne la Toscane depuis le Cap Corse, non sans emporter avec lui, une certaine curiosité fascinante et inassouvie[36].

« Al mio dispetto pur mi fù legata
La libertà credendo uscirne tosto
E la Corsica sola al mondo è stata
Che’l freno di pacientia al fin m’ha posto[37] »

Revenons maintenant à Agostino Giustiniani et à son Dialogo nominato Corsica, en évoquant le trajet qu’il effectue pour parvenir en Corse : il n’est ni inconnu ni inaccessible à la différence des « Iles fortunées » qui sont les dernières limites du monde pour Hésiode : on y accède par le Cap, à Corno di Becco, car l’endroit est le plus près possible de la Terre Ferme. Les Cap Corsins sont d’ailleurs familiers des Génois, pour leur commerce et toutes les autres formes de proximités sociale et commerciale qu’ils cultivent.

La Corse de Giustiniani n’est donc pas coupée du reste du monde... Elle bat aussi en brèche l’image d’une île paradisiaque : elle est (aussi) infestée de corsaires infidèles, et lorsqu’on y survit, il faut faire face aux pénuries et aux famines. « Toute l’île souffre des vents qui font autant de mal aux fruits de la terre que la tempête et la grêle en Lombardie[38] ». Nous sommes vraiment à contre-courant de la construction d’un mythe comme l’Eldorado qui apparaît à la même époque, vers 1536.

Il semble à chaque ligne que l’auteur veuille dépouiller la Corse de l’aura mythifiante laissée par toute la tradition des textes antiques, en comptant les feux et les ducats que chaque pieve, chaque communauté, chaque village rapporte, en dénombrant les ressources, en n’oubliant surtout pas non plus celles qui sont latentes et ne demandent qu’à être exploitées, si les habitants insulaires ne rechignaient pas autant à accroître le bien-être de leurs oppresseurs génois, ce pour quoi ils sont qualifiés d’oisifs et de fainéants[39]. La liste ne s’arrête pas là. Mensonge, pillage, trahison, mauvaise foi : tout l’éventail des médisances y passe. Les populations de l’île sont aussi sous l’influence nauséabonde de superstitions païennes. Tout au plus peut-on leur laisser, mais seulement aux montagnards, le bénéfice de l’hospitalité ; et des belles terres cultivables, qu’ils peuvent bien entendu exploiter pour le bien de la République génoise.

Les longs passages énumératifs sur la faune et la flore, font penser à la description du Nouveau Monde du florentin Amerigo Vespucci, mais dirons-nous, une description où le voyageur exerce un esprit d’analyse sec, pauvre, désenchanté. Vespucci porte une appréciation qualitative sur les oiseaux et la flore qu’il décrit – les différentes espèces de perroquets sont une merveille, aux couleurs changeantes. Il écoute avec plaisir la douceur des chants d’oiseaux, il aime la saveur des fruits, l’odeur suave des herbes et des fleurs, les arbres sont si beaux et doux que l’on se croirait au paradis terrestre, la terre est verdoyante et couverte de grands arbres[40] . Le texte de Giustiniani quant à lui ne s’évertue qu’à montrer un effort quantitatif, dans une liste de produits destinés à la simple marchandise commerciale, qui en dit long sur l’état d’esprit dans lequel il débarque en Corse.

Il commence par les ressources agricoles : on apprend que les froments et les blés sont de très bonne qualité particulièrement à Caccia et à Rostino, tout comme d’autres graminées (orge, seigle). Puis vient le textile (chanvre, lin, soie) : le lin se récolte en grande quantité, la soie est de très bonne qualité aussi. Viennent ensuite les châtaigniers, les fruits secs, les champignons, les vins tous excellents en particulier celui de Sarrola dans la pieve de Mezzana, les eaux abondantes et pures, l’huile, la cire, le miel. Puis viennent tous les oiseaux, les « quadrupèdes », les ressources halieutiques, les arbres dont les essences donnent un matériau bon à travailler en menuiserie, et enfin les gisements de métal qu’il est préférable d’exploiter « provenant d’un pays par nous dominé plutôt que d’en acheter à l’étranger ».

Tout ce diptyque des « bonnes » et des « mauvaises choses » que l’on trouve en Corse, justifierait donc à lui seul sa valeur aux yeux du Génois. Nous avons aussi noté au fil du récit que les pievi ou noms de lieux étaient non seulement accompagnés des ressources agricoles produites par les Corses, mais aussi de la possible mise en valeur de ces lieux, l’auteur s’indignant même qu’ils soient laissés sans culture ou sans pâturage alors qu’ils pourraient être exploités « au grand profit » de Gênes. Mais en tant qu’élément d’étude relatif au regard porté par le voyageur, qu’en est-il, hormis ce sage bilan accumulatif, de la population insulaire ?

Le repérage géographique se complète ainsi, très utilement, d’un dénombrement des habitants dont Gênes doit tirer profit. Agostino Giustiniani va même jusqu’à donner une indication singulière, celle de la totalité des feux de l’île qu’il estime à 30 000, et que donnait déjà Diodore de Sicile au premier siècle avant Jésus-Christ. Que dire de ce chiffre, sinon qu’il reste certes difficilement vérifiable, mais qu’il rentre surtout dans une logique maussade et implacable, de comptage des richesses offertes par la Corse… On se souvient ici de la dédicace datée du 5 juin 1531 qui situe d’emblée le Dialogo nominato Corsica : « ho descritto minutamente l'isola di Corsica per utilità della patria[41] ».

L’émergence de la littérature de voyage en Corse se fonde ainsi, à travers l’un de ses tous premiers écrits, sur un postulat assez paradoxal : il n’est pas question d’entamer une réflexion sur sa propre société en se familiarisant avec un pays, avec ses mœurs et ses usages, avec ses faits et ses coutumes qui n’occupent que des considérations laconiques dans le récit. Qu’en est-il du témoignage personnel du voyageur ? Il n’est pas question non plus d’apprendre autrement que chez soi, en se motivant au contact d’autrui et de ses différences.

Même si le Dialogo nominato Corsica n’est pas voué à être diffusé à grande échelle, même s’il n’est pas à destination du grand public, on ne peut douter que Giustiniani écrit pour être lu lorsqu’il fait affirmer par exemple au personnage de Pino que sa description sera « non seulement belle et agréable, mais encore utile et productive ». Sans doute le fait-il dans un contexte où se véhiculent déjà une multitude de références et d’idées reçues au sein de cercles d’élites dont il fait partie. Le choix de cet auteur de faire uniquement œuvre scientifique le dépouille en quelque sorte de sa présence, tout comme celle d’une Corse dont on dirait qu’elle est finalement vide d’hommes, vide d’humanité(s), et pleine de ressources. Le passage où Giustiniani déplore l’absence de lettrés parmi les « mauvaises choses » de la Corse est à cet égard particulièrement loquace. Et le choix de la forme discursive, le dialogue, somme toute assez vivant et enjoué, ne parvient pas à opérer la séduction voulue dans ce genre de littérature.

 

Un second volet d’analyse nous intéresse : revenons maintenant à cette description géographique détaillée que déploie sur le territoire corse le récit de Giustiniani, en situant chaque fois qu’il le peut, les lieux d’intérêt d’une distance en miglie ou en les localisant à partir d’un site remarquable, une montagne ou un fleuve. Confrontons-la aux cartes modernes de la Corse, réalisées au XVIe et au XVIIe siècle.

À première vue, quatre cartes retiennent notre attention, parce qu’à la différence des précédentes, elles indiquent un nombre très important de lieux qu’elles recensent sur les littoraux et dans les terres. Ces cartes s’échelonnent de 1567 à 1634, et sont donc toutes postérieures à la rédaction du Dialogo nominato Corsica. Formulons une hypothèse : se pourrait-il donc que les cartographes aient eu connaissance de l’œuvre de Giustiniani, ou aient eu accès à l’une des huit copies manuscrites recensées actuellement, à défaut d’une autre aujourd’hui perdue ?

La première carte retenue est de Leandro Alberti, religieux dominicain qui vécut à Bologne, versé dans les Humanités des Lettres, de l’Histoire et de la Géographie. Dans son ouvrage intitulé Descrizione di tutta l'Italia et isole pertinenti ad essa qu’il fait imprimer à Venise en 1596, Leandro Alberti nous apprend qu’il est l’ami intime d’Agostino Giustiniani[42]. On vient à comprendre dans l’une de ses phrases, qu’il considère même le Dialogo nominato Corsica, comme l’exemple d’une œuvre de parfaite transition entre savoir descriptif et savoir pictural. « Giustiniani, écrit-il, a laissé une description de cette île, d’une précision telle que non seulement il la décrit, mais encore il la peint[43] ». Il affirme même que le Dialogo nominato Corsica lui a servi de source : « Ayant à décrire l’île de Corse, je me référerai à la description d’une grande précision proposée par Agostino Giustiniani de l’Ordre des Prêcheurs, évêque du Nebbiu […] Par courtoisie il m’a communiqué cette description où il montre quels sont tous les lieux modernes, sans mentionner les lieux antiques[44] ».

6._luzi_emergence_de_la_geographie.jpg

Leandro Alberti, Descrittione di tutta Italia, carte de 1567, éditée à Venise en 1568 (source : fonds privé).

En plus de l’affirmation d’Alberti qui déclare ouvertement que le récit d’Agostino Giustiniani lui sert de base, les noms de lieux portés sur sa carte présentent une spécificité qui interpelle à plus d’un titre.

Nous allons essayer de prendre des exemples. Commençons par les proportions : dans le Dialogo nominato Corsica comme sur la carte d’Alberti, la partie du sud de la Corse, le Delà-des-Monts, est beaucoup moins étendue qu’elle ne l’est en réalité, à en juger par les localités qu’elle recouvre.

Autre exemple de proportion frappant, les régions de Balagna et Bastelica sont exagérément étendues. Le paese de Bastelica dans la pieve de Cauro, située trop au sud-est sur la carte, est aussi trop proche des rivières de la Solenzara, du Travo et de l’Abatesco. Cela constitue en soi une mauvaise appréciation, mais pas de la part du cartographe. Cette erreur, Leandro Alberti la doit très vraisemblablement à Giustiniani. Car la description du nord de l’île (le Deçà-des-Monts) dans le Dialogo nominato Corsica est, sans appel, plus précise et plus riche que le sud (5 évêchés dans le nord, 45 pieve).

Nommer le territoire corse, cela revient à le maîtriser par l’intermédiaire de la langue, mais aussi à lui donner une consistance proportionnellement importante. La maîtrise territoriale passe par l’attribution du plus grand nombre de noms de lieux possibles, qui en retour déterminent la surface de ce territoire. Alors qu’en réalité, le Delà-des-Monts est bien plus vaste que ne le décrit Giustiniani, culturellement abusé par le manque d’intérêt des Génois pour cette zone trop montagneuse.

Il existe aussi des informations reprises par Leandro Alberti sur sa carte, dont l’intérêt géographique interroge. Elles renvoient à la lecture intéressée de la Corse dont fait preuve Giustiniani[45]. Lorsque ce dernier indique l’existence de mines de fer, à proximité d’une montagne (la punta Giovellina ?), il explique qu’il s’agit d’une chose d’importance capitale car elle permettrait de fabriquer des boulets pour l’artillerie[46]. Il apparaît que ce gisement de minerai de fer est reproduit sur la carte d’Alberti.

6._luzi_emergence_de_la_geographie_2.jpg 
Abraham Ortelius, « Corsica », Theatrum orbis terrarum, 1572 (source : fonds privé).
Lorsqu’on compare ensuite ce que l’on trouve sur la carte de Leandro Alberti avec les autres cartes modernes de la Corse, on s’aperçoit que ces éléments sont reproduits en l’état, sans aucune rectification, chez les autres cartographes :

- La position du Delà-des-Monts et de la région de Bastelica apparaît chez Alberti en 1567, chez Ortelius en 1572, chez Bertius en 1602, chez Rosaccio en 1607 et chez Blaeu en 1634.

- Le gisement de minerai de fer apparaît sur les cartes d’Alberti (1567) et d’Ortelius (1572).

Autre indice, les variantes d’appellations toponymiques[47] semblent provenir en fait de dénominations approximatives de lieux-dits, dues sans doute à la mauvaise connaissance de mots à prononciations avoisinantes et qui constituent des lieux de contact culturel entre deux différentes langues, le corse et le génois. Ces variantes se transmettent telles quelles d’un cartographe à l’autre : l’étang de Biguglia ou étang de Chiurlinu devient chez Leandro Alberti stagno di Brigoglia, de même que chez Ortelius (1574), Mercator (1590) et Blaeu (1634). Mais il n’est pas indiqué sur les cartes d’autres de ses contemporains, comme par exemple Gastaldi (1561). La Cala di Agnelo[48] (le mouillage d’Agnelo, où se trouve toujours une tour génoise) se transforme par erreur chez Leandro Alberti en Cassa d’Agnelo que l’on retrouve chez Ortelius (1572), Mercator (1590) et Blaeu (1634).

 

6._luzi_emergence_de_la_geographie_3.jpg
Gérad Kremer (Mercator), Sive cosmographicae meditationes, 1590 (source : fonds privé).
 

Une étude exhaustive des toponymes reste à faire : elle mériterait d’être menée – mais là n’est pas notre propos qui se consacre davantage à la mise en regard de la carte et du récit –, afin de voir quelle descendance picturale réservent les cartographes à l’œuvre d’Agostino Giustiniani. Ce que l’on retient, c’est que les erreurs de toponymie agissent comme des sortes de marqueurs. Elles sont reproduites d’un travail à l’autre, et permettent de mieux identifier une des modalités de composition de la cartographie moderne de la Corse.

 

La question se pose aussi de savoir si le Dialogo nominato Corsica est la seule source cartographique que Giustiniani ait laissée. Visiblement non, à en croire les premières lignes qui composent sa dédicace, où il affirme avoir réalisé une carte postérieure à la description qu’il fait de l’île, datée de 1531[49]. Aujourd’hui disparue, cette carte serait la source[50] d’où dérivent les données réutilisées dans une première carte de Leandro Alberti, elle aussi perdue, puis dans celles d’Ortelius, Mercator et Blaeu. Sur sa carte, Leandro Alberti avait réellement poussé les proportions et la précision à l’extrême : trente feuilles de papier collées les unes aux autres n’auraient pas suffi à couvrir toute sa carte (« non haurebbono bastati trenta fogli di carta incollata insieme[51] »), et sa minutie le pousse à décrire chaque maison, aussi petite soit-elle (« ogni villuccia et ogni minuta casa, che in quella si trova »). Cette carte aurait ensuite été réduite significativement par souci éditorial, en ne laissant que les noms de lieux les plus importants à partir desquels il serait facile de placer ceux qui en dépendent aux alentours.

6._luzi_emergence_de_la_geographie_4.jpg
Willem Janszoon Blaeu, « Corsica Insula », Atlas Novus, 1634 (source : fonds privé)
 

D’une géographie minutieuse comme sceau politique

Après avoir jeté ces quelques pistes d’études, on comprend combien il est difficile d’épuiser un sujet aussi riche que celui des liens entre la littérature de voyage et la cartographie, toutes les deux en pleine genèse au XVIe siècle.

En confrontant les cartes chorographiques de la Corse au Dialogo nominato Corsica qui reste l’un des premiers récits de voyage dans l’île, on s’aperçoit de l’importance cruciale qu’occupe cette forme de « littérature géographique » dans le mécanisme d’engrenage et de passage entre ces deux disciplines du savoir, plus tard distinctes, que seront la littérature et la géographie. Une telle forme de discours est aux prises avec un aspect descriptif et aussi pictural, entre lesquels on ne peut pas encore clairement faire la distinction.

Agostino Giustiniani apporte un élément de réponse tangible quant au postulat de départ : la géographie naissante de la Corse n’est pas dissociée de la création littéraire. Des écrits de Giustiniani émerge toute la cartographie moderne de la Corse.

Toutefois, à travers son cas de voyageur, il apparaît peu évident voire prématuré d’associer sa fonction à celle d’un cartographe, laquelle réclamerait des connaissances techniques approfondies ainsi qu’une vraie spécialisation reconnue à un corps de métier. Une cartographie aussi minutieusement menée, qu’elle soit descriptive ou picturale, répond en tous les cas à une volonté de domination du territoire insulaire à l’intérieur d’un usage politique, en ce sens qu’elle ne doit pas seulement se contenter d’une description à vocation littéraire, en disant le parcours d’un voyageur dont le but serait de se frotter à l’altérité, d’apprendre des lieux et des hommes. Elle doit aussi présenter un véritable plan de développement du territoire et de sa collectivité humaine, un plan économique, culturel et social, dont le sort est alors laissé à la décision de gouvernants extérieurs.

Notes de pied de page

  1. ^  On se souvient de l’expression de Gustave Flaubert concernant la Corse : « un pays grave et ardent, tout noir et tout rouge » (« Lettre à Ernest Chevalier », in Correspondance, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 236-240) ou bien tout vert et tout noir pour Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire. Au sujet de ce dernier, et de ses travaux peu connus sur la Corse, on consultera avec intérêt La Corse d’Eugène Rosseeuw Saint-Hilaire. Nouvelles et autres récits (1826-1831), présenté par Eugène F.-X. Gherardi, Albiana, 2014.
  2. ^  Honoré de Balzac, Lettre à Mme Hanska, Ajaccio, 26 mars 1838 (Correspondance d’Honoré de Balzac 1819-1850, Paris, Calmann-Levy, 1876, p. 395 et suiv.).
  3. ^  Ernst Jünger, Soixante-dix s’efface. Journal 1965-1970, traduit de l’allemand par Henri Plard, Paris, Gallimard, NRF, 1984, p. 224-242.
  4. ^  Ibid., p. 347 et suiv.
  5. ^  « Les portulans sont, eux, des documents écrits composés de données à l'usage des marins, listes de ports, indications des distances en milles et des directions, de la profondeur des eaux, localisation des dangers » (Antoine Franzini, art. cit., p. 347 et suiv.)
  6. ^  A ce sujet, se reporter à l’argumentation fine et éclairante d’Antoine Franzini quant à l’origine de la carte de Corse faussement attribuée à Christoforo Buondelmonti : « les cartes de l’exemplaire du Liber insularum conservé à la Biblioteca Medicea Laurenziana de Florence constituaient en fait le cahier, la copie de travail d’un cartographe allemand Henricus Martellus Germanus », artiste et artisan installé à Florence à la même époque de Buondelmonti (Antoine Franzini, ibid.). Se référer également aux études proposées par Sebastiano Gentile, Firenze e la scoperta dell’America. Umanesimo e geografia nel’ 400 fiorentino, catalogue d’exposition, Florence, 1992, pp. 237-240 et Nathalie Bouloux dans The Historial Review, article consultable en ligne : https://ejournals.epublishing.ekt.gr/index.php/historicalReview/article/view/4071
  7. ^  Ce n’est qu’au XVIIIe siècle et avec l’arrivée des Français en Corse, que se constitue le plan terrier venant marquer la fin du retard pris sur la cartographie générale de l’île, et le début d’une « remarquable perfection technique » (Marc Bloch, Annales d’Histoire Economique et Sociale, 1ère année, n°7-15, janvier 1929, p. 60, cité par Antoine Albitreccia, Le Plan Terrier de la Corse au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1942, p. 28 et suiv.). Le plan terrier définit ses objectifs, notamment au fil d’un rapport anonyme intitulé « Idée abrégée de l’ouvrage à faire pour mettre l’Ile de Corse en ordre » en date du 16 avril 1770 (Paris, Archives nationales, Q/1/298/1) : « On croit entrevoir l’objet désiré par le Ministère, c’est de connaître parfaitement l’île de Corse dans toutes ses parties, et principalement le nombre de ses habitants, les héritages qui leur appartiennent, ce qu’il reste en domaine au roi et l’usage qu’il peut en faire. Un Terrier universel remplira l’objet. Dans ce Terrier deux choses sont à considérer : 1° le terrain et ses habitants ; 2° les titres et possessions ; l’ordre établi dans ces deux parties c’est ce qui formera l’ouvrage » (A. Albitreccia, Ibid.). Se reporter aussi à Mesure de l'île. Le plan terrier de la Corse (1770-1795), éd. Musée de la Corse, 1997, 295 p.)
  8. ^  Les frontières géographiques de la Corse sont encore réputées jusqu’au XIXe siècle former des enclaves qui rendent difficile l’accès d’une micro-région à une autre. Adolphe Blanqui dans son Rapport sur l'état économique et moral de la Corse, parle en ces termes de la frontière naturelle que constituent les abords du fleuve Fium’Orbu : « J’ai visité au centre de la plaine du Fiumorbo [noté ainsi dans le texte] la seule ferme établie sur une grande échelle qui existe dans le pays, celle du Migliacciaro. Cette ferme, entourée de plus de vingt mille hectares de terre d'alluvion, était, quand je la vis, dans l'état le plus affligeant. On eût dit que la peste en avait moissonné tous les habitants. Un seul gardien, pâle et défait, en surveillait les bâtiments immenses et abandonnés ; il n'y avait pas une bête de trait ou de somme dans les écuries, pas une vache dans les étables, pas un mouton sous les hangars, pas une volaille dans les cours; partout la plus affreuse solitude. Cependant, je savais que de puissants efforts avaient été tentés, et que déjà beaucoup de capitaux avaient été engagés au profit de cette grande expérience » (Adolphe Blanqui, Rapport sur l'état économique et moral de la Corse en 1838, Paris, Firmin Didot, 1840, p. 65).
  9. ^  Lettre de Louis de Requesens en 1565, adressée à Gonzalo Peres, ministre de Philippe II, roi d’Espagne, et publiée par René Emmanuelli : […] Reste à savoir s'il serait bon ou non pour Sa Majesté de posséder cette île. Oui, à n'en pas douter ; car elle a, pour désirer celle-ci, toutes les raisons qu'ont les Génois de ne pas la lui donner ; avec la Corse, en effet, elle tiendrait la République à sa dévotion perpétuelle aussi sûrement qu'avec une forteresse à la lanterne (du port). Par ailleurs les dépenses nécessitées par la Corse seraient très inférieures à ce qu'elles sont, parce que, une fois sujets du roi, les Corses n'oseraient pas se révolter comme ils le font chaque jour contre les Génois, et on ne leur en donnerait pas l'occasion ; bien plus ces dépenses ordinaires seraient moins lourdes que les dépenses extraordinaires que le roi devra faire pour aider la République, si elle garde l'île, à se défendre toutes les fois que cette dernière se soulèvera. Dépenses extraordinaires ? elles sont en passe de devenir ordinaires, et on ne peut pas les éviter ; Sa Majesté ne les exposerait-elle pas par bonté pour les Génois, qu'elle devrait les exposer pour que l'île ne tombe pas au pouvoir des Turcs ou des Français, au grand péril de la chrétienté et particulièrement des États du roi, la Corse étant au centre de la Méditerranée, près de la Sardaigne et de la côte d'Italie, non loin de l'Espagne et des autres îles que Sa Majesté possède dans cette mer. C'est pourquoi, en dépit de toutes les impossibilités que j'ai dites, on doit guetter les chances d'engager cette négociation […] (cité dans Jean-Marie Arrighi, Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, Paris, éd. Perrin-Colonna, 2008, p. 260-262).
  10. ^  Les Génois mettent à disposition de l’Espagne leur flotte (asiento) et leurs banquiers servent de bailleurs de fonds à Philippe II (Francis Pomponi, Histoire de la Corse, Paris, Hachette, 1979, p. 124 et suiv.)
  11. ^ [11] Anne-Catherine Wagner, Les Classes sociales dans la mondialisation, Paris, La Découverte, « Repères », 2008, p. 10 et passim.
  12. ^  Nous retenons de Jean Du Bellay ce mot très éclairant, alors que la Corse se trouve sous le fléau de la République de Gênes, cité par Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, Paris, éd. Perrin-Colonna, 2008, p. 267.
  13. ^  Le chroniqueur A. F. Filippini dénombre par exemple pour la seule année 1566, 123 villages brûlés et détruits : « L'île aurait joui d'un repos assez profond, si elle n'avait eu à souffrir des incursions incessantes des corsaires barbaresques. Ceux-ci ne renonçaient pas à leurs brigandages et à leurs attaques nocturnes, razziant tantôt dans un pays tantôt dans un autre, et particulièrement dans le Cap Corse » (Antoine-Marie Graziani, Anton-Pietro Filippini, Chronique de la Corse : 1560-1594, introduction, traduction, notes et index d’Antoine-Marie Graziani, Ajaccio, Piazzola, 1996, p. 50).
  14. ^  Voir l’article consacré au sujet dans le dernier ouvrage de Didier Rey, Jalons pour une histoire de la Corse de 1755 à 2018, Ajaccio, Alain Piazzola, 2018, p. 211-222.
  15. ^  La traduction du passage est visible sur le lien BNF : http://expositions.bnf.fr/marine/grand/por_325.htm
  16. ^  Massimo Quaini, « Ingénieurs et cartographes dans la Corse génoise des XVIe et XVIIe siècles », in La Corse, images et cartographie, Anna Maria Salone et Fausto Amalberti (dir.), trad. de l'italien par Antoine-Marie Graziani, Ajaccio, Piazzola, 1992, p. 27.
  17. ^ [17] A.-M. Graziani cite Domenico Pelo, un ingénieur génois : « Né vers 1528. Il vient en Corse au moment de la deuxième partie de la Guerre et s'y installe. On le rencontre sur de nombreux chantiers des années 1560-1580. Il trace ainsi les plans définitifs du fort d'Aleria vers 1580, de la tour de la Giraglia en 1582, de celle de Campomoro qu'il inspecte en 1585 et les plans des nouvelles fortifications à l'Algajola, Bastia en 1588 et Saint-Florent. On sait qu'il fut chargé en outre de la réalisation d'une grande carte de la Corse, mais on ne sait ce qu'il advint de ce projet » (Antoine-Marie Graziani, Anton-Pietro Filippini, op. cit., p. 583).
  18. ^  Massimo Quaini, op. cit., p. 27.
  19. ^  L’intérêt est souligné par Michel Vergé-Franceschi, Le Voyage en Corse. Anthologie des voyageurs de l’Antiquité à nos jours, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2009, p. 1214. Quant au Dialogo nominato Corsica, M. De Caraffa nous indique qu’il est imprimé après sa mort, puis en 1834-1835, et ensuite en 1882 par la Société des Sciences Historiques et naturelles de la Corse (Dialogo nominato Corsica del Rmo Monsignor Agustino Justiniano, texte revu par M. De Caraffa, Bastia, impr. Eugène Ollagnier, 1882).
  20. ^  Antoine-Marie Graziani, Description de la Corse. Agostino Giustiniani, préf., notes et trad. d’A.-M. Graziani, Ajaccio, Piazzola, 1993, p. XXXIX et suiv.
  21. ^  Les Satires suivies de la Vie d’Horace, traduction du latin, introduction et notes par Roland Duflot, Besançon, Editions Florilia, 2015.
  22. ^  « Se il Vescovo [Giustiniani] vorrà seguire in questa descrittione il stillo di molti moderni historici, me dubito, che non dirà pienamente la verità, essendosi trovati a questi tempi puochi historici veridici. Anzi ognuno ha parlato secondo la passione & l’affetto suo » (Antoine-Marie Graziani, Description de la Corse. Agostino Giustiniani, op. cit., p. 21).
  23. ^  « Il Vescovo nò vole scrivere la historia di Corsica, ne parlare de la antiquità di Corsi, ne quali siano stati li primi habitatori de l’Isola, ne far mentione come quella sia stata signorezata da pagani, da Romani, da Mori, da Christiani, da la Chiesa romana, de Genoesi, da Pisani, dal Duca di Milano, da molti Tiranni […] » (Ibid., p. 21-22).
  24. ^  Ibid., p. 23, note 36.
  25. ^  « […] parlara di veduta, nò per relazione di altri […] » (Ibid., p. 19).
  26. ^  « essendo il Vescovo buon cosmographo, mi par verisimile che parlerà del sito de l’Isola, & di tutti li luochi particolari con buona rasone », Ibid.
  27. ^ « Che confabulationi sono queste, che vi sento ragionare insieme. Et, se non mi inganna l’orecchia, delle cose della nostra Corsica, & di nò so che vocaboli strani & a me incogniti : cosmographia, chorographia & nesografia ? », Ibid., p. 21. A.-M. Graziani indique en note : « Nésographie est un néologisme savant réalisé sur les vocables Nesos, île et Graphein, écrire ».
  28. ^  Ibid., p. 27.
  29. ^  Ibid., p. 243.
  30. ^  Ibid., p. 101.
  31. ^  Gabriello Simeoni, Les Illustres observations antiques du seigneur Gabriel Symeon florentin. En son dernier voyage d'Italie l'an 1557, Lyon, J. De Tournes, 1558, p. 33 (consultable sur le site Gallica de la BNF à l’adresse : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31368850z).
  32. ^  Michel Vergé-Franceschi cite pour mémoire Gustave Flaubert, le Prince Bonaparte, Mme Beaulieu-Delbet, Victor Ardouin-Dumazet (M. Vergé-Franceschi, op. cit., p. 43 et suiv.).
  33. ^  Giulio Vertunno, Viaggio et possesso di Corsica nel mese di settembre del MDLVIII : co’l suo ritorno da la Bastia à Genova, Gênes, Antonio Belloni, 1560.
  34. ^  « Quest’è quel Calvi, che mezzo disfatto/ Lo Stendardo di Genoa tenne intatto » (ibid.)
  35. ^  « Dopò l’haver giocato hor dentro hor fuora/ San Fiorenzo è già guasto, e in tutto spento/ Onde tanto suo mal m’afflige [… ] »
  36. ^  Le premier récit de voyage en Corse, écrit en français, est assez tardif par rapport aux récits italiens. François de La Boullaye fait publier en 1653 Les voyages et observations du sieur de La Boullaye Le Gouz, Gentil-homme angevin, Paris, G. Clousier, 1653.
  37. ^  On propose la traduction : « À mon grand dépit me fut rendue/ La liberté, et je pensais m’en défaire assez tôt/Mais la Corse a été le seul endroit au monde/À m’apprendre à user de la patience », Giulio Vertunno, Viaggio et possesso di Corsica, op. cit.
  38. ^  « l’Isola hè molto suggetta à li venti, che nò noceno manco mente, a li frutti di la terra di ogni spetie, che face la tempesta & la grandine in Lombardia », Ibid., p. 311.
  39. ^  Ibid.
  40. ^  Le Nouveau Monde, Les voyages d’Amerigo Vespucci (1497-1504), traduction, introduction et notes de Jean.-Paul Duviols, Paris, Chandeigne, 2005, p. 77, p. 109.
  41. ^  On en propose la traduction suivante : « J’ai décrit minutieusement l’île de Corse pour servir ma patrie ».
  42. ^  « Et io alla sua memoria sempre sarò tenuto, tanto per la stretta amicitia havuta insieme, quanto ancora per l'aiuto a me dato in questa descrittione » (Leandro Alberti, Descrittione di tutta l'Italia, et isole pertinenti ad essa. Di fra Leandro Alberti bolognese. Nella quale si contiene il sito di essa, l'origine, & le signorie delle citta, & de' castelli; co' nomi antichi, & moderni ; i costumi de popoli, & le conditioni de paesi, Venise, impr. Paolo Ugolino, 1596).
  43. ^  « ha lasciata la descrittione di questa Isola tanto minutamente fatta, che non solamente la descrive, ma la dipinge ». (Ibid.).
  44. ^  Texte original : « Havendo a scrivere l'Isola di Corsica mi rivolterò alla descrittione molto minutamente fatta da Agostino Giustiniani dell'ordine de' Predicatori, Vescovo di Nebbio; huomo molto letterato, et di curioso ingegno, il quale essendo alquanto dimorato in questa Isola al suo Vescovato per haver cura delle sue pecorelle (come è ufficio di bon pastore) descrisse tutta questa Isola, et a me (per sua cortesia) mandò tale descrittione, ove dimostra tutti i luoghi moderni, senza mentione de i luoghi antichi. Onde io ho cavato la maggior parte di questa nostra narratione da lui » (Ibid.).
  45. ^  Dans sa carte de la Corse qu’il édite à Venise au sein d’un ouvrage intitulé Italia chez l’imprimeur Stefanu Mozo Scolari en 1657, Matteo Greuter va jusqu’à accompagner la Corse d’une perspective de Gênes enfermée dans un cartouche et surmontée des armes de la ville, ce qui ne laisse aucune équivoque, si tant est qu’il en demeure encore, entre cartographie et réalité politique (source Gallica, BNF, ark:/12148/btv1b525056959).
  46. ^  A.-M. Graziani, Description de la Corse. Agostino Giustiniani, op. cit., p. 49 et p. 301.
  47. ^  Autres illustrations dans le texte de Giustiniani, celles des noms de village : Farseto ou Falseto est mis pour Frasseto en toscan et qui est en fait Frassetu en corse, Giovecassi renvoie à Giovicacci en toscan ou Ghjuvicacci en corse. Ficagnuola est mis pour Ficaghiola (Ficaghjola en corse), Castafate pour Castifao (Castifau en corse), Vinzolusca pour Venzolasca (Vinzulasca en corse), etc. Pour ce qui concerne les noms de fleuves, Ristorica est mis pour Restonica, Abatesso/Abateso dans le texte est le substitut de Abatesco en toscan ou Abatescu en corse. Ces noms de la toponymie corse ne correspondent pas non plus à l’usage populaire de la langue corse, dont nous avons hérité et dont nous servons aujourd’hui. Peut-on se risquer à affirmer que ces noms de lieux sont la transcription en langue toscane de l’époque, de noms corses, mais avec les erreurs et les inexactitudes de prononciation ou de retranscription que commettaient les locuteurs Génois pour certains toponymes insulaires ?
  48. ^  Cette illustration très éloquente quant au propos est empruntée à A.-M. Graziani, Description de la Corse. Agostino Giustiniani, op. cit. p. 37.
  49. ^  Cf. sa dédicace à Andrea Doria : « Ho descritto minutamente l'isola di Corsica per utilità della patria, e, messa poi la descrizione in distinta pittura, la ho donata al magnifico Ufficio di S. Giorgio ».
  50. ^  Voir en particulier Giuseppe Caraci, « La carta della Corsica attribuita ad Agostino Giustiniani », Archivio Storico di Corsica, XII, n°2, avril-juin 1936, p. 129-173.
  51. ^  Leandro Alberti, « Corsica isola », op. cit.

Référence électronique

Christophe LUZI, « L’insularité sous l’œil du pouvoir : Le voyage en Corse au regard de la cartographie insulaire (1531-1634) », Astrolabe - ISSN 2102-538X [En ligne], Émergences de la géographie, France/Italie, XIVe-XVIIe siècles (novembre 2020), mis en ligne le 20/11/2020, URL : https://www.crlv.org/articles/linsularite-loeil-pouvoir-voyage-en-corse-regard-cartographie-insulaire-1531-1634